Vers un chamboulement des règles d’assujettissement à la TVA des activités d’hébergement ?

Par : edicom

Par Jean-Louis Le Boulc’h, avocat spécialisé en droit fiscal et droit des sociétés, au sein du cabinet Agik'A, à Annecy-le-Vieux

Le Conseil d’Etat, saisi par une question préjudicielle formulée par la cour administrative d’appel de Douai s’est prononcé, le 5 juillet dernier, sur la conformité de la loi française (article 261 D 4° b du Code général des impôts) avec la directive 2006/112/CE, qui fixe les règles que doivent appliquer les Etats membres aux prestations de para-hôtellerie. 

Cet avis contentieux avait conclu à la non-conformité partielle de l’article 261 D 4° b du Code général des impôts avec les normes édictées par le droit communautaire, selon lesquelles sont exclues de l’exonération « les opérations d’hébergement telles qu’elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, y compris les locations de camps de vacances ou de terrains aménagés pour camper »

Il était, dès lors, prévisible que le gouvernement proposerait, par la voie d’un amendement, une modification de ces dispositions afin d’intégrer, en particulier, le critère de la durée des séjours regardé par le Conseil d’Etat comme déterminant pour apprécier le caractère hôtelier ou non de la prestation d’hébergement, étant observé que dans les établissements hôteliers, dédiés à l’accueil d’une clientèle touristique de passage, les séjours sont, généralement, de brève durée. 

Un amendement a, en conséquence, été présenté par le gouvernement sous le numéro I-5374. Celui-ci prend la forme d’un article additionnel visant à insérer, après l’article 10 du projet de loi de finances pour 2024, l’article suivant :

« Le chapitre premier du titre II de la première partie du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Au 4° de l’article 261 D :

a) Le a est abrogé ;

b) Le b est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :

« b. Aux prestations d’hébergement fournies dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire qui remplissent les conditions cumulatives suivantes :

« - elles sont offertes au client pour une durée n’excédant pas trente nuitées, sans préjudice des possibilités de reconduction proposées ;

« - elles comprennent la mise à disposition d’un local meublé et au moins trois des prestations suivantes : le petit déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle ; » ;

c) Après le b, il est inséré un b bis ainsi rédigé :

« b bis. Aux locations de logements meublés à usage résidentiel dans le cadre de secteurs autres que ceux mentionnés b, qui sont assorties de trois des prestations suivantes : le petit déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle ; » ;

d) Au c les mots : « a ou b » sont remplacés par les mots : « b ou b bis » ;

2° Au a de l’article 279 :

a) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :

« À la fourniture d’un hébergement dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire et répondant aux conditions fixées au b du 4° de l’article 261 D ; » ;

b) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À la location de logements meublés répondant aux conditions fixées au b bis du 4° de l’article 261 D ; » ;

3° Le c du 5° du 1 du I de l’article 297 est abrogé. »

Le nouveau paysage qui se dessine ainsi est le suivant.

Demeureraient assujetties à la TVA les prestations d’hébergement dédiées à l’accueil d’une clientèle touristique de passage (trente nuitées maximum), sous réserve qu’elles incluent, indépendamment de la mise à disposition d’un logement meublé, au moins trois des prestations suivantes :

- le petit déjeuner, 

- le nettoyage régulier des locaux, 

- la fourniture de linge de maison, 

- la réception, même non personnalisée, de la clientèle.

Demeurerait également soumise à TVA la location de logements meublés à usage résidentiel dans le cadre de secteurs autres que ceux mentionnés au b (secteur hôtelier + secteurs ayant une fonction similaire), sous réserve qu’elle soit assortie des mêmes prestations para hotellières que celles ci-avant énoncées (trois sur quatre).

