Praslicka : trente ans, sans sourciller !

Par : edicom

Par Pascal Pineau, dirigeant de Atelier Formation Pascal Pineau (www.af2p.fr)

L’arrêt Praslicka fête ses trente ans. Triomphe de la logique économique, cependant rendu contre vents et marées, il a marqué un cap dont nul ne s’est détourné depuis lors. A n’en pas douter, le secret pour durer !

Les trente ans de l’arrêt Praslicka (Cass. 1re civ., 31 mars 1992, n° 90-16.343) doivent être pour nous l’occasion de brosser un portrait actuel de l’assurance-vie sur fond de communauté légale, jusqu’à un rapide ricochet fiscal toujours éclairant. Avec un constat inchangé depuis 1992 : en matière financière notamment, le droit court toujours après l’économie.

Communauté contagieuse

Au commencement fut donc l’arrêt Praslicka. Rendu au début des années quatre-vingt-dix, alors que l’assurance-vie creusait son sillon et que les récoltes devenaient plus consistantes. Inscrivons-nous dans les pas des magistrats pour en rappeler le contenu.

L’objet du débat : « au cours de la communauté, [le mari] a souscrit une assurance-vie mixte dont le capital lui a été versé, à la date d’échéance, postérieurement à l’assignation en divorce ». Comment traiter ce contrat ?

La solution : « les primes de cette assurance en cas de vie du souscripteur avaient été payées avec des fonds communs jusqu’à la dissolution de la communauté, si bien que la valeur de la police faisait partie de l’actif de celle-ci ».

Les conséquences pratiques : dès lors que le mari « avait reçu le capital prévu au contrat après la dissolution, ce qui établissait que les droits nés de ce contrat lui avaient été attribués, (…) il devait être tenu compte dans les opérations de partage de la valeur du contrat au jour de la dissolution de la communauté ».

Conséquences et cascades

L’arrêt, frappé au coin du bon sens, quant à la solution si ce n’est par le chemin suivi, dérangeait. Notamment parce que l’inclusion dans la communauté pouvait conduire à une entrée tonitruante en succession, fusse pour moitié, et, dans le prolongement, à une mauvaise rencontre, celle des droits de mutation à titre gratuit.

D’où un certain nombre de réactions franchement hostiles. Et des tentatives plus ou moins adroites afin de saper la crédibilité, ou pour le moins réduire la portée, de l’arrêt, avec par exemple l’arrêt Praslicka concernant une situation de divorce.

Face à l’utile conviction du monde de l’assurance, restait à savoir si l’arrêt demeurerait coup d’épée dans l’eau ou s’il augurerait d’une fronde large et durable du droit civil.

Les juges persistent et signent !

Les magistrats n’ont jamais voulu en démordre, consolidant leur ouvrage au fil des ans. L’arrêt Praslicka a donc inauguré le chapitre de la financiarisation, et en conséquence de la banalisation, d’une assurance vie regardée avant tout comme un produit de placement. Logée au sein de la communauté, elle a vu sa position confirmée à plusieurs reprises.

En premier lieu, dans un arrêt prenant place treize ans plus tard (Cass. 1re civ., 19 avril 2005, n° 02-10.985). L’objet du litige cette fois-ci : un contrat en cours à la date de dissolution de la communauté souscrit par le mari auprès de l’Afer, contrat qui « lui permettait de constituer, par versements provenant de la communauté, une épargne retraite, avec garantie du maintien des résultats acquis par ce placement, tout en lui laissant la disposition à sa convenance des sommes épargnées ».

La position réaffirmée : « entrait dans l’actif de la communauté une somme représentant l’épargne faite sur un contrat d’assurance-vie ». La raison principale : « une exacte application de l’article 1401 du Code civil » ; étant précisé que « l’éventuel caractère aléatoire du contrat ou encore l’existence d’une contre-assurance étant indifférents à la solution apportée au litige ».

Dans une autre affaire, alors que la cour d’appel d’Agen affirme qu’« il résulte d’une lecture combinée des dispositions du contrat et de celles du code des assurances qu’au décès de son épouse, [le mari] a été bénéficiaire du contrat qui constitue un propre pour celui-ci, peu important que les primes aient été payées par la communauté », la Cour de cassation lui répond qu’elle « avait constaté que le contrat s’était poursuivi avec [le mari] en qualité de seul souscripteur, ce dont il résultait qu’il ne s’était pas dénoué au décès de l’épouse, que sa valeur constituait un actif de communauté et que la moitié de celle-ci devait être réintégrée à l’actif de la succession de la défunte » (Cass. 1re civ., 26 juin 2019, n° 18-21.383). Solution réaffirmée de manière on ne peut plus claire !

