Quasi-usufruit : une dette pas encore effacée

Par : edicom

Par Pascal Pineau, fondateur d’Atelier Formation Pascal Pineau (AF2P)

Le quasi-usufruit peut naître principalement d’une succession, d’une donation ou d’une clause bénéficiaire d’assurance. Et dans ces différentes circonstances, d’ailleurs, il peut apparaître immédiatement ou plus tard, à l’occasion d’un arbitrage notamment. Aujourd’hui, à la suite d’une réforme bâclée intervenue dans le cadre de la loi de finances pour 2024, il est dans l’œil du cyclone. Raison de plus pour s’intéresser, au-delà des situations visées, à toutes les possibilités restantes.

Deux mots sur le quasi-usufruit d’abord : « si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, (...) l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution » (C. civ., article 587).

Voilà notre usufruitier, qualifié de quasi-usufruitier, qui prend la main sur les sommes pour en disposer comme un plein propriétaire, à charge néanmoins de les rendre, en principe à son décès.

 

Une créance qui a du sens…

De là naît la créance de restitution du ou des nus-propriétaires contre la succession de l’usufruitier. Et un traitement fiscal que la logique commande d’harmoniser. Or, là où parfois il est nécessaire de faire des pieds et des mains pour y parvenir, rien de tel au cas particulier : tout s’accordait donc jusqu’ici parfaitement. La déductibilité de la créance de restitution déclinait le fameux principe de l’article 1133 du CGI selon lequel « la réunion de l’usufruit à la nue-propriété(1) ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu (...) par le décès de l’usufruitier ». Il convenait simplement de veiller à ne pas succomber à la présomption de fictivité qui vise les dettes consenties par le défunt au profit de ses héritiers ou de personnes réputées interposées (CGI, art. 773, 2), en respectant les formes(2) au besoin – et même, à vrai dire, en présence d’un quasi-usufruit trouvant sa cause dans la loi, situation pourtant officiellement épargnée par la présomption.

Tout s’accordait parfaitement, donc. Avant qu’un texte, passé à la hussarde, très probablement avec Bercy aux ficelles, ne vienne chambouler un paysage harmonieux.

 

Stopper la mécanique infernale !

Sorti officiellement du chapeau des sénateurs Goulet, Canévet et Vermeillet, le nouvel article 774 bis du Code général des impôts a été introduit par l’article 26 de la loi de finances pour 2024.

Le législateur a ainsi colmaté le front après une défaite devant le Comité de l’abus de droit fiscal à propos d’une donation-partage faite aux enfants et portant sur la nue-propriété d’une somme d’argent (CADF/AC n° 1/2023, 11 mai 2023, Aff. n° 2022-15).

Si le Comité valide de manière générale la donation avec réserve de quasi-usufruit, il limite néanmoins la solution à une somme qui « devait être présente à la date à laquelle cette donation était consentie ».

La passe d’armes est intéressante également en ce qu’elle nous renseigne sur la manière dont l’administration, qui s’est rangée bon gré mal gré à l’avis du Comité, envisage la donation incriminée. Cette dernière est décrite comme « fictive, faute de dessaisissement de la donatrice et, par suite, d’intention libérale », et manifestement « destinée à réduire la base taxable au moment de la succession en raison de l’obligation de restitution pesant sur l’usufruitier d’une somme d’argent ».

Aussi l’administration ne pouvait se résoudre à ne contenir l’adversaire qu’aux marges (250 000 euros absents des comptes rattrapés par l’abus de droit sur 3 200 000 euros), même avec une majoration à 80 % pour augmenter l’addition.

La riposte législative n’a donc pas tardé. Sans doute a-t-elle même été trop hâtive.

 

La pire contre-attaque !

S’imposant sciemment et expressément « par dérogation à l’article 1133 », le texte affirme que « ne sont pas déductibles de l’actif successoral les dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit » (CGI, art. 774 bis, I, al. 1er)

C’est donc bien la donation avec réserve de quasi-usufruit qui est visée. Sont, en revanche, épargnées les « dettes de restitution contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit », mais, pour faire bonne mesure, « sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal ».

Notons, mais sans insister par charité, que sont sauvés des eaux les « usufruits qui résultent de l’application des articles 757 ou 1094-1 du Code civil » que le texte ne peut en aucun cas atteindre… puisqu’il n’existe pas de réserve d’usufruit au préalable dès lors que le conjoint survivant reçoit le droit réel par application de la loi ou par – dernière – volonté du défunt.

Notons brièvement les quelques aménagements prévus à la va-vite, comme imputation – mais pas restitution – des droits payés lors de la donation et neutralisation du rappel fiscal (CGI, art. 784), qui ne peuvent que laisser le lecteur averti sur sa faim et les cohéritiers vaguement inquiets, tant la nouvelle dérogation au droit civil introduite apparaît approximative, résultat qui n’a malheureusement rien de bien surprenant dans la précipitation.

Et la clause démembrée dans tout ça, me direz-vous ?

 

Pas dans la cible !

