Transmettre une entreprise sur plusieurs générations

Par : edicom

Par Stéphane Absolu, directeur du pôle d'expertise patrimoniale de Cyrus Conseil

L’allongement de la durée de vie et le souci de pérenniser un patrimoine professionnel familial sur le long terme doivent inciter le chef d’entreprise, à l’instar de ses homologues allemands ou italiens, à anticiper le coût des successions futures et à programmer des donations sur plusieurs générations. La stratégie présentée dans cet article s’inspire de cas réels récents traités chez Cyrus Conseil.

En premier lieu, nous précisons que le sujet n’est pas tant fiscal qu’une question d’organisation : Yvon Gattaz aimait à rappeler qu’« il vaut mieux traiter une transmission à froid quand on est  chaud, qu’à chaud quand on est froid ! ». Derrière cette boutade, il s’agit en effet d’assurer la gestion et le maintien du patrimoine professionnel dans le giron familial. Et pour cela il est peut-être judicieux pour le chef d’entreprise d’en organiser la transmission de son vivant.

Au-delà d’une culture entrepreneuriale qui souffre d’un passé où la fiscalité était confiscatoire, il convient de rappeler que la France possède des outils aujourd’hui favorables au développement d’entreprises familiales sur plusieurs générations. Outre des moyens tels que le mandat à effet posthume (la possibilité d’organiser la gestion de sa succession), la donation transgénérationnelle permet d’anticiper une gestion cohérente et d’organiser une répartition des pouvoirs de l’entreprise entre les enfants et petits-enfants.

Au passage, la donation-partage transgénérationnelle conduit à optimiser les droits de succession sur plusieurs générations, sachant que ceux-ci peuvent atteindre à chaque génération 45 % à partir d’1,8 million de patrimoine transmis en direct par héritier.

Comme la fiscalité n’est pas un but en soi, la décision de recourir à une telle stratégie patrimoniale doit être mûrement réfléchie et répondre à une réelle logique économique, avec la volonté de s’inscrire dans la durée, en cultivant les valeurs familiales qui ont contribué à la réussite entrepreneuriale.

Des avantages importants

Rappelons que dans une donation-partage, le partage du patrimoine se fait par branche familiale : elle est associée à chaque enfant du donateur et comprend aussi ses propres descendants. En pratique interviennent donc à l’acte de donation transgénérationnelle les ascendants, leurs enfants et les petits-enfants. Cela signifie que la première génération va renoncer à une partie de ses droits au profit d’une génération plus jeune. En cela, cette stratégie accompagne l’allongement de durée de vie, en bonne santé et en capacité, de nombreux chefs d’entreprise.

Les droits de mutation sont alors calculés en fonction du lien de parenté entre le donateur et le bénéficiaire de la donation. Ainsi les droits dus par les enfants du donateur et les petits-enfants sont basés sur le tarif en ligne directe. Les enfants bénéficient chacun d’un abattement de 100 000 €, les petits-enfants d’un abattement de 31 865 €. Le barème des droits de succession s’applique, ensuite, selon la progressivité des mutations en ligne directe, avec une première tranche importante de 20 % jusqu’à 552 500 € par part.

Enfin, l’impact fiscal est d’autant plus important que l’on peut utiliser le démembrement de propriété permettant de garder l’usufruit (les revenus, la jouissance des biens) au profit des enfants et de donner la nue-propriété (le capital) aux petits-enfants. Cela permet de distinguer le pouvoir de l’avoir entre les différents niveaux de générations.

Les atouts de l’adjonction d’un Pacte Dutreil anticipé

Les entrepreneurs français critiquent, à juste titre, une fiscalité démotivante pour ceux qui prennent des risques. Il existe cependant dans le paysage fiscal français un moyen efficace pour réduire de plus de 80 % le coût d’une transmission familiale d’entreprise. Cette mesure, qui existe depuis 2003, demeure encore trop confidentielle dans l’environnement du chef d’entreprise.

