Il n’est jamais trop tard pour transmettre

Par : edicom

Par Gabrielle Beslé, ingénieur patrimonial chez Cyrus Conseil

Il est courant d’entendre qu’après soixante-dix ans, il est trop tard pour gérer et transmettre son patrimoine dans un cadre fiscal favorable. Mais quel que soit l’âge que l’on a, il existe de nombreuses stratégies pour alléger la note fiscale en matière de transmission.

Assurance-vie, bois et forêts, donations, testament… La transmission de patrimoine peut s’effectuer à tout âge, même après l’âge fatidique des soixante-dix ans.

Bien choisir ses enveloppes

Pourquoi dit-on que tout se joue avant soixante-dix ans ? Tout simplement car l’assurance-vie, le placement préféré des Français, permet de transmettre à sa mort jusqu’à 152 500 € par bénéficiaire (sans limite de nombre), à condition que les sommes aient été versées sur le contrat avant soixante-dix ans.

Il est ainsi conseillé aux investisseurs de « faire le plein » d’assurance-vie avant cet âge limite, afin de profiter au minimum de l’abattement de 152 500 € par bénéficiaire sur les droits de succession. Comme cet abattement se cumule avec l’abattement fiscal lié à la transmission par donation ou succession (100 000 € en ligne directe par exemple), il est vrai qu’il est dommage de renoncer ou de « louper » l’opportunité de cette transmission gratuite… Mais peut-on pour autant dire que, passé soixante-dix ans, l’assurance-vie n’est pas intéressante ? Certainement pas !

Une fois atteint cet âge limite, les primes bénéficient au décès de l’épargnant d’un nouvel abattement à hauteur de 30 500 € par assuré, tous contrats confondus, à répartir entre tous les bénéficiaires. Le solde de primes versées après soixante-dix ans est taxé dans la succession, avec le reste des actifs. Notons que seules les primes versées sont soumises aux droits de succession. Les gains, quels que soient leurs montants, sont exonérés. Donc certes, en cas de transmission aux héritiers de la succession la fiscalité peut atteindre 45 % en ligne directe… Mais si les bénéficiaires ne sont pas héritiers, ils vont bénéficier des tranches basses du barème !

Prenons l’exemple où les petits-enfants sont bénéficiaires des contrats, une fois l’abattement de 30 500 € déduit, chaque bénéficiaire va subir une fiscalité maximale de 20 % jusqu’à 552 000 €. Par ailleurs, ils bénéficient de deux gains supplémentaires : les plus-values qui ne subissent que les prélèvements sociaux et, comme la transmission a été transgénérationnelle, ces capitaux ne seront taxés qu’une fois pour passer deux générations.

Autre enveloppe utile pour anticiper sa transmission et baisser le montant des droits de donation ou de succession : l’investissement dans des bois et forêts, permettant de bénéficier d’un abattement de 75 % pour le calcul de la fiscalité de transmission, sans limite de montant, sur la valeur transmise sans plafonnement, ni limite d’âge.

Ainsi, un investissement en forêts de 2 000 000 € n’est taxé aux droits de succession qu’à hauteur de 500 000 € ; belle aubaine lorsque l’on souhaite investir à la retraite dans un placement très sécurisé et résilient, tout en s’assurant que cet actif pérenne sera transmis dans des conditions fiscales avantageuses à ses héritiers, sans avoir à se déposséder ou à établir de montage complexe de son vivant. Il s’agit donc d’un outil très efficace pour les patrimoines conséquents.

Commencer à donner, même tard

Une autre piste à creuser, c’est de commencer à transmettre activement. D’abord avec des cadeaux, étrennes, présents, par exemple, qui ne seront pas taxés car il s’agit de présents d’usages. Par définition, il doit s’agir de présents de faible taille au regard de celui qui les consent… Mais il est possible d’anticiper aussi avec des « vraies » donations, significatives, qui restent intéressantes à tout âge !

Il est tout à fait possible de transmettre à ses enfants ou/et petits-enfants en utilisant l’effet de levier du démembrement de propriété et ainsi profiter d’une exonération définitive de fiscalité sur la quote-part d’usufruit qui s’éteindra au décès. Même au-delà de ses quatre-vingt-onze ans, cela représente un gain fiscal de 10 %.