Eh bien la clause démembrée n’est pas non plus visée par le nouveau texte. Là encore, pas de réserve d’usufruit mais un usufruit reçu, par la voie bénéficiaire cette fois-ci. L’absence de référence à cette situation ne doit pas générer de craintes particulières, la mesure anti-abus instaurée ne pouvant être que d’application stricte. D’aucuns considéreront, non sans quelque raison, que l’étau se resserre encore. Mais à chaque jour suffit sa peine…

Reste, en revanche, la question du quasi-usufruitier qui souscrirait en pleine propriété un contrat d’assurance dont il serait l’assuré.

 

Position maintenue

Je continue à affirmer, au regard des textes actuels, que ces avantages sont légitimes, séparément bien sûr, mais également ensemble(3). Leur cumul ne pourrait poser problème qu’en cas de démonstration d’un abus de droit, délicate dès lors que le conseiller proposant l’assurance vie aura veillé à l’intérêt de cette dernière pour le souscripteur lui-même. La jurisprudence, sans surprise, est pour l’heure favorable.

 

Les juges appliquent le droit du démembrement

La cour d’appel de Douai (12 mai 2016, n° 15/03664) a ainsi considéré que « la désignation de son héritier comme bénéficiaire des contrats ne constitue pas un moyen de paiement anticipé de la dette de l’usufruitier, étant observé que les sommes acquises par le bénéficiaire d’une assurance-vie font l’objet d’une imposition propre » (en l’occurrence, CGI, article 757 B), là où l’administration affirmait que la désignation du nu-propriétaire et héritier comme bénéficiaire, avec le dénouement du contrat, avaient éteint la dette.

La position du TGI de Lille mérite mention au passage : « le choix de la manière dont l’usufruitier utilise les fonds dont il a la disposition est indifférent au principe même de la dette de restitution ».

L’analyse est limpide : les deniers utilisés pour la souscription des contrats d’assurance-vie « n’ont pas été conservés par l’usufruitier ni rendus au nu-propriétaire » et « constituent donc une dette de restitution », alors déductible sans les bornes entre-temps posées. Evidemment, les restrictions frappant désormais la déductibilité de la créance de restitution frapperont ici comme ailleurs. La chose est de nature à calmer quelques ardeurs – dont certaines, nous le répétons depuis longtemps, portent le contribuable à l’excès sinon à l’abus.

Que faire pour ceux qui se seraient imprudemment aventurés sur le terrain de la donation avec réserve de quasi-usufruit suivi de l’investissement des fonds en assurance vie – solution qu’alors déjà nous déconseillions aux gens raisonnables ?

 

Désignation onéreuse pour dette maltraitée

Dès lors que le nouvel article 774 bis du CGI s’applique aux successions ouvertes depuis le 29 décembre 2023, il pourrait être envisagé de regarder du côté de la désignation à titre onéreux.

En effet, autant éteindre par la voie bénéficiaire une dette qui ne serait pas déductible et éviter, pour la quote-part des sommes versées ainsi utilisée, l’application de la fiscalité bénéficiaire au capital ou aux primes (CGI, art. 757 B et/ou 990 I). Si elle s’avérait par trop efficace, la solution déplairait, à n’en pas douter, à une administration fiscale qui pourrait alors attaquer, ce qu’elle ne manquerait pas de décrire comme un montage visant exclusivement à contourner le dispositif anti-abus.

Terminons par un regret qui peut se faire conseil.

 

Continuer dans le discontinu et sans ligne ?

Fin 2021 déjà, le Conseil d’analyse économique (CAE) avait invité, entre autres mesures, à procéder à l’« intégration de l’assurance-vie au barème général des DMTG » et à « taxer la réunion de l’usufruit et de la nue-propriété au décès du donateur » . Peut-être avons-nous affaire aux prémices de la réalisation d’un programme susurré par l’administration à ceux qui conseillent ou décident.

Il ne faut pas que nous restions sourds aux chuchotements qui annoncent les mauvaises nouvelles. Les choix du législateur mériteraient, à mon sens, d’être intégrés dans une stratégie d’ensemble, plutôt que de relever de multiples coups de main, lesquels brillent souvent plus par leur audace juridique malvenue que par leur pertinence économique.

Taper à droite à gauche en tordant frénétiquement le droit sans autre idée que de punir de présumés coupables ne mène à rien de bon. Manque une véritable vision. De la cohérence naîtrait davantage d’efficacité, avec probablement l’acceptation plus grande liée qu’entraîne souvent la compréhension des buts. Et nous, et nous ? Eh bien, comme toujours, nous nous adapterons…

1. De réunion, il n’y a point ; c’est d’une extinction dont il s’agit, l’absence de mutation justifiant l’absence de taxation.

2. Elles sont déductibles si elles ont été « consenties par un acte authentique ou un acte sous seing privé ayant acquis date certaine avant l’ouverture de la succession autrement que par le décès d’une des parties contractantes » (BOI-ENR-DMTG-10-40-20-20, n° 80).

3. Quasi-usufruit et assurance-vie : la possibilité du tout gratuit : article paru sur af2p.fr, le 2 janvier 2023.

4. Repenser l’héritage, Les notes du conseil d’analyse économique, n° 69, décembre 2021.

  • Mise à jour le : 19/04/2024

Vos réactions