Il convient de retenir de l’amendement ainsi proposé par le gouvernement que demeureraient dans le champ de la TVA les loyers versés aux propriétaires de logements au sein de résidences pour étudiants, de résidences pour personnes âgées non dépendantes (seniors), ou encore de personnes âgées dépendantes (Ehpad). Une inquiétude avait en effet surgi, à la lecture de l’avis du Conseil d’Etat, que les dispositions nouvelles réservent le principe de l’assujettissement aux seules prestations d’hébergement susceptibles d’entrer en concurrence avec le secteur hôtelier, celles-ci étant caractérisées par la brièveté des séjours.

De toute évidence, le gouvernement n’a pas entendu écarter du champ de la TVA les résidences avec services où les séjours sont de longue durée, puisque, dans la majorité des cas, les personnes hébergées au sein des résidences précitées y fixent leur résidence principale. 

Il peut être observé que l’amendement déposé, et adopté du fait du recours à l’article 49.3 de la Constitution, n’a pas entendu rattacher les prestations fournies au sein de ces établissements à un « secteur ayant une fonction similaire au secteur hôtelier », comme cela avait été envisagé par certains, pour retenir la notion d’immobilier à usage résidentiel.

Il s’est référé, à cette fin, à une « ouverture » offerte par la directive de 2022, et qui avait modifié le point 10 de l’annexe III de la directive de 2006, relatif à l’application du taux réduit, en y ajoutant la location de biens immobiliers à usage résidentiel : 

« L’annexe III de la directive 2006/112/CE est modifiée comme suit : […]

2) Les points 10) et 10 bis) sont remplacés par le texte suivant :

« 10) la livraison et la construction de logements, dans le cadre de la politique sociale, telle qu’elle est définie par les États membres ; la rénovation et la transformation, y compris la démolition et la reconstruction, et la réparation de logements et de logements privés ; la location de biens immobiliers à usage résidentiel ; »

Cette modification avait pour but de soumettre au taux réduit de TVA la location de biens immobiliers à usage résidentiel, acception qui, a priori, correspond aux résidences pour étudiants, mais également aux résidences destinées à l’accueil de seniors.

Il est donc cohérent et légitime que l’Etat français, s’emparant de ces dispositions communautaires, en ait tiré la conséquence que si les prestations d’hébergement effectuées au sein de tels locaux bénéficiaient du taux réduit (10 % de TVA), cela signifiait nécessairement, corrélativement, le principe de leur assujettissement à la TVA.

Il est observé, néanmoins, que le principe de l’assujettissement à la TVA des locations de biens immobiliers à usage résidentiel est subordonné à la fourniture des services para hôteliers traditionnellement visés à l’article 261 D 4° b du Code général des impôts, ce qui signifie que toutes les locations concernées ne seraient pas assujetties à la TVA. 

L’Etat français a parfaitement le droit, selon les principes communautaires, de subordonner le principe de l’assujettissement à la TVA au respect de certaines conditions. 

S’agissant du risque – susceptible d’être évoqué – selon lequel la notion de « bien immobilier à usage résidentiel » ne concernerait que les logements sociaux, il semble a priori que cette inquiétude doive être levée du fait même de la rédaction du texte, mais également parce que l’objectif qui semble poursuivi par le gouvernement est de maintenir dans le champ de la TVA les activités d’hébergement exercées au sein de résidences avec services, où les séjours sont de longue durée, telles que les résidences pour étudiants ou les résidences seniors. 

Concernant, par ailleurs, le fait que la France ait choisi de retenir un délai de trente jours pour déterminer le caractère hôtelier de l’activité, il peut être observé que le Code du tourisme caractérise le séjour hôtelier comme effectué « à la journée, à la semaine ou au mois», ce qui rend parfaitement cohérente la position adoptée par le gouvernement lors de la rédaction de l’amendement, même si d’autres pays, comme l’Allemagne ou la Belgique, ont pu retenir des durées plus longues.

