Les crypto-actifs : une régulation à renforcer

Par : edicom

La Cour des comptes vient de publier un rapport de quatre-vingt-huit pages dont l’objet est d’examiner les réponses apportées par l’Etat, en France, au développement de l’usage des crypto-actifs. Il décrit tout d'abord les défis que représente le développement rapide des crypto-actifs pour les politiques publiques, avant d’analyser les réponses apportées par l’État dans les domaines de la réglementation des prestataires, de la lutte contre le financement d’activités criminelles et de la fiscalité.

La valorisation du marché des crypto-actifs représentait 1 100 milliards de dollars fin 2023 et environ 14 millions d’utilisateurs au sein de la zone euro. Bien que les crypto-actifs aient un rôle actuellement marginal dans le financement de l’économie, leur développement constitue toutefois un défi pour les Etats en termes de contrôle des flux et de stabilité financière. En France et en Europe, les pouvoirs publics ont adapté certaines normes et établi une réglementation dédiée à ces actifs numériques, pour mieux les encadrer.

 

Un développement rapide qui représente un défi pour les politiques publiques

Dès 2019, la France s'est dotée d'une réglementation encadrant l'activité des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) selon deux niveaux graduels de contraintes. Le premier niveau repose sur un enregistrement obligatoire des PSAN par l'Autorité des marchés financiers (AMF), qui a permis d'établir un socle de contrôle minimal des acteurs. Le second niveau permet aux PSAN d'obtenir de l'AMF un agrément optionnel, à condition qu'ils disposent de règles prudentielles attestant leur maîtrise des risques financiers. Si ce régime a favorisé la constitution d'un écosystème dynamique sur le marché des crypto-actifs en France, avec l'enregistrement de 90 PSAN entre 2020 et 2023, il présente toutefois plusieurs limites. D'une part, les autorités peinent à lutter contre les opérateurs qui offrent des services en France sans y être enregistrés et les moyens manquent pour contrôler les comportements fautifs, dans un contexte de coopération variable entre les États. D'autre part, un seul agrément optionnel a été délivré par l'AMF durant cette période : la réglementation française n'a donc pas conduit les prestataires à se doter volontairement de règles prudentielles garantissant une meilleure maîtrise des risques liés à ces actifs. Conscientes de ces risques et des limites attachées aux normes nationales concernant un secteur dont les enjeux sont internationaux, les autorités françaises ont contribué à renforcer ces règles à l'échelle européenne.

 

L'adaptation en cours de la réglementation en France et en Europe

Le règlement européen MiCA (markets in crypto-assets), adopté en avril 2023, s'inspire du modèle français et le prolonge, en rendant obligatoires à l'échelle européenne les règles qui relevaient de l'agrément facultatif en France. Il redéfinit la notion de crypto-actifs et permet

aux prestataires agréés par un État membre de fournir des services dans l'ensemble du marché européen. Avant l'entrée en vigueur de ce règlement fin 2024, le Parlement français a prévu la mise en œuvre d'un enregistrement « renforcé » obligatoire pour la fourniture de services sur actifs numériques en France, dès le 1er janvier 2024. Ces évolutions de la réglementation vont accroître les missions de contrôle et de supervision de l'AMF et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Ces autorités devront conduire des vérifications plus approfondies dans des délais plus limités, tout en contribuant aux travaux de la Commission européenne sur plusieurs dossiers liés aux crypto-actifs, comme le traitement des jetons non-fongibles (NFT).

 

Une lutte complexe contre le financement d'activités criminelles

Du fait de l'anonymat des portefeuilles et du caractère entièrement virtuel des flux, les crypto-actifs présentent un risque élevé quant au financement d'activités criminelles. Les services en charge de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCBFT) se sont adaptés pour prendre en compte les spécificités des crypto-actifs. Depuis la loi Pacte, les PSAN enregistrés sont soumis aux mêmes obligations que les autres établissements financiers et contribuent à la LCBFT. L'État peut notamment tracer des flux de transactions, incriminer des plateformes et effectuer des saisies de crypto-actifs. Toutefois, l'État gagnerait à développer des outils en complément de ceux dont il dispose actuellement. Si les risques propres aux crypto-actifs sont désormais pris en compte dans la plupart des instances de coopération inter-étatiques, il reste nécessaire d'accélérer, sur le plan national, la montée en compétence des PSAN sur la LCBFT. Les obligations pesant sur les plateformes d'échange de NFT en matière de LCBFT pourraient également évoluer à l'issue du rapport que la Commission européenne doit produire d'ici 2024.

 

Des dispositions fiscales trop peu connues, des ajustements nécessaires

L'administration fiscale dispose de très peu de données sur la détention des crypto-actifs et les revenus qu'ils génèrent. Pour l'année 2021, 20 000 contribuables ont déclaré des plus-values de cession de crypto-actifs aux services fiscaux, pour un montant total d'environ 400 M€. Concernant les transactions dans un cadre non professionnel, la France applique un régime de taxation à la sortie de la sphère des crypto-actifs : seule la cession des actifs numériques contre des monnaies « fiat », des biens ou des services, donne lieu à une imposition. Ce régime fiscal simplifié est cependant inadapté à l'utilisation des crypto-actifs comme moyens de paiement, alors que le règlement MiCA fait des jetons de monnaie électronique une catégorie à part entière des crypto-actifs. Il devrait également évoluer pour prendre en compte la diversité croissante des NFT, dont certains ne seront à l'avenir plus assimilables à des actifs de type financier. Enfin, la révision des normes européennes de coopération fiscale entre les États devrait améliorer la visibilité des administrations fiscales à partir de janvier 2026. Sans attendre, la Cour appelle la direction générale des finances publiques à mieux informer les contribuables de la fiscalité applicable aux diverses opérations sur actifs-numériques et à se doter d'une stratégie pour intensifier ses contrôles.

  • Mise à jour le : 22/12/2023

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