Location en meublé : amortissement de l’usufruit viager

Par : edicom

Par Jacques Duhem (Fac JD et Associés)

Un loueur en meublé peut-il amortir l’usufruit de l’immeuble utilisé pour son activité ? Pour les praticiens, comptables et juristes la réponse à cette question est bien évidemment positive. Les droits civil et comptable fournissent de solides arguments an faveur de cette réponse. De brillants commentaires ont été publiés au cours de deux dernières décennies sur ce sujet.

En s’appuyant sur des jurisprudences anciennes du Conseil d’Etat (datant de 1936 et 1965) la doctrine administrative toujours en vigueur à ce jour (BOI-BIC-AMT-10-20-20170301, §260) précise que les éléments mobiliers ou immobiliers dont une entreprise industrielle ou commerciale a la jouissance en qualité d’usufruitier ne font pas partie de son actif. Cette entreprise, dès lors, ne peut pratiquer aucun amortissement à raison de ces éléments. Elle est seulement admise à déduire de ses bénéfices les charges supportées par elle, au cours de l’exercice pour satisfaire à ses obligations d’usufruitier (CE, 16 novembre 1936 n° 48224, RO, 6587 et CE, 8 novembre 1965 n° 63472, RO, p. 426). À l’inverse, un bien possédé en nue-propriété peut figurer dans un actif commercial et donner lieu en conséquence à amortissement (CE, 5 octobre 1977 n° 04718).

Cette doctrine a d’ailleurs été confirmée par une réponse ministérielle au sénateur Frassa en date du 28 septembre 2017 (JO Sénat du 14/12/2017 - page 4494).

La question visait les conséquences d’un démembrement successoral.

Lorsque, à la suite d’une succession, la propriété d’un logement loué meublé est partagée entre un nu-propriétaire et un usufruitier relevant d’un régime réel d’imposition, les loyers sont imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux entre les mains de l’usufruitier qui ne peut pratiquer aucun amortissement à raison de ce logement dès lors que celui-ci ne fait pas partie de son actif immobilisé. Tels sont les éléments de réponse qui peuvent être apportés faute d’informations plus précises sur la situation visée par l’auteur de la question.

Depuis plus de 20 ans, cette doctrine administrative absurde est combattue devant les tribunaux.

Un premier jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 21 novembre 1996 (n° 95-1701) avait déjà censuré l’analyse du fisc.

De nombreuses décisions allant dans le même sens ont été depuis régulièrement publiées.

Il y a quelques jours, le Conseil d’Etat est intervenu et apporte une vision claire de la problématique. Selon lui la déduction d’un amortissement est parfaitement justifiée.

En 1996, le Conseil d’Etat avait eu à statuer sur les conditions d’amortissement d’un actif incorporel (n° 154488 du 21/08/1996). Pour la haute juridiction, l’amortissement devait être pratiqué en présence des critères suivants : une source régulière de profits, dotés d’une pérennité suffisante et susceptibles de faire l’objet d’une cession.

Consel d’Etat (9e et 10e ch., 24 avril 2019, n° 419912)

Les faits

Le contribuable détient le droit d’usufruit viager d’un bien immobilier loué de manière habituelle en meublé. La nue-propriété de ce bien étant détenue par une société civile immobilière. Il a déduit de son résultat imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. L’administration a remis en cause l’amortissement du droit d’usufruit viager.

Les textes

L’article 39 du code général des impôts dispose : « Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, (...), notamment : (...) / 2° (...) les amortissements réellement effectués par l’entreprise ».

Aux termes de l’article 322-1 du plan comptable général dans sa rédaction applicable au litige : « 1. Un actif amortissable est un actif dont l’utilisation par l’entité est déterminable. / 2. (...) / L’utilisation d’un actif est déterminable lorsque l’usage attendu de l’actif par l’entité est limité dans le temps. Cet usage est limité dès lors que l’un des critères suivants, soit à l’origine, soit en cours d’utilisation, est applicable : physique, technique juridique. (...) ».

Il résulte de ces dispositions qu’un élément d’actif incorporel ne peut donner lieu à une dotation annuelle à un compte d’amortissement que s’il est normalement prévisible, lors de sa création ou de son acquisition par l’entreprise, que ses effets bénéfiques prendront fin à une date déterminée .

La Cour rappelle qu’il résulte des dispositions du Code civil (Art. 595) que l’usufruit viager est limité dans le temps et qu’il est, en tant que droit réel, cessible. Ses effets bénéfiques diminuent chaque année.

La décision

Dès lors, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé que la valeur de l’usufruit viager est dégressive avec le temps et que cette dépréciation peut justifier un amortissement.

Comment calculer l’amortissement ?

En vertu des dispositions de l’article 669 du code général des impôts, relatif à la liquidation des droits d’enregistrement et de la taxe sur la publicité foncière en cas de démembrement de propriété, la valeur de l’usufruit est déterminée, sur le plan fiscal, en fonction de l’âge de l’usufruitier et de son espérance de vie telle qu’elle ressort des tables de mortalité établies par l’institut national de la statistique et des études économiques. Il est dès lors possible de déterminer la durée prévisible des effets bénéfiques d’un usufruit viager en tenant compte de l’espérance de vie de son titulaire, estimée à partir de ces tables de mortalité. (Formulation du Conseil d’Etat)

Il s’ensuit qu’en jugeant que, compte tenu de l’âge de l’usufruitier et de son espérance de vie déterminée à partir de ces données, une période de vingt ans correspondait à la durée prévisible durant laquelle l’usufruit viager produirait des effets bénéfiques sur l’activité de loueur en meublé de l’intéressée, la cour d’appel dont la décision était attaquée, qui n’a pas dénaturé les pièces du dossier, n’a entaché ses arrêts ni d’erreur de droit, ni d’inexacte qualification juridique des faits.

L’analyse comptable

Quelles sont les normes comptables en la matière ? Le Conseil national de la comptabilité préconise l’inscription à un compte d’actif le prix d’acquisition d’un usufruit portant sur des biens sociaux (Bulletin CNC n°51, sept. 1983). Nous devrions faire de même s’il s’agit d’un usufruit portant sur un droit réel immobilier.

Les normes internationales (norme I ASC 238) vont également dans ce sens puisqu’elles préconisent d’inscrire à un compte d’immobilisation les éléments incorporels dont la valorisation est fiable et procurant des avantages bénéfiques pour l’entreprise. Les normes IFRS précisent que le droit devra suivre l’inscription du bien sur lequel il repose.

L’article 322-1 du PCGP précise : Un actif amortissable est un actif dont l’utilisation par l’entité est déterminable.

L’utilisation pour une entité se mesure par la consommation des avantages économiques attendus de l’actif. Elle peut être déterminable en termes d’unités de temps ou d’autres unités d’œuvre lorsque ces dernières reflètent plus correctement le rythme de consommation des avantages économiques attendus de l’actif.

L’utilisation d’un actif est déterminable lorsque l’usage attendu de l’actif par l’entité est limité dans le temps. Cet usage est limité dès lors que l’un des critères suivants, soit à l’origine, soit en cours d’utilisation, est applicable : physique, technique, juridique. Ces critères ne sont pas exhaustifs.

On espère que Bercy pourra revoir son analyse et se rallier (enfin !) à la position unanime de la jurisprudence et à l’analyse comptable.

 

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  • Mise à jour le : 16/05/2019

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