Clause bénéficiaire « mes héritiers » : la recherche de la volonté du souscripteur est indispensable (Expertise Fidroit)

Par : edicom

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Ou comment identifier les bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie en présence d’un legs de quotité disponible…

Référence : Cass. civ. 1, 19 sept. 2018, n°17-23568

Ce qu’il faut retenir

En matière d’assurance-vie, la notion d’héritier n’est pas celle du Code civil. Aussi, un légataire de la quotité disponible peut être un « héritier » au regard du droit des assurances. C’est pourquoi le juge doit toujours rechercher la volonté du souscripteur quant à la répartition du capital-décès lorsque la clause bénéficiaire désigne « mes héritiers » et que cette désignation est ambiguë.

Ce libellé n’est pas toujours clair selon la situation familiale du souscripteur (qui a pu évoluer entre la désignation du bénéficiaire et le décès), la date de modification de la clause ou l’existence d’un testament. Qui le souscripteur voulait-il réellement désigner en utilisant ce terme ? C’est ce qu’il faut rechercher sans s’arrêter à une simple définition juridique.

La première chambre civile de la Cour de cassation réaffirme ce principe dans l’arrêt rendu le 19 septembre 2018, s’inscrivant ainsi dans la lignée de la jurisprudence de la seconde chambre civile, plus « spécialisée » en assurances.

Conséquences pratiques

Concernant la détermination du bénéficiaire des capitaux d’assurance-vie, la notion d’héritier est très extensive.

Lorsque le souscripteur-assuré a rédigé un testament pour organiser sa dévolution successorale, les juges du fond devront rechercher la seule volonté du souscripteur ; la notion juridique d’héritier est sans importance.

Avis Fidroit : La clause bénéficiaire « mes héritiers », sujette à interprétation lorsque le défunt a par ailleurs pris des dispositions testamentaires, doit être évitée dans la mesure du possible. Affiner cette désignation en mentionnant « les héritiers légaux » ou « les ayants-droit à titre gratuit » n’est pas forcément efficace en présence d’un testament puisque le juge pourra également être amené à interpréter la volonté du souscripteur en fonction du contexte. Aussi est-il préférable de désigner le bénéficiaire de manière claire et non équivoque, en indiquant ses nom, prénom, date et lieu de naissance et en prévoyant l’hypothèse du prédécès ou de la renonciation de celui-ci. Si le souscripteur d’un contrat d’assurance institue des légataires par testament, il apparaît opportun de confirmer la désignation bénéficiaire des contrats en cours, ou, au contraire, de l’aménager, dans le testament ou auprès de l’assureur.

Pour aller plus loin

Contexte

La formule « mes héritiers » peut désigner les bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie. En effet, l’article L. 132-8 du Code des assurances précise que la désignation comme bénéficiaire des « héritiers ou ayants-droit de l’assuré ou d’un bénéficiaire prédécédé » est « considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés ».

Une telle désignation est souvent mentionnée « à défaut » dans l’hypothèse où les principaux bénéficiaires seraient prédécédés ou n’auraient pas accepté le bénéfice du contrat. Elle peut aussi être imposée par un juge au souscripteur-assuré placé sous tutelle.

Dans tous les cas, cette désignation est source de contentieux lorsque le souscripteur-assuré a désigné par ailleurs un légataire universel ou d’autres personnes par testament. En effet, la dévolution successorale n’est plus celle prévue par la loi et la notion d’héritier est sujette à interprétation.

C’est pourquoi la jurisprudence sur cette question est foisonnante.

Une règle de portée générale a cependant été dégagée par la Cour de cassation : les juges du fond, dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation, doivent rechercher la volonté du souscripteur, sans s’arrêter à une définition juridique du terme « héritier ».

Tel a notamment été le cas dans un arrêt ayant retenu que le fait de désigner les héritiers bénéficiaires montrait la volonté du souscripteur de gratifier toutes les personnes ayant cette qualité et pas seulement le légataire universel (Cass. civ. 2, 12 mai 2010, n° 09-11256), ainsi que dans une décision récente ayant rappelé le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond concernant la volonté du souscripteur (Cass. civ. 2, 14 déc. 2017, n° 16-27206, voir notre actualité correspondante).

Cette solution a également été confirmée par deux réponses ministérielles (RM Roubaud, 17 juin 2008, n° 8657 et RM Laffineur, 28 juill. 2009, n° 44814).

L’arrêt rendu le 19 septembre 2018 s’inscrit dans ce courant.

Faits et procédure

Une personne, veuve, souscrit en 2007 un contrat d’assurance-vie et désigne l’un de ses trois enfants comme bénéficiaire des capitaux-décès. Quelques jours plus tard, elle souscrit un second contrat d’assurance-vie en désignant comme bénéficiaires ses héritiers.

La souscriptrice-assurée décède, laissant pour lui succéder deux fils et une fille. Le premier fils a été désigné légataire de la quotité disponible. Le second fils décède à son tour, laissant pour lui succéder son épouse et leurs deux filles. Un litige survient concernant la répartition des capitaux d’assurance-vie entre les héritiers.

La Cour d’appel condamne la compagnie d’assurances à verser un tiers des capitaux-décès à la fille et un tiers aux héritiers du fils décédé, en précisant que le legs de quotité disponible ne fait pas perdre aux héritiers légaux leur qualité.

Arrêt

La Cour de cassation, constatant l’absence de base légale de la décision au regard de l’article L. 132-8 du Code des assurances, casse et annule l’arrêt d’appel. Pour ce faire, la haute juridiction constate que la Cour d’appel n’a pas recherché, comme elle le devait, la volonté du souscripteur quant à la répartition du capital garanti.

Analyse

Une fois encore, la nécessité d’interpréter la volonté du souscripteur-assuré est rappelée. Cependant, il s’agit de la première décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation affirmant clairement cette solution (bien qu’elle l’ait établie de manière incidente dans un arrêt du 10 février 2016).

Par cet arrêt, celle-ci confirme ainsi la position de la seconde chambre civile, habituellement amenée à se prononcer sur ce type de problématique.

Remarque : La particularité de cet arrêt tient également au fait que la souscriptrice-assurée avait par ailleurs consenti un « legs de quotité disponible ». Mais même si le testateur laisse des héritiers réservataires à son décès, le legs de quotité disponible constitue un legs universel.

En revanche, si le testateur dispose que le legs s’élève à la quotité disponible existant au jour de la rédaction du testament, il s’agit d’un legs à titre universel, c’est-à-dire un legs portant sur une quote-part de biens successoraux.

Cette nouvelle illustration prétorienne démontre les risques que comporte une désignation vague des bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie. Aussi, l’abondante jurisprudence concernant la clause bénéficiaire désignant les héritiers milite en faveur d’une personnalisation des désignations bénéficiaires.

Seule une clause bénéficiaire rédigée avec précision permet d’assurer le respect de la volonté du souscripteur-assuré. Le rôle du conseil délivré par les professionnels du patrimoine en sera d’autant plus affirmé…

  • Mise à jour le : 22/11/2018

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