Société familiale : nue-propriété et impôt sur la fortune

Par : edicom

Par Florent Belon, responsable de l’équipe expertise ingénierie patrimoniale chez Olifan Group

Le démembrement est une technique juridique, subie (succession) ou choisie (convention, dont donation), particulièrement développée. Le code civil prévoit des dispositions par défaut pour la gestion des droits démembrés, tout en laissant la possibilité aux parties d’y déroger par convention. Les clauses de la donation ou de cession portant sur un droit démembré peuvent également prévoir des dispositions particulières quant à la disposition de celui-ci.

Ces leviers conventionnels permettent un paramétrage des relations usufruitier/nu-propriétaire intéressant, tout en étant exigeant. Il faut, en effet, prévoir l’ensemble des situations et leur résolution. Toute modification nécessitant accord des parties. Mais si l’on souhaite un cadre plus général, totalement écarter une des parties de la gestion de son droit démembré ou encore associer plusieurs personnes à ce droit démembré en évitant l’indivision et ses contraintes (unanimité, précarité dont les solutions conventionnelles sont elles aussi limitées), le recours à une société est à recommander.

Le démembrement

Son patrimoine défini, son capital composé de titres divis, son mandataire social disposant de pouvoirs exclusifs permettant de céder ou encore de financer de gros travaux sans aval nécessaire des associés, ses statuts offrant une large souplesse voire créativité, en font une solution complémentaire au démembrement. Ce dernier offre une division principalement économique de la propriété, la société se démarque avec une répartition du pouvoir.

Il s’offre alors deux possibilités : démembrer des titres d’une société détenant des actifs en pleine propriété ou détenir la pleine propriété de titres de société détenant des actifs démembrés. Cette dernière solution est retenue lorsque l’on est en présence d’au moins trois parties (l’usufruit est détenu par des grands-parents, une personne morale, par exemple, et la détention de la nue-propriété et sa gouvernance concernent le groupe parents-enfants).

Il existe une tentation à empiler des démembrements : nue-propriété détenue par une société dont on transmet la seule nue-propriété. Néanmoins, lorsque les usufruits portant sur l’actif et les titres reposent sur une même tête, on peut être réservé quant à un éventuel abus de droit fiscal (1) en vue de réduire les droits de mutation à titre gratuit.

Impôt sur la fortune

Les deux derniers impôts sur la fortune en date disposent d’assiettes différentes :

- l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) taxait alors l’ensemble du patrimoine avec des exceptions et des exonérations ;

- l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) taxe les seuls droits immobiliers.

Cette distinction pourrait entraîner un traitement distinct de la taxation de parts en pleine propriété de société détenant des droits en nue-propriété.

Impôt de solidarité sur la fortune

La taxation ISF en présence d’une détention de nue-propriété par une société pouvait entraîner le risque d’une double taxation. L’usufruitier personne physique redevable ISF était taxé sur la pleine propriété (article 885 G du CGI), et la personne physique détenteur des parts de société était imposée sur la valeur de ces parts composées de la nue-propriété de l’actif faisant l’objet d’une imposition à 100 % chez le nu-propriétaire. L’administration, consciente de la difficulté, l’avait exposée et émis un tempérament dans certaines circonstances (BOI-PAT-ISF-30-20-20 version antérieure au 11 octobre 2018, n° 140). Elles étaient limitées :

- au profit de l’apporteur en nue-propriété, non d’un acquéreur successif. Une opération d’apport de la nue-propriété à la société, suivie de la donation des parts étaient donc exclues. Il convenait alors de donner la nue-propriété de l’actif (ce qui imposait l’utilisation du barème fiscal) et que le donataire (de gré ou contraint) apporte à la société sa nue-propriété ;

- et lorsque l’usufruitier et le donataire de la nue-propriété n’appartenaient pas au même foyer fiscal, la société devait uniquement être constituée de la nue-propriété. Or l’administration et parfois les juges critiquent la situation où la société ne dispose que de la nue-propriété au prétexte d’une faible autonomie financière (2).

Impôt sur la fortune immobilière

Le risque de double taxation est-il désormais écarté ? L’article 968 du Code général des impôts conserve le principe de l’imposition de l’usufruitier sur la pleine propriété. L’article 965,2° du CGI instaure une nouveauté : il dispose que les titres de sociétés sont taxables « à hauteur de la fraction de leur valeur représentative de biens ou droits immobiliers détenus directement ou indirectement par la société […]. » Pour déterminer cette fraction, « il est appliqué à la valeur des parts ou actions […] un coefficient correspondant au rapport entre, d’une part, la valeur vénale réelle des biens ou droits immobiliers imposables […] et, d’autre part, la valeur vénale réelle de l’ensemble des actifs de la société. »

La nue-propriété doit-elle être considérée comme un actif imposable ? On pourrait estimer que la nue-propriété ne constitue pas, sauf exceptions limitativement énumérées à l’article 968 du Code général des impôts, un actif imposable.

