Comment réussir son rendez-vous patrimonial ?

Par : edicom

Antoine de Ravel d’Esclapon, conseil et notaire, et auteur de l’ouvrage Le Patrimonio, délivre ses conseils pour réaliser au mieux ses rendez-vous clients.

Profession CGP : Pour commencer, accepteriez-vous de vous présenter en quelques mots ?

Antoine de Ravel d’Esclapon : Docteur en Droit, mention très bien avec les félicitations du jury, de l’université Panthéon-Assas, je suis conseil auprès des professionnels en gestion de patrimoine principalement. Dans l’équation souvent complexe d’une situation patrimoniale, j’accompagne pour construire une vraie stratégie, par exemple, pour mieux protéger le conjoint et pourtant transmettre aux enfants. Ou encore, comment puis-je éviter le droit de partage entre les enfants du client à son décès et faciliter la transmission de ses enfants à leurs propres enfants ? Enfin, je suis notaire donc je peux rédiger tous les actes ainsi utiles.

 

Dans votre accompagnement, vous insistez particulièrement sur le rendez-vous patrimonial. Pourquoi ?

Le rendez-vous patrimonial est la source et le sommet du conseil patrimonial. Le client vient avec sa situation, parfois méconnue de lui-même, ses souhaits, parfois contradictoires, ses idées reçues, ses croyances limitantes. Il attend du professionnel des solutions techniques, mais mieux encore, un cap : « C’est un roc ! … c’est un pic ! … c’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? … C’est une péninsule ! » dirait Cyrano. Si le conseiller patrimonial se limite à la commercialisation d’actifs, immobiliers ou financiers, sa prestation apparaît limitée et vite concurrencée, par exemple, avec les milliers de propositions en ligne (souvent du même réseau avec une belle cannibalisation…). Le conseil va faire toute la différence. Il va permettre d’aller chercher très profondément les besoins du client. Car ce dernier ne veut pas d’