Distinguer pour mieux saisir

La victoire de la communauté, néanmoins, n’est pas complète. Seule la valeur de rachat intègre la communauté. Nous verrons plus loin une manifestation éclatante du caractère personnel, avec la désignation bénéficiaire. La distinction entre titre et finance opérée ici relève de l’art délicat des conteurs, cet art qui consiste à mentir pour dire la vérité. Au cas particulier, il s’agit précisément de reconnaître une évolution décisive : la transformation progressive de l’assurance en épargne. En attendant le dénouement, la magie n’opère plus. Ajoutons enfin, pour faire bonne mesure et sacrifier à l’actualité, le cru de l’année dans la veine Praslicka.

Référence aujourd’hui encore

Il s’agit d’un arrêt de la Cour d’appel de Bastia (CA Bastia, 16 février 2022, n° 20/00513) qui ne fera pas date, mais témoigne d’une place à part.

Cette décision est symptomatique des difficultés qui entourent l’assurance vie. Elle met en lumière un nombre conséquent de confusions, au sein desquelles « l’arrêt Praslicka du 31 mars 1992 repris par un arrêt du 19 avril 2005 » figure en bonne place. Il est cité à plusieurs reprises… à propos d’un contrat dénoué par le décès de l’assuré ! L’arrêt de la cour d’appel de Bastia évoquant ce point, allons sur le terrain de la propriété, avec la question de l’utilisation de deniers propres.

Le pôle emploi toujours

La cour relève que s’il n’est pas contestable qu’en l’espèce la situation est différente mais rappelle néanmoins qu’« il résulte des dispositions de l’article 1401 du Code civil que lorsque le contrat d’assurance-vie souscrit en cours de mariage par un des deux époux communs en biens au moyen de fonds de communs ou avec ses biens propres mais sans clause d’emploi ou de remploi, ce contrat doit être qualifié de bien commun ».

La solution pour faire du contrat un propre a le mérite d’être universelle : l’utilisation d’une clause d’emploi ou de remploi, avec en son sein la double déclaration sur l’origine propre des deniers et la volonté de faire du contrat un propre (C. civ., art. 1434 et s.).

L’assurance-vie, ici, ne déroge pas. Ayant compris l’importance de la clause, notamment sous l’ère Bacquet que nous évoquerons plus loin, les acteurs du marché, assureurs en tête, ont beaucoup sensibilisé et formé, aussi des progrès notables ont-ils été accomplis.

Venons-en à l’étrange écrin que forment pour l’arrêt Praslicka quelques-unes des multiples dérogations au droit commun qui caractérisent l’assurance-vie.

L’anormalité consacrée

Le code des assurances s’est bâti en régime d’exception, au regard du droit des régimes matrimoniaux et du droit des successions en particulier. A ce détail près qu’à l’époque, l’assurance relevait de la prévoyance et qu’aujourd’hui elle draine l’épargne des Français.

Devant l’évidence, et parce que si le système fait des gagnants, il fait nécessairement des perdants, les dents ont commencé à grincer. Et les attaques se sont multipliées.

Une assurance, une vraie s’il vous plaît !

Interpellée sur la nature réelle de l’assurance-vie, « la Cour de cassation a rendu ses décisions après avoir, compte tenu non seulement de l’importance des enjeux en cause mais aussi du rôle du juge qui ne se borne pas à dire le droit mais à mesurer la portée de ses décisions à l’aune de la vie économique dont elles sont le reflet et de la société à laquelle elles s’imposent, consulté et pris avis des principaux intéressés qui ne se bornaient pas aux intervenants et qui étaient, le Conseil supérieur du notariat, la Fédération française des sociétés d’assurances, le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, ainsi que le ministère de la Justice » (Chambre mixte, 23 novembre 2004, n° 02-11.352, 02-17.507, 03-13.673 et 01-13.592 ; Rapport 2004 de la Cour de cassation).

Avec force interventions des amici curiae (ces tiers au procès bien intentionnés qui font valoir leurs observations), l’issue ne faisait guère de doute : « la Cour de cassation a décidé que le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la vie humaine comporte un aléa (…) et constitue un contrat d’assurance sur la vie ».

Une exception prospère

Pouvaient ainsi prospérer les textes d’exception, articles L. 132-16 (capital versé propre pour le conjoint sans récompense) et L. 132-12 (capital versé hors succession pour les autres) du code des assurances, confortés par le refus de la Cour de cassation de transmettre une question priorité de constitutionnalité (Cass. 2e civ., 19 octobre 2011, n° 11-40.063).

Dans les deux cas, une limite commune : l’action en primes manifestement exagérées, pour un retour au droit commun (C. ass., art. L. 132-13). L’action s’est longtemps avérée inefficace en dehors de souscriptions tardives et massives, notamment en raison de l’argument susceptible de la tenir à distance : l’utilité du contrat pour le souscripteur.