Le pacte Dutreil ou engagement de conservation collectif de titres (ECCT) permet de bénéficier d’un abattement de 75 % sur la valeur des titres de société, dès lors qu’on engage dans le pacte au moins 20 % du capital pour les sociétés cotées et 34 % du capital pour les sociétés non cotées. Les membres signataires du pacte peuvent être des personnes physiques et des personnes morales.

Dans le cadre de la mise en place d’un pacte Dutreil, un certain nombre de conditions avant la transmission (décès ou donation) doivent être remplies, et en premier lieu la signature d’un engagement collectif, d’une durée d’au moins deux ans, valable au jour de la transmission.

Des conditions sont également à respecter après la transmission (donation ou décès) : la poursuite de l’engagement collectif (si la donation ou le décès interviennent avant les deux premières années), un engagement individuel des bénéficiaires (donataires ou héritiers) d’une durée de quatre ans et l’exercice d’une fonction de direction à titre effectif durant toute la durée de l’engagement collectif et d’une durée de trois ans à compter de la transmission par l’un des signataires du pacte.

La vigilance en cas de pacte Dutreil réputé acquis

A côté du pacte Dutreil classique, il existe un engagement collectif « réputé acquis » pour ceux qui n’ont pas préparé leur transmission, prisé par les entrepreneurs négligents, mais moins souple et moins efficace que le pacte évoqué ci-dessus.

Deux conditions sont requises : le défunt, ou donateur, et son conjoint doivent détenir les titres de la société et respecter les seuils de détention de 20 % ou 34 % depuis au moins deux ans, et le défunt, ou donateur, et son conjoint doivent exercer leur activité professionnelle principale (société IR) ou l’une des fonctions de direction (société IS) depuis plus de deux ans le jour où la transmission est réalisée.

Un inconvénient majeur réside dans l’exclusion des personnes morales, ainsi un engagement réputé acquis ne peut pas trouver à s’appliquer en cas d’interposition d’une société holding, ce qui est le cas le plus courant aujourd’hui dans les stratégies de détention du capital !

De la même manière, il vient récemment d’être confirmé que les titres issus d’augmentation de capital ne peuvent bénéficier de la réduction de 75 % si le contribuable se prévaut d’un pacte Dutreil réputé acquis.

Il a été aussi précisé que dans le cadre d’un pacte réputé acquis, seul l’héritier pouvait être en mesure d’assurer les fonctions de direction, alors que dans le cadre d’un pacte Dutreil il est possible de prévoir qu’un signataire de l’engagement (même non-héritier) puisse exercer lesdites fonctions.

En conclusion, l’engagement réputé acquis est ainsi surtout utile en cas de décès accidentel. La régularisation d’un pacte Dutreil, par acte sous seing privé ou par acte notarié nous semble être l’organisation la plus efficace pour assurer la transmission familiale d’une entreprise.

Un paradis fiscal français pour les entreprises patrimoniales ?

La stratégie consistant à associer un pacte Dutreil à une donation-partage (avec soulte : technique permettant de désintéresser les héritiers non-repreneurs), permet d’assurer une transmission familiale de l’entreprise à un ou plusieurs enfants, sans pour autant rompre l’égalité entre les enfants. En effet, en cas de donation-partage, avec ou sans soulte, dans le cadre d’un pacte Dutreil, le régime de faveur est maintenu, sous réserve du respect de l’engagement individuel de conservation par l’attributaire des titres qui les apportera généralement à une société holding. L’apport en société, pendant la période d’engagement individuel ne remet pas en cause le régime de faveur si les conditions suivantes sont remplies : le capital de la société holding doit être détenu en totalité par les héritiers, donataires ou légataires bénéficiaires de l’exonération. La société bénéficiaire de l’apport doit conserver les titres apportés jusqu’à l’expiration de l’engagement collectif (quatre ans), enfin les héritiers, donataires ou légataires conservent les titres reçus en contrepartie de l’apport jusqu’à l’expiration de l’engagement individuel.

