Immobilier d’entreprise : un marché ankylosé

Par : edicom

Dans son bilan du marché français de l’investissement en immobilier d’entreprise au premier trimestre 2023, Knight Frank note que la poursuite du resserrement monétaire et les interrogations sur la solidité du système bancaire international ont entretenu l’attentisme des investisseurs lors des trois premiers mois de 2023, expliquant les mauvais résultats du marché de l’investissement.

« Après s’être nettement affaissé à la fin de 2022, le marché de l’investissement en immobilier d’entreprise a encore ralenti au premier trimestre 2023. Près de 3,2 milliards d’euros ont ainsi été investis dans l’Hexagone depuis janvier, soit une baisse de 44 % par rapport à la même période l’an passé et de 30 % par rapport à la moyenne décennale d’un premier trimestre », annonce Antoine Grignon, directeur du département investissement chez Knight Frank France.

Les montants comptabilisés depuis janvier sont tout de même largement supérieurs de 65 % à la moyenne annuelle relevée chaque premier trimestre entre 2009 et 2013 (1,9 milliard d’euros), au moment de la grande crise financière internationale et de la crise de la dette dans la zone euro. S’il y a des similitudes avec le début des années 2010 (rareté des grandes transactions, effacement des fonds d’investissement internationaux, etc.), « les liquidités à investir dans l’immobilier restent importantes, les fondamentaux des marchés locatifs sont solides et les opportunités ne manquent pas, ce qui, en cas de stabilisation du contexte financier et de correction plus marquée des taux de rendement, pourrait permettre un rebond rapide de l’activité », selon Antoine Grignon. 

 

L’Ile-de-France de retour au premier plan

L’engourdissement actuel du marché français se lit dans la chute des volumes investis comme dans le faible nombre d’opérations signées. Toutes tailles confondues, une centaine ont été recensées au premier trimestre, soit deux fois moins qu’à la même période l’an passé. Moins liquides et moins faciles à financer, les grandes transactions ont été particulièrement rares : seules six opérations supérieures à 100 millions ont ainsi été actées au premier trimestre, contre 14 au premier trimestre 2022. Leur nombre n’avait plus été aussi bas sur un premier trimestre depuis 2012. Le coup d’arrêt est particulièrement important en Ile-de-France où, en moyenne, dix signatures de plus de 100 millions d’euros animaient le marché chaque premier trimestre depuis dix ans. Les transactions de moindre envergure sont également moins nombreuses. Neuf comprises entre 50 et 100 millions d’euros ont été recensées depuis le début de 2023, contre 13 au premier trimestre 2022.

L’Ile-de-France concentre la quasi-totalité des transactions de plus de 50 millions d’euros signées : la région accroît ainsi très nettement sa part dans l’ensemble des volumes investis en France (78 % des volumes investis dans l’Hexagone, contre 61 % en 2022), alors que sa domination ne cessait de s’éroder depuis le déclenchement de la crise sanitaire. Au-delà des quelques opérations d’envergure signées à Paris et dans sa région, ce retournement de tendance s’explique aussi par une activité ralentie en province, principalement pénalisée par l’absence de cessions de grands portefeuilles logistiques et de commerces malgré un intérêt toujours marqué des investisseurs.

 

Bureau : nouvelle chute des volumes investis

L’an passé, les volumes investis sur le marché français des bureaux avaient fortement diminué, totalisant 14,3 milliards d’euros, contre 20,3 milliards d’euros en moyenne lors des cinq années précédentes. Le recul se poursuit en 2023, avec un peu plus d’1,3 milliard d’euros investis au premier trimestre, soit un volume divisé par deux par rapport à la même période en 2022 et par trois par rapport au 1 premier trimestre 2020. La baisse est particulièrement marquée en Ile-de-France où les cessions de bureaux totalisent à peine un milliard d’euros, contre 2 milliards au premier trimestre 2022. Les opérations significatives se comptent quasiment sur les doigts d’une main : 6 supérieures à 50 millions d’euros ont ainsi été dénombrées, contre 16 à la même période l’an passé. La polarisation du marché s’est par ailleurs accentuée, Paris intra-muros concentrant 83 % des sommes investies en bureaux en Ile-de-France depuis le début de 2023.

En première et deuxième couronnes, la correction des valeurs est plus nette, mais n’a pas pour autant permis au marché, déjà peu actif en 2022, de redémarrer. Dans l’attente d’un repricing plus franc des valeurs, les investisseurs sont encore très attentistes, d’autant que le marché locatif demeure en deçà de ses performances de long terme et que la vacance continue de progresser. Des discussions avancées sont néanmoins en cours sur des opérations significatives, dans l’Ouest notamment.

En province, où le marché des bureaux avait été très dynamique en 2022 (3,5 milliards d’euros investis, dont un tiers à Lyon), l’activité a également subi un coup d’arrêt. 350 millions d’euros y ont été investis au premier trimestre 2023, contre près de 700 millions l’an passé à la même époque.