Imaginons un couple âgé de soixante-quinze et soixante-dix-huit ans qui souhaite amorcer la transmission de biens immobiliers de rapport valorisés 600 000 € à leurs deux enfants. En donnant la nue-propriété, la valeur fiscale transmise est de 420 000 €, soit 180 000 € de valeur d’usufruit non taxée. Par ailleurs, en se réservant l’usufruit, le couple continue à percevoir les revenus de ces actifs et ne se dessaisit pas immédiatement des biens.

Ce type de donation est toutefois soumis au délai de rappel fiscal. Si le couple de notre exemple décède treize ans plus tard, le délai de reconstitution des abattements et des tranches étant de quinze ans, il faudra tenir compte de cette donation pour le calcul des droits de succession.

Il est pertinent également de gratifier via une donation ses petits-enfants, pour profiter d’un abattement de 31 865 € par grand-parent par petit-enfant, non disponible au moment de la succession. Ainsi, un couple ayant cinq petits-enfants peut transmettre jusqu’à 320 000 € en pleine propriété (voire plus, en cas de donation en nue-propriété) sans aucun frottement fiscal. Autre avantage de ces transmissions : on peut en général éviter de se soucier du délai de reconstitution des abattements puisque les petits enfants ne sont, a priori, pas héritiers.

Seules de rares transmissions échappent au rappel fiscal : ce sont les dons de sommes d’argent. Chaque parent, grand-parent ou arrière-grand-parent peut donner sans droits une somme d’argent à un enfant, petit-enfant ou arrière-petit-enfant. Le bénéficiaire devra payer les droits de donation après application d’un abattement de 31 865 € sur le montant du don à condition de remplir deux conditions : le donataire doit avoir plus de dix-huit ans au jour de la donation et le donateur moins de quatre-vingts ans. En l’absence de descendant direct, un oncle ou une tante peut faire une donation dans les mêmes conditions à son neveu ou sa nièce.

Dernière technique de donation permettant, à tout âge, de diminuer la fiscalité de la transmission : donner et prendre en charge les droits. En effet, en théorie c’est celui qui reçoit, le donataire, qui est redevable de la fiscalité. Toutefois, si le donateur paie lui-même les droits, cela ne sera pas considéré comme une donation supplémentaire. Cela signifie que les liquidités ayant servi au paiement des droits sortent du patrimoine et ne seront pas taxées lors de la succession !

Prenons un cas très schématique : une femme de quatre-vingt-onze ans dispose d’un patrimoine immobilier de 2 000 000 € et de liquidités pour 2 000 000 €, son seul héritier est un neveu. Si elle donne la nue-propriété de la totalité de ses biens immobiliers, la fiscalité est de 990 000 € (2 000 000 x 90 % de valeur de nue-propriété x 55 % de fiscalité compte tenu du lien tante-neveu). Si elle acquitte ces droits, au jour de son décès, son actif successoral n’est que de 1 010 000 € soit des droits de succession ramenés à 555 500 € et une fiscalité globale réglée de 1 545 500 €. Or en l’absence de transmission, la fiscalité aurait été de 2 200 000 € pour son neveu : on a donc réalisé une économie fiscale de 655 000 € soit 16 % de l’actif de Madame !

Prendre les bonnes options au décès du premier époux

Il est également possible d’anticiper sa transmission, sans réaliser d’investissements ni de donations, mais simplement en effectuant des choix opportuns, lors de l’ouverture d’une succession notamment, ce moment étant souvent l’occasion d’une forme de bilan sur les biens, les besoins et les souhaits de chacun.

C’est aussi l’occasion concrète de réaliser la complexité et le coût d’une transmission, ce qui a souvent pour effet d’inciter les héritiers à faire l’audit de leur propre situation et, en général, à amorcer ou poursuivre la transmission de leur patrimoine pour en alléger la note et faire en sorte que leurs proches ne soient pas confrontés aux mêmes difficultés le jour venu.

Lors du décès d’un époux par exemple, le conjoint survivant a souvent un choix à opérer quant aux options qui s’offrent à lui. Il doit commencer par s’interroger sur ce dont il a besoin pour faire face à son train de vie. Il va comprendre qu’il est plus confortable d’être plein propriétaire de sa résidence principale afin de décider seul d’une mise en location ou d’une vente et de ne pas subir de pression de la part des autres héritiers, surtout en cas de famille recomposée.

Mais pour les biens non nécessaires à son cadre de vie ou à son train de vie, il est pertinent de laisser les enfants hériter dès le premier décès.