La société bénéficiaire de l’apport doit, en outre, avoir pour objet exclusif la gestion des participations dans la société exploitante. Cette stratégie, qui est en théorie complexe, produit des effets financiers et fiscaux sans précédent en France. C’est un encouragement à faire grandir nos PME en ETI, de génération en génération et à susciter l’engouement des nouvelles générations vers l’entreprenariat.

Un exemple pour comprendre

M. et Mme G., 75 ans, sont mariés sous le régime de la séparation de biens. M. est associé à hauteur de 95 % de la SAS G., valorisée 3 M€, son épouse pour 5 %. Ils ont trois enfants, dont un est le repreneur potentiel de l’entreprise et six petits-enfants. Si la fille (48 ans) de M. G. a la volonté et la capacité à reprendre l’entreprise familiale, M. G. souhaite respecter une stricte équité avec ses autres enfants, en favorisant l’installation dans la vie de ses petits-enfants. Après une étude patrimoniale, il a été décidé que M. et Mme G. devaient conserver en pleine propriété, après la cession de leur entreprise, un capital de 400 000 € et les revenus sur 900 000 €.

Première étape

M. G. va transmettre la moitié de la valeur de l’entreprise familiale à ses trois enfants, seule sa fille reprend l’activité, de sorte qu’une donation-partage avec soulte couplée à un pacte Dutreil va permettre à la famille de respecter cet équilibre dans un cadre fiscal avantageux.

La soulte permet de respecter l’équilibre entre les trois enfants : c’est ainsi la fille, dans le cadre de sa société holding de reprise, devra verser une soulte à ses frères, qui pourra être financée par crédit bancaire (de type LBO).

Ainsi la donation de 50 % des titres (soit 1 500 000 €) génère une fiscalité de moins de 10 000 € (contre 234 000 € en dehors du mécanisme du pacte Dutreil), soit une économie de 224 000 €. La fille apporte les 50 % reçus en donation à une holding de reprise qui dans le cadre de la soulte sera en charge de rembourser les frères et sœurs à hauteur de 1 000 000 €.

Deuxième étape

Pour poursuivre la stratégie de transmission, M. G. donne en nue-propriété 30 % de la valeur de la société à ses petits-enfants, cette participation pouvant être cédée par la suite à la holding de reprise détenue par sa fille (sans générer au passage de fiscalité de plus-value).

Le coût de cette donation est d’environ 122 000 €. Cette donation transgénérationnelle permet d’économiser une fiscalité de transmission, celle des enfants de M. G. à leurs propres enfants (soit environ 100 000 € à patrimoine constant). Elle permet surtout à M. G. de donner à chacun de ses petits-enfants un capital de 150 000 € à son décès. Enfin, les donations permettent de figer la valorisation au moment de leur mise en place en projetant les plus-values futures sur les générations futures et donc d’économiser une partie de l’impact fiscal.

Troisième étape

Après la vente de leur participation (20 %), M. et Mme G. récupèrent un patrimoine en pleine propriété de 400 000 €, après paiement de l’impôt de plus-value, et bénéficie d’un revenu sur un capital de 900 000 € dont il détienne l’usufruit. Au passage, la fiscalité liée à l’impôt de plus-value a été considérablement réduite : plus de 50 % !

Quelques convictions pour conclure

- Simple n’est pas français : alors mieux vaut bien s’entourer pour réussir une telle stratégie !

- Une exonération de plus de 80 % de droits de donation sur la valeur de son entreprise ne se refuse pas !

- Mieux vaut anticiper et signer un pacte Dutreil pour bénéficier de tous les avantages !

- Il est possible de transmettre à l’un sans défavoriser les autres héritiers !

- Donner sur plusieurs générations pour intégrer l’allongement de durée de vie en aidant ses petits-enfants à s’installer dans la vie fait économiser des droits de succession !

  • Mise à jour le : 12/04/2017

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