Plusieurs points relatifs à la formulation de l’amendement suscitent cependant l’étonnement : 

- Il peut être observé, en premier lieu, que le texte ne prévoit pas, comme le faisait l’article 261 D 4° b du Code général des impôts, que les services annexes à l’hébergement soient fournis selon des modalités similaires à celles des établissements hôteliers exploités de manière professionnelle. Il peut être relevé, néanmoins, que la référence aux usages professionnels est à l’origine de très nombreux litiges contentieux, qui ont encombré la juridiction administrative depuis de nombreuses années. Il n’est pas exclu, dès lors, que le rédacteur de l’amendement, conscient des difficultés soulevées par une interprétation trop restrictive de ces dispositions par l’administration, ait choisi délibérément d’écarter la référence aux usages hôteliers, qui n’apparaît pas appropriée pour certaines résidences, telles que les résidences pour étudiants, par exemple, où le service d’accueil n’a pas à être identique à celui des établissements hôteliers, dès lors que les étudiants disposent, le plus souvent, d’un code d’accès à l’immeuble où ils sont hébergés, ainsi que de la clé de leur logement. Il sera intéressant, sur ce point, d’attendre les précisions que ne manquera pas d’apporter la doctrine administrative si, toutefois, ces dispositions sont votées en l’état. 

- En second lieu, une critique peut être apportée à la formulation du projet d’amendement, relative au caractère cumulatif d’hébergement « court séjour » et de la fourniture des prestations para hôtelières ci-avant évoquée. Demeureraient, en effet, exclues du champ de la TVA les prestations fournies par les propriétaires de logements proposés à la location au profit d’une clientèle touristique de passage (style Airbnb), si trois au moins des quatre prestations annexes ci-avant évoquées ne sont pas proposées. Le Conseil d’État avait clairement mis en avant, comme un paramètre d’appréciation pertinent, le fait que l’activité d’hébergement soit en concurrence avec celle du secteur hôtelier.  Or, de toute évidence, les prestations d’hébergement fournies par les meublés de tourisme et par les personnes ayant recours à des plates-formes telles que Airbnb, Homeaway, Séjourning ou Abritel, sont en concurrence avec celles des hôtels de tourisme, ce que ne manquent pas de relever les exploitants de ces derniers établissements, qui crient régulièrement à la « concurrence déloyale ».  Il subsistera donc, en l’état, une distorsion dans les conditions de la concurrence, puisque les établissements hôteliers seront, de plein droit, assujettis à la TVA, alors que les séjours touristiques qui, pourtant, relèvent d’un secteur similaire à celui de l’hôtellerie, ne le seront pas. 

Cette anomalie pourrait néanmoins être corrigée par une directive européenne en cours de préparation (Vat In the Digital Edge, VIDA), selon laquelle seraient assujetties à la TVA les prestations d’hébergement fournies par les personnes ayant recours aux plates-formes numériques précitées. Il semble que les professionnels du secteur de l’hébergement n’aient pas émis de critiques contre la nouvelle formulation de ces dispositions, telle que proposée. Il est prévisible, dès lors, que cet amendement sera confirmé par le Sénat, ou ne fera l’objet que de modifications non substantielles dans le cadre des débats parlementaires.

Un point demeurera néanmoins à examiner : celui des conséquences de ces modifications législatives, si elles sont adoptées, sur la qualification de l’activité : location meublée ou parahôtellerie ? On sait que la doctrine administrative subordonne la qualification de location meublée au fait que les prestations para hôtelières prévues par l’article 261 D 4° b du Code général des impôts ne sont pas fournies, ou le sont dans des conditions non suffisamment hôtelières. Par exemple, lorsque le service de ménage n’est effectué qu’après le départ du locataire et n’est pas proposé pendant le séjour, la prestation n’est pas regardée comme hôtelière et ne permet pas, par suite, l’assujettissement à la TVA, si toutefois deux autres prestations sont seulement proposées. 

Il sera intéressant d’examiner si ces mêmes paramètres d’appréciation sont retenus par l’administration.  Il est donc prévisible que le chapitre des réformes relatives aux prestations d’hébergement ne soit pas clos, ce qui impliquera de rester attentif aux modifications qui pourraient être constatées sur ce point, dans les semaines ou les mois à venir.

  • Mise à jour le : 02/11/2023

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