D’ailleurs, on considère qu’un passif n’est déductible que s’il est lié à un actif imposable (3). A ce titre, un passif lié à de la nue-propriété n’est pas déductible, sauf exceptions de taxation de cette nue-propriété. Cette position est clairement énoncée par la doctrine administrative (BOI-PAT-IFI-20-40-10, n° 160).

Si la documentation administrative reprend la disposition légale d’une imposition à hauteur du ratio des actifs imposables composant l’actif de la société et contient des renvois successifs (BOI-PAT-IFI-20-20-20-10, n° 50 et BOI-PAT-IFI-20-20-10, n° 50) jusqu’au traitement des actifs démembrés (BOI-PAT-IFI-20-20-30-10), elle n’utilise pas la notion de « non-imposable ». L’administration reprend la rédaction utilisée pour commenter l’ISF (BOI-PAT-ISF-30-20-20 n°10 dans sa version antérieure au 11 octobre 2018) : « Le nu-propriétaire qui ne tire pour sa part aucun revenu ou avantage immédiat des biens qu’il possède n’a en contrepartie, rien à déclarer au titre de l’IFI. »

Cet évitement s’avère utile pour elle, car il permet alors d’adopter la retenue de la nue-propriété pour l’établissement du ratio : « 40. […] la nue-propriété d’un bien immobilier détenue par une personne morale est prise en compte pour la détermination de la valeur de la fraction imposable de ses parts ou actions. » L’administration reprend alors le tempérament ISF permettant d’éviter une double imposition (BOI-PAT-IFI-20-20-30-10 n°40 remarque et n° 210), uniquement en cas de détenteur de l’usufruit et des titres appartenant au même foyer fiscal, en réaffirmant la retenue de la nue-propriété dans l’établissement du ratio au paragraphe n° 210.

Conclusion

L’administration n’a ainsi pas changé sa position en présence d’une société détenant de la nue-propriété immobilière, imposition des titres. Si désormais à l’IFI il y a application d’un ratio immobilier, il doit selon l’administration inclure la nue-propriété de biens ou droits immobiliers.

L’éventuelle double taxation sera évitée seulement lorsque les détenteurs de l’usufruit et de la nue-propriété appartiennent au même foyer fiscal. Ce cas sera limité, les opérations de transmission se réalisant souvent entre parents et enfants majeurs, et les grands-parents et petits-enfants n’appartenant pas au même foyer fiscal. La détention de la nue-propriété par une société se retrouve ainsi, si l’on retient la position administrative IFI, comme au temps de l’ISF, une solution soit plus complexe soit plus pénalisante du point de vue de l’imposition sur la fortune par rapport à une détention en direct. Néanmoins, si cette position apparaissait comme tout à fait légale au regard de l’ISF, ce dernier taxant tout ce qui n’est pas expressément non imposable ou exonéré, elle apparaît plus discutable au regard de l’IFI instaurant le ratio de biens imposables pour les sociétés. Ce terme, concernant la nue-propriété, est traité de façon distincte au regard de la déductibilité du passif (non imposable) et du ratio d’actif immobilier imposable d’une société (imposable) sans que la rédaction de la loi ne laisse apparaître une justification manifeste à cette dichotomie de qualification. On rappellera le principe selon lequel la doctrine administrative ne peut s’imposer au contribuable si elle est illégale. Les juges auront peut-être à l’avenir à se prononcer dans le cadre d’un contentieux, voire le Conseil d’Etat en cas de procédure pour excès de pouvoir (BOI-CTX-REP-10 n°80).

1. Ce double démembrement sur une seule tête apparaît comme n’apportant, en principe, pas ou peu d’effets juridiques et fiscaux. Se réserver un usufruit de titres de sociétés ne constatant pas de revenus, dont une éventuelle plus-value revient en principe au nu-propriétaire, n’a d’intérêt qu’en cas de vente des titres, réduction de capital ou dissolution, et encore seulement si on retient un partage du prix de l’actif cédé et/ou des titres. L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 21 octobre 2008 a certes écarté l’abus, mais en se prononçant sur l’intérêt de la société et non sur l’aspect double démembrement.

2. Arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 mai 2007, n° 06-14262.

3. Article 974 du CGI, reprenant les dispositions de l’article 885 G quater issu de la loi de finances pour 2013 commentées explicitement au sujet de la nue-propriété, sous la référence BOI-PAT-ISF-30-60-30 n°1.

  • Mise à jour le : 24/06/2020

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