Pour cela, il est primordial que le régime matrimonial soit bien maîtrisé et adapté au patrimoine des époux, au moment de la retraite et lorsque les sujets de transmission et de protection du conjoint se posent. Il est en effet très fréquent que le régime matrimonial adopté au moment du mariage ne soit plus adapté quelques décennies plus tard. Et c’est totalement normal puisque les préoccupations patrimoniales ne sont évidemment pas les mêmes à trente ans en phase de constitution de son patrimoine, qu’à soixante-quinze ans, une fois que l’heure est à la pérennisation des actifs du couple.

Il est fréquent de considérer que, si l’on est déjà en communauté, il n’y a plus rien à faire. Or, la communauté conventionnelle, adaptée et sur-mesure, présente des avantages indéniables par rapport à la communauté légale, par les subtilités qu’elle offre.

Pour autant, attention à ne pas tomber dans le « piège » de la clause d’attribution intégrale en voulant (sur)protéger le conjoint au détriment des enfants. Dans un pareil cas, le conjoint récupère l’intégralité du patrimoine du couple et les enfants ne sont taxés qu’au second décès. Hormis le fait qu’ils ne perçoivent rien au premier décès, ce schéma a surtout l’inconvénient de priver les enfants de la faculté d’utiliser l’effet de levier du démembrement. En effet, le conjoint étant bien souvent usufruitier, une fois le deuxième conjoint décédé, les enfants deviennent pleins propriétaires sans fiscalité supplémentaire. Dit autrement : l’usufruit revient en franchise de fiscalité aux enfants au second décès. Par ailleurs en cas d’attribution intégrale en pleine propriété, les enfants ne peuvent pas bénéficier de leur abattement de 100 000 € ni des tranches basses du barème, au premier décès. Le coût fiscal au second décès est donc beaucoup plus lourd que si le patrimoine avait été « réparti » lors des deux décès. A l’inverse, si les enfants recueillent des biens en pleine propriété tout de suite, on évite au conjoint de voir son patrimoine grossir sous l’effet des biens recueillis. Ainsi, au deuxième décès, l’actif successoral taxé sera plus faible et donc moins rapidement soumis aux tranches les plus hautes du barème.

En revanche, le préciput permet au conjoint survivant de prélever certains biens sur la communauté, avant tout partage. Ainsi lors de l’ouverture de la première succession du couple, le conjoint survivant bénéficiera de toute latitude pour décider si le régime de communauté est en soi suffisant pour le maintien de cadre et de son train de vie, ou s’il souhaite également faire valoir son préciput. Cette décision se fera le moment venu, en tenant compte bien évidemment du contexte familial, qui pourra différer sensiblement de celui du jour où le changement de régime matrimonial a été effectué.

Le préciput permet ainsi, par son caractère facultatif (à la différence de la clause d’attribution intégrale qui est impérative), de s’adapter à la situation du conjoint survivant au jour du décès de l’époux prédécédé. Là où un conjoint survivant septuagénaire éprouvera l’utilité de prélever les biens objets du préciput pour exercer seul le pouvoir, notamment de disposition sur ces biens, un conjoint nonagénaire n’en ressentira pas le besoin ou ne s’en sentira pas capable, selon la situation familiale et la complexité du patrimoine. C’est là tout l’intérêt du préciput, pensé en amont, et d’une totale efficacité en aval.

Attention cependant, ces conventions matrimoniales communautaires peuvent avoir pour effet de donner plus au conjoint ou de créer des situations de démembrement ou d’indivision : elles ont moins leur place dans les familles recomposées.

Une autre façon de transmettre « sans effort » consiste à renoncer au bénéfice de certains contrats d’assurance-vie afin de laisser les bénéficiaires d’un second rang recueillir les capitaux. Prenons l’exemple d’un assuré dont la clause désigne « mes fils par parts égales, en cas de décès ou de renonciation de l’un d’eux, ses propres enfants par parts égales, à défaut mes héritiers ». L’un des enfants n’a pas besoin de liquidités et renonce au bénéfice du contrat : il permet ainsi à ses propres enfants de recueillir directement les capitaux et évite de devoir lui-même transmettre un jour, par donation, ou succession, ces capitaux.

Point important à noter : il est possible de choisir de renoncer contrat par contrat, c’est-à-dire renoncer au bénéfice de certains et en accepter d’autres en fonction des montants en jeu et/ou de la fiscalité applicable. En effet, dans certains cas, les héritiers n’ont pas besoin des biens compris dans la succession et le fait de renoncer permet à leurs propres héritiers d’hériter directement.