A la suite d’une proposition du rapport Pérès-Potentier sur la réserve héréditaire (qui invite à « soumettre, pour les seuls aspects civils, l’assurance-vie au droit commun des successions et des libéralités »), une tendance semble s’esquisser (en ce sens, Cass. 1re civ., 16 décembre 2020, n° 19-17.517) semble témoigner d’une réelle inflexion dans l’appréciation de l’exagération manifeste. L’action, si la tendance se confirme, reprendrait son rôle de garde-fou (en ce sens, Primes exagérées : l’assurance-vie à un tournant ?, Pineau P., Profession CGP avril-mai-juin 2021). Outre l’exception en droit civil, l’assurance-vie prospère sur une exception en droit fiscal. C’est à partir de cette dernière que nous allons nous intéresser.

La niche et le chien

Il s’agit ici d’explorer les conséquences fiscales de l’arrêt Praslicka. En matière de droits de succession, après le coup de tonnerre de la réponse Bacquet (JOAN 29 juin 2010, n° 26231 : « la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie souscrits avec des fonds communs fait partie de l’actif de communauté soumis aux droits de succession dans les conditions de droit commun »), le soulagement : pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2016, « la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie, souscrit avec les deniers communs et non dénoué lors de la liquidation d’une communauté conjugale à la suite du décès de l’un des époux, n’est pas, au plan fiscal, intégrée à l’actif de la communauté conjugale » (RM Ciot, JOAN 23 février 2016, n° 78192).

Ne pas se méprendre sur la portée…

Les épisodes passés l’ont assez démontré : la tolérance fiscale, comme tout fait du prince, est par nature versatile. Fol est qui s’y fie – et plus fou encore celui qui bâtit une stratégie de long terme sur ce sable mouvant. Le marché a pris acte. Et pourvu que cela dure…

Enchaînons les réponses ministérielles pour revenir au cœur de notre propos : l’aspect civil. Sur lequel, évidemment, le traitement fiscal n’a aucun impact. Il a été confirmé que « la réponse “Ciot” a une portée exclusivement fiscale et n’emporte aucune conséquence sur le traitement civil des contrats d’assurance-vie » (Réponse ministérielle Malhuret, JO Sénat du 26 mai 2016, n° 19978).

Reste à évoquer un autre prodige, en écho à la distinction évoquée, prodige loin d’être banal celui-là ! Il s’agit des modalités de la désignation bénéficiaire.

Des règles d’administration bousculées

Il est intéressant de constater que la question a été soulevée à nouveau dans l’arrêt de la cour d’appel de Bastia évoqué plus haut (16 février 2022, n° 20/00513). Face à une désignation opérée par le seul mari, souscripteur du contrat dénoué, un autre arrêt de référence est cité, l’arrêt Pelletier (Cass. plén., 12 décembre 1986, n° 84-17.867). La cour rappelle qu’« il est constant que la souscription d’un contrat d’assurance-vie au moyen de fonds communs, ne relève pas des règles de cogestion et que désignation d’une bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie est un droit personnel au souscripteur ».

Tout cela officiellement car « l’arrêt retient, à bon droit, en application de l’article L. 132-12 du Code des assurances, que la créance sur la compagnie, née en raison du décès [du mari], a été acquise au seul profit des bénéficiaires désignés en dernier lieu » (Cass. plén. n° 84-17.867 précité). N’est-ce pas un peu court ? Impossible de ne pas le constater : l’assurance est un domaine où l’exception règne. Elle n’est cependant pas partout, et la communauté a pu, en partie au moins, l’appréhender.

Une référence !

L’assurance-vie est un perpétuel défi : attrape-moi si tu le peux ! Interpellés dans le cadre de l’affaire Praslicka, les juges ont saisi l’essentiel. Avec trois décennies de recul, difficile de contester leur analyse, qui a traduit une réalité économique en droit. Grâce leur soit rendue, c’est le mieux qu’ils pouvaient faire ! Ils ont ensuite tenu ferme, encore un effort louable.

L’arrêt Praslicka en refrain, entouré de couplets parfois dissonants, mais toujours de retour. Par le truchement habile de la distinction entre titre et finance, il ancre l’assurance-vie dans la communauté lorsque les primes, ses racines, en proviennent. L’évidence trouvée tout en souplesse, par les chemins de traverse. Praslicka, une ode à la modernité, à trente ans passés. Précisé, contextualisé, mais jamais démenti. La marque des incontournables.

Référence Lamy : Praslicka : 30 ans, l’âge des raisons…, Pineau P., RLDC 2022/207, octobre 2022.

  • Mise à jour le : 27/06/2022

Vos réactions