Donation au dernier vivant révoquée pour adultère

Par : edicom

Par Jean-Pascal Richaud, consultant formateur chez FAC Jacques Duhem

Une donation de bien à venir, dite « au dernier des vivants », entre époux, peut-elle être révoquée pour ingratitude, fondée sur l’adultère ? Réponse par Jean-Pascal Richaud, consultant formateur chez FAC Jacques Duhem

Une donation de bien à venir, dite « au dernier des vivants », entre époux, peut-elle être révoquée pour ingratitude, fondée sur l’adultère ? Et oui…, c’est possible…, mais sous certaines conditions.

La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 25 octobre 2017 (n°16-21136, F-P+B) a indiqué ce qui suit :

(…)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bastia, 25 mai 2016), que Didier X... s’est donné la mort le 7 août 2011 ; que MM. Charles et Thomas X..., (les consorts X...), enfants du défunt issus d’un précédent mariage, ont assigné Mme Y..., épouse de leur père, en révocation de la donation entre époux au dernier vivant que ce dernier lui avait consentie le 20 juin 2002 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme Y... fait grief à l’arrêt de déclarer recevable l’action en révocation introduite par les consorts X..., alors, selon le moyen :

1°/ que la prescription de l’action en révocation d’une donation pour ingratitude est acquise à l’expiration d’un délai d’un an à compter du fait reproché au gratifié ou de sa connaissance par le donateur ; qu’en affirmant que l’action n’était pas prescrite au motif que l’adultère étant un fait d’ingratitude prolongé, le point de départ du délai de prescription du délai était le moment où ce fait avait cessé, cependant que le fait d’adultère revêt un caractère instantané, la cour d’appel a violé l’article 957 du code civil ; 2°/ qu’en se bornant à affirmer, pour déclarer l’action recevable, que le point de départ de la prescription annale était le moment ou l’adultère avait cessé, sans déterminer la date à laquelle les relations adultérines supposées avaient cessé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 957 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant relevé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que les relations extra-conjugales entretenues par Mme Y... avaient perduré jusqu’au décès, le 7 août 2011, de Didier X..., qui n’en avait pas eu connaissance plus d’un an avant sa disparition, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action en révocation de la donation, introduite par acte du 26 juillet 2012, n’était pas prescrite ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que Mme Y... fait grief à l’arrêt de prononcer la révocation de la donation pour cause d’ingratitude,

alors, selon le moyen, que la donation entre vifs ne pourra être révoquée pour cause d’ingratitude si le donataire s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ; que seul l’adultère qui présente le caractère d’injure grave au sens de l’article 955 du code civil, peut entraîner la révocation de la donation ; qu’en se bornant à relever l’existence d’un adultère, sans caractériser en quoi, au regard des relations existantes entre Didier X... et son épouse, cet adultère présentait le caractère d’injure grave, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 955 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant relevé que les relations adultères, entretenues par Mme Y... avec un ami intime de son couple, avaient suscité des rumeurs dans leur village et que, depuis août 2010, les relations conjugales s’étaient détériorées, ce que Didier X..., très attaché à son épouse, avait vécu douloureusement ainsi qu’il s’en était ouvert auprès de ses proches auxquels il avait confié ses doutes, la cour d’appel, qui a caractérisé la gravité de l’injure faite à ce dernier, a légalement justifié sa décision ;

Sur le troisième moyen, ci-après annexé :

Attendu que ce moyen n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme Y... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à MM. X... la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq octobre deux mille dix-sept.

(…)

Observation(s) remarque(s) :

On croit se rappeler que la donation au dernier des vivants, (institution contractuelle) entre époux, est révocable « ad nutum », i.e. de manière discrétionnaire (C. civ., art. 1096) ; cette faculté ne peut pas être mise en oeuvre par les héritiers du donateur sauf pour eux à tenter d’exciper une révocation tacite…

Ce n’est pas la voie choisie dans l’arrêt sous analyse.

En effet, les héritiers ont intenté l’action en révocation de la donation au dernier des vivants pour ingratitude, fondée sur l’adultère de la donataire !

C’est possible ?! Et oui, mais sous réserve de respecter certaines conditions !

Tout d’abord ;

Les héritiers pouvaient-ils agir ? Oui, en application de l’article 957 al.2 du Code civil.

Jusqu’à quand ? Tout dépend de la date de survenance du délit d’adultère. S’il s’agit d’un fait continu, alors le point de départ du délai d’un an est le jour où le fait a cessé, ceci alors même que le donateur avait connaissance du délit (Cass. 1ère civ., 19 mars 1985, n°84-10237).

En l’espèce, c’était le cas, puisque l’épouse avait eu des relations hors mariage jusqu’au décès de son époux, le délai, d’un an pour agir, a donc commencé à courir uniquement au décès du donateur.

Ensuite ;

Il faut, d’une part, que les faits d’ingratitude invoqués soient justifiés pour déboucher sur une révocation de la donation, et qu’ils soient, d’autre part, d’une certaine gravité.

Effectivement, l’ingratitude peut être demandée mais uniquement pour certaines causes prévues à l’article 955 du Code civil.

Au cas examiné, les héritiers ont invoqué l’existence d’un adultère notoire, injure de la donataire envers le donateur, dont la gravité, nous rappelle la Cour suprême, relève de l’appréciation souveraines des juges du fond.

On retient donc que les juges du fond doivent non seulement caractériser l’injure causée par l’adultère mais également sa gravité, à défaut….

En l’espèce sous analyse, la Cour de cassation indique que la gravité est suffisamment caractérisée.

La donation est donc révoquée !

Pour résumer :

▪ L’adultère est une injure au sens et en application de l’article 955 du Code civil ;

▪ Cette injure peut être qualifiée, par les juges du fond, de grave avec pour effet la révocation de la donation ;

▪ Si et seulement si une action en justice est intentée par le donateur ou ses ayants droit, dans le délai imparti d’un an, dont le point de départ varie en fonction de la nature du délit d’adultère : fait produit en un trait de temps ou fait continu reportant le point de départ du délai d’un an pour agir à compter du décès du donateur, comme au cas soumis à la Cour de cassation le 25.10.2017.

 

Question subsidiaire : pourquoi avoir intenté une telle action ? Quels étaient le ou les enjeux ?

Ah oui, le ou les enjeux, ils étaient certainement multiples, mais en l’espèce, l’objectif était, vraisemblablement de réduire belle-maman à ses droits légaux d’un quart (1/4) en pleine propriété (C. civ., art. 757), droits supplétifs, liquidés ou calculés selon les prescriptions de l’article 758-5 du code précité, là où la donation entre époux, lui aurait offert plus ou mieux, en lui permettant d’opter pour la quotité disponible ordinaire, ou la totalité en usufruit, voire même pour un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit (C. civ., art. 1094-1), sans compter avec la rédaction de la donation en question, qui pouvait, le cas échéant, lui permettre d’opter pour la totalité en pleine propriété (si donation entre époux avec clause avec réduction facultative), lui conférant ainsi, depuis le décès de son mari, la pleine et entière propriété ainsi que la jouissance de tous les actifs patrimoniaux !!! etc… saisine du conjoint, action en réduction facultative et non de droit, en valeur depuis le 1er janv. 2007, etc….

On rajoutera, pour terminer cette brève analyse, que cette question est souvent abordée lors de nos formations consacrées au droit patrimonial de la famille.

 

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  • Mise à jour le : 21/12/2017

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