Prenons maintenant le cas d’une femme, veuve, qui vient de décéder, laissant pour lui succéder ses trois enfants. L’aîné dispose d’un patrimoine important et n’a aucunement besoin de la part lui revenant dans la succession de sa mère. Il va renoncer et ainsi permettre à ses propres enfants de recevoir sa quote-part dans la succession de leur grand-mère. Les deux autres enfants, quant à eux, ne souhaitent pas « passer leur tour ». La renonciation du fils aîné permettra aux petits-enfants de percevoir immédiatement une partie de la succession de leur grand-mère, sans que cela passe par l’intermédiaire de leur père, qui aurait été taxé à l’occasion. Les petits-enfants pourront donc commencer à se constituer un patrimoine et, par la même occasion, pourront rapidement s’assumer financièrement sans que leur père ne soit contraint de financer leurs études ou première acquisition immobilière.

Notons cependant que la renonciation à une succession ne peut pas être partielle : soit l’héritier renonce en totalité, soit il accepte l’intégralité de la succession, d’où l’importance du testament, prérequis indispensable pour prévoir une transmission adaptée.

Prévoir un testament

En effet, le testament se révèle à cet égard un remarquable outil de transmission, puisqu’il permet de mettre en place un mécanisme très efficace : le cantonnement, qui ne peut être prévu que dans des dispositions de dernières volontés (car des droits légaux ne peuvent être cantonnés) et qui nécessite qu’un héritier, au moins, désigné par la loi ait accepté la succession. En pratique le cantonnement permet de sélectionner certains biens à recueillir, et d’en laisser d’autres pour les autres héritiers.

Par ailleurs, et c’est une particularité importante, le cantonnement n’est pas taxé comme une libéralité. Ainsi le conjoint, qui cantonne ses droits issus de la donation entre époux ou du testament, et permet à ses enfants, par ce biais, de recevoir davantage dans la succession de leur parent décédé, ne leur consent pas une donation.

Pleinement efficace entre le conjoint et les enfants, le cantonnement s’avère également d’une grande utilité entre les générations puisque, contrairement à la renonciation à succession, sa portée peut être modulée si, dans son testament, le défunt a institué ses enfants légataires (ne serait-ce que pour leur octroyer des droits correspondant à leurs droits légaux) en prévoyant expressément la faculté pour ceux-ci de cantonner et en précisant que ce cantonnement bénéficiera à leurs propres enfants.

La rédaction astucieuse d’un testament permet également de réduire la fiscalité à terme, sans se déposséder de son vivant, lorsque tout le patrimoine est nécessaire au cadre et au niveau de vie de son propriétaire.

D’abord, en léguant tout ou partie de la quotité disponible à ses petits-enfants, quand on en a. C’est le même raisonnement qui conduit à les désigner bénéficiaires des contrats d’assurance-vie composés de primes versées après le soixante-dixième anniversaire de l’assuré : les petits-enfants n’étant pas héritiers légaux, ils n’ont, en général, pas intégralement consommé les tranches basses du barème. Et jusqu’à plus de 550 000 €, ils payent moins de 20 % de droits, sans compter le gain de droits réalisé sur ce « saut de génération » ! Ensuite, en l’absence de descendants directs et d’héritiers réservataires, il est possible de transmettre une partie des droits de succession à une cause caritative qui tient à cœur du défunt. En effet, prenons l’exemple d’une femme dont le seul héritier est un neveu (taxé à 55 %) et dont le patrimoine vaut 4 000 000 €. Si elle décède sans disposition particulière, son neveu va recueillir 4 000 000 € et payer 2 200 000 € de droits de succession. Il lui restera 1 800 000 €. Si elle rédige un testament qui désigne un organisme d’utilité publique comme légataire universel, à charge de verser un legs net de frais de 1 800 000 € à son neveu, la fiscalité est réduite à 990 000 €. Certes, son neveu ne recueille rien de plus, mais l’association dispose alors de 1 210 000 € (l’économie de droits de succession) pour ses projets !

Il y a donc plusieurs pistes à creuser, parfois simultanément, pour commencer à organiser sa transmission, même largement après soixante-dix ans : et cela commence toujours par un audit de sa situation, et parfois une simplification de ses investissements. La seule vraie date limite est le décès, il est donc préférable de s’organiser à tout âge pour éviter aux héritiers de subir totalement la transmission et son coût. Mais si ça n’a pas été le cas, il est encore temps de réaliser des économies substantielles.

  • Mise à jour le : 24/01/2023

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