 

Résultat exceptionnel pour les commerces

Le marché des commerces avait atteint des sommets en 2022, avec près de six milliards d’euros investis en France. L’activité n’a pas faibli en ce début d’année 2023, bien au contraire, puisque les sommes engagées dans l’Hexagone au premier trimestre totalisent 1,3 milliard d’euros. Inférieur de près de 10 % au résultat record du premier trimestre 2022, ce volume est en forte hausse de 63 % par rapport à la moyenne décennale ! Avec 42 % des volumes investis en France depuis le début de 2023, la part des commerces équivaut même quasiment à celle des bureaux (43 %), loin devant l’industriel (15 %).

En région, l’activité a presque exclusivement porté sur quelques sociétés commerciales et retail parks pour un volume proche de 100 millions d’euros. « Les investisseurs conservent un solide appétit pour la périphérie, dont la solidité du modèle ne se dément pas. Néanmoins, la performance exceptionnelle de 2022 – record historique avec 1,6 milliard d’euros investis en France – ne sera sans doute pas rééditée cette année. Outre que l’acquis du premier trimestre est assez modeste et que l’activité se ressent de la hausse des taux d’intérêt, le nombre d’actifs de grande taille disponibles sur le marché est plus restreint que l’an passé », poursuit Antoine Grignon. Notons enfin que l’intérêt des investisseurs pour les commerces ne se limite pas aux seuls actifs franciliens et aux retail parks, comme l’illustrent les négociations en cours sur de grands portefeuilles d’hypermarchés et sur plusieurs centres commerciaux de taille moyenne en région, qui offrent aux investisseurs des rendements particulièrement attractifs.

 

Industriel : toujours beaucoup d’intérêt malgré des volumes en baisse

Après plusieurs années exceptionnelles, le marché de l’immobilier industriel est tombé de haut lors des trois premiers mois de 2023, avec près de 500 millions d’euros investis en France, contre 1,5 milliard en moyenne au premier trimestre entre 2019 et 2022. Alors que les cessions de grands portefeuilles logistiques ou de grands actifs unitaires rythmaient régulièrement l’actualité, celles-ci ont été quasiment inexistantes depuis le début de 2023, l’activité se concentrant sur des transactions inférieures à 50 millions d’euros.

Cela dit, le nouveau contexte financier n’a pas tari l’intérêt pour l’immobilier industriel : les liquidités à placer sur ce segment de marché restent importantes en raison des stratégies de diversification des investisseurs et de la nécessité de développer une offre de locaux (grands entrepôts modernes, logistique du dernier kilomètre, data centers, etc.) adaptés aux besoins des entreprises et des consommateurs.

Enfin, le secteur a d’ores et déjà acté une remontée importante des taux de rendement prime, de l’ordre de plus de 100 points de base par rapport au début de 2022. Autant d’éléments suggérant que les volumes investis rebondiront dans les prochains mois, même s’ils ne devraient pas retrouver en 2023 les sommets des deux années précédentes (6,9 et 6,6 milliards en 2021 et 2022).

 

Quelles perspectives pour les prochains mois ?

« Après un premier trimestre 2023 peu animé, nous n’attendons pas de rebond important des volumes investis d’ici la fin du premier semestre. La moyenne des sommes engagées au premier semestre lors des cinq dernières années atteint plus de 11,5 milliards d’euros. Compte tenu de l’acquis modeste du premier trimestre 2023, l’écart ne sera pas comblé au deuxième trimestre, d’autant que les transactions sont toujours longues à finaliser et que les divergences de vues entre cédants et acquéreurs persistent », précise Antoine Grignon. Les performances du marché français de l’immobilier d’entreprise resteront donc très hétérogènes, évoluant au gré des opportunités saisies par les investisseurs dans un contexte toujours favorable aux acteurs riches en fonds propres (privés, caisses de retraite et mutuelles, etc.).

Par ailleurs, les prochains mois confirmeront l’engouement pour d’autres types de biens que les bureaux, les commerces ou les entrepôts, ce dont témoignent le début d’année dynamique de l’hôtellerie et l’intérêt pour des actifs alternatifs, comme les data centers ou le résidentiel géré. L’immobilier d’enseignement prend également une place croissante, comme l’ont récemment illustré plusieurs opérations. Dynamisme des écoles privées, utilisateurs engagés sur le long terme et souvent fidèles à leur secteur d’origine, offre immobilière restreinte : les locaux d’enseignement ne manquent pas d’atouts pour séduire les investisseurs à la recherche de placements sécurisés et alternatifs, si bien que les sommes engagées sur ce segment de marché pourraient atteindre un niveau record en 2023.

Alors que la Banque de France prévoit une modération de l’inflation d’ici la fin de 2023, le marché de l’investissement en immobilier d’entreprise banalisé pourrait néanmoins rebondir au second semestre, « à condition que la situation bancaire et géopolitique internationale ne se dégrade pas davantage, que les politiques monétaires s’assouplissent et que les taux de rendement repartent plus franchement à la hausse », conclut Antoine Grignon.

  • Mise à jour le : 07/04/2023

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