L’éducation financière, un défi commun pour les CGP et les sociétés de gestion

Par : Benoît Descamps

Avec la baisse des rendements des fonds en euro et la nécessité d’épargner pour financer sa retraite, l’investissement en actions est une des solutions ouvertes aux épargnants pour générer de la performance sur le long terme. Mais sociétés de gestion et CGP se heurtent à la faible éducation financière des Français. Selon Eric Pinon, président de l’AFG, et Henry Masdevall, président du groupement de CGP Actualis Associés, distributeurs et producteurs doivent s’allier, porter un discours transparent et apporter des solutions qui correspondent aux valeurs des épargnants.

 

Profession CGP : L’épargnant français reste très averse au risque, d’autant plus dans le contexte actuel. Comment producteur et distributeur doivent-ils accompagner les particuliers dans leurs prises de risque dans un contexte de taux durablement bas ?

Eric Pinon : Il s’agit d’un sujet d’importance aussi bien pour les sociétés de gestion, que je représente, que pour les distributeurs. Nos destins sont liés. On ne peut que déplorer que la culture financière de nos compatriotes soit très faible. Rares sont les épargnants qui savent faire la différence entre une action et une obligation, entre une performance nette et une performance brute. Et je ne vais pas jusqu’à la définition d’une performance nette d’inflation… Notre métier doit également être mieux expliqué aux clients finaux. En tant que société de gestion, notre rôle est de gérer l’épargne qui nous est confiée. Mais nous ne détenons pas l’argent de nos clients, il reste sur leurs comptes, de même aucune société de gestion ne place pour son compte propre. Pour arriver inciter les Français à s’orienter vers les marchés, les CGP sont incontournables. Les conseils en gestion de patrimoine par la connaissance qu’ils ont de leurs clients sont en première ligne pour développer l’épargne financière des Français.

Henry Masdevall : En tant que CGP, nous sommes en prise directe avec les clients finaux et observons l’évolution de leurs comportements. Lorsque les fonds en euro servaient un rendement supérieur à 4 %, sans risque et avec une liquidité permanente, le besoin de conseil était moindre sur le plan financier. Un simple accompagnement suffisait. Puis, les rendements ont baissé, les assureurs se sont vus imposer des contraintes de solvabilité plus forte et les marchés font face à des incertitudes économiques et géopolitiques… Face à cet environnement, la classe d’actifs actions rapporte, mais comporte des aléas.

Là intervient la nécessité d’éduquer les épargnants sur la prise de risque sur le futur et de bien appréhender la nature de cette prise de risque. En effet, la cartographie des risques exprimée pour les profils prudent/équilibré/dynamique n’est pas adaptée car ces termes sont interprétés de manière positive par l’épargnant. Notre rôle est de faire comprendre au client ce qu’il achète à la fois en termes de risques et d’opportunités ; d’interpréter la prise de risque en fonction de son profil, de ses connaissances et de ses objectifs. Nous connaissons nos clients grâce à la proximité que nous entretenons avec eux. Cette démarche doit faire l’objet d’un suivi et d’explications tout au long de la période d’investissement.

Cette meilleure éducation du client final repose donc sur le binôme producteur/distributeur…

E. P. : Pour les sociétés de gestion, le CGP est incontournable pour la confiance et la transparence dont il fait preuve avec ses clients et pour sa liberté de choix. Le rôle de chacun doit être bien expliqué au client.

Pour que notre industrie perdure, il va falloir faire en sorte que notre valeur ajoutée soit partagée et expliquée au client final. Cela passe par nos partenaires CGP, et cette démarche va dans le sens de DDA et de MIF. Cette complémentarité vient justifier la rémunération la rémunération des CGP.

Ainsi, il convient de montrer nos plus-values respectives pour justifier de nos rémunérations collectives. L’objectif est double : valoriser nos prestations et faire accepter à nos clients que nos solutions sont sources de performance sur le long terme. Or on a pu constater qu’hier certains CGP ont pu se lancer dans le monde de la gestion financière ; et inversement que certaines sociétés de gestion opèrent sur le marché de la gestion privée… Le travail doit être collectif pour être bien perçu.

Depuis que je suis à la tête de l’AFG, c’est-à-dire depuis plus de trois ans, je milite pour une plus grande proximité de nos sociétés, notamment les sociétés de gestion entrepreneuriales, avec les distributeurs, en particulier les CGP. Cela est d’autant plus important pour les clients finaux que les CGP développent des services complémentaires à ceux offerts par les réseaux bancaires. De même, il convient de rappeler que pour chaque intervenant – CGP, société de gestion et épargnant – seule une relation de long terme permet l’enrichissement de chacun.

H. M. : Les clients ont été habitués à obtenir des rendements positifs, sans risque. Aujourd’hui, notre rôle est d’attirer leur attention sur cette époque révolue et de faire en sorte que la prise de risque soit volontaire. Une prise de risque qui doit être bien bornée avec eux. Et, sachant que ces clients sont fondamentalement prudents dans la majorité des cas, pour que cette démarche soit bien acceptée, notre accompagnement sur la partie dynamique de leur portefeuille doit être total.

E. P. : Le contexte de taux actuel est une opportunité à saisir pour faire changer les mentalités. Les taux à 0 %, voire négatifs, sont une aberration : ces investisseurs sont capables de perdre de l’argent de façon certaine plutôt que de gagner potentiellement…

La gestion active fait également face à la pression des ETF…

E. P. : OPCVM et ETF offrent des avantages complémentaires. Les deux sont créateurs de valeur dans une allocation d’actif. En revanche, il faut conserver un équilibre sinon la notion de conseil va disparaître.

Comment inciter les épargnants d’investir à long terme alors qu’ils font face à des marchés qui évoluent quotidiennement, ce d’autant plus que les fluctuations des marchés sont parfois violentes comme durant cette période de crise sanitaire ?

H. M. : La cotation permanente est un problème. Pour les clients, les marchés financiers sont un monde obscur. Pour la clientèle de particuliers, on ne devrait pas être obligé à réaliser des comptes rendus trop fréquents. Cela va à l’encontre de la nécessité d’investir sur un temps long.

E. P. : Le temps long doit redevenir une évidence car le problème de la survie des retraites par répartition est insoluble eu égard à la démographie de notre pays et à l’allongement de la durée de la vie. La loi Pacte incite ce mouvement, mais l’assurance-vie s’inscrivait déjà dans cette optique. Il ne faut pas avoir peur des mots face au client : nous sommes déjà entrés depuis longtemps dans un système de retraite par capitalisation !

L’éducation du client ne repose pas que sur l’explication des performances à court terme. CGP et sociétés de gestion doivent être transparents, c’est-à-dire expliquer la gestion et la construction du portefeuille. La transparence est primordiale pour s’assurer de la confiance du client sur le long terme. Nous devrions donc revenir à des solutions plus simples lesquelles seront plus faciles à commercialiser.

H. M. : Tout à fait. Si le client ne maîtrise pas son produit, les déconvenues seront moins bien acceptées. Lorsqu’il comprend le produit, il lui est plus facile de juger la performance.

Vers quelles solutions orienter les clients ?

E. P. : Pour inciter les particuliers à aller vers les marchés, il convient de les orienter vers nos entreprises ; de révéler le côté investisseur patriotique de l’épargnant ! Les Français n’investissent pas assez dans leur économie. Il faut motiver l’investissement long sinon les entreprises sont obligées de rechercher des capitaux étrangers. La tech française, nos biotechs… sont pourtant formidables !

Le mouvement engagé autour de l’ISR est également un élément porteur. La France est leader sur les sujets liés aux critères ESG. Notre gouvernement a fait de gros efforts, notamment sur l’environnement avec l’article 173 de la loi transition énergétique et sur la place des femmes dans les entreprises. Aujourd’hui, les sociétés de gestion sont capables de démontrer leur impact extra-financier de leurs portefeuilles : un facteur dont doivent se servir nos partenaires distributeurs pour emporter l’adhésion de leurs clients. Les gestions doivent également être réellement actives et ne pas se limiter au suivi d’un benchmark.

H. M. : Nous vivons une révolution. Un autre monde se construit sous nos yeux avec le développement de l’intelligence artificielle, de la robotique, des besoins exponentiels sur la sécurité des données, la nécessité de construire un monde durable… Pour sa part, l’investisseur veut être participatif et donner du sens à ses investissements. Ces notions sont à intégrer dans la définition de son profil de risque. Ainsi, il peut être enclin à prendre plus de risque si ces enjeux le concernent ou concernent les générations futures.

Le salut peut-il passer par les robo-advisors ?

P. S. : Le problème du digital est que, lorsque le client se retrouve seul face à son écran, il peut tromper la machine, notamment sur son profil de risque. Or, la gestion de l’épargne n’est pas un jeu ! L’intelligence artificielle n’a pas encore suffisamment pris de place dans les systèmes actuels. Le drame de ces solutions est qu’elles prennent en considération des données de manière parfois trop simpliste. Il convient également de rester prudent face à la mécanisation et l’automatisation, notamment dans les périodes de stress de marché.

  • Mise à jour le : 28/04/2020

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