Changement de régime matrimonial : attention à l’abus de droit !

Par : edicom

Par Jean-Francois Lucq, directeur de l’ingénierie patrimoniale de Banque Richelieu

Aujourd’hui, les couples mariés disposent de diverses techniques pour assurer une protection adéquate du conjoint en cas de décès de l’autre.

Ils peuvent ainsi mettre en place une protection sur mesure par le canal des avantages matrimoniaux. Ceux-ci prennent la forme d’un nouveau contrat de mariage, et ont notamment pour caractéristique de pouvoir remettre immédiatement d’équerre des patrimoines auparavant asymétriques. 

Cette technique est particulièrement adaptée à la configuration du dirigeant d’entreprise. En effet, au lancement de l’aventure entrepreneuriale, il est souvent  conseillé à l’époux entrepreneur d’opter pour un régime de séparation de biens, de manière à protéger son conjoint des conséquences d’une évolution défavorable des affaires. Ce régime de mariage prive en effet le conjoint qui n’est ni dirigeant ni actionnaire, de l’appauvrissement généré par une déconfiture. Mais si les affaires marchent bien, elle les « protège » également de l’enrichissement correspondant. C’est pourquoi le changement  de régime de mariage, visant à faire tomber dans une communauté ad hoc cet enrichissement, par exemple avec l’adjonction d’une société d’acquêts au régime initial de séparation de biens, a tout son sens.

Mais cet avantage matrimonial peut avoir également un autre effet positif, dans une perspective de donation/cession. En effet, il est fréquent qu’une cession d’entreprise soit précédée d’une donation de tout ou partie des titres, car celle-ci a pour avantage de rehausser le prix de revient fiscal, et d’effacer à due concurrence la plus-value latente. La contrepartie de cette opération est l’acquittement de droits de donation, dont le taux est progressif, et fonction du  montant donné.

Or, lorsque l’entreprise est un bien propre de l’un des époux, les droits peuvent atteindre rapidement des niveaux élevés : 30 % au-delà de 652 000 €, 40 % au-delà d’1 002 000 euros, puis 45 % au-delà de 1 905 000 €. En revanche, si l’entreprise est un bien commun, les enfants bénéficieront deux fois de l’abattement de 100 000 € et des tranches de droits les plus basses du barème.

A titre d’exemple, une donation de 5 Millions d’euros de titres par un parent à un enfant génère un peu plus d’1 967 000 € de droits de donation, alors que si le même montant était transmis par deux parents, le montant des droits ne serait que d’1 685 000 €, soit une économie de 282 000 €. Il est donc fréquent de voir une cession d’entreprise précédée de deux opérations : un changement de régime matrimonial, visant à faire de l’entreprise un bien commun aux deux époux, puis une donation aux descendants par les deux parents.

Cette stratégie n’a pas à ce jour généré de contestation de l’administration. En effet, au regard des textes en vigueur, le changement ne peut être vu comme ayant un motif exclusivement fiscal, seul cas possible d’incrimination en matière d’abus de droit. En effet, l’époux bénéficiant de la mise en communauté du bien bénéficiait d’un avantage qui, le plus souvent, ne se limitait pas au bien ensuite donné aux descendants. C’était ainsi le cas s’il bénéficiait d’une mise en communauté d’autres biens, comme la résidence principale, ou bien encore lorsqu’il ne donnait aux enfants que la nue-propriété des titres dont il était devenu plein propriétaire.

Mais, à compter du 1er janvier 2020, un motif principalement fiscal suffira à constituer un abus de droit ! L’administration pourra alors contester le changement de régime matrimonial sur le terrain de l’abus de droit, avec le risque d’un contentieux ultérieur incertain et complexe, alors que les opérations réalisées avant la fin de l’année devraient rester sécurisées.

Le 1er janvier apparaît de plus en plus clairement comme la date-butoir de mise en place d’un grand nombre de stratégies d’optimisation.

 

  • Mise à jour le : 16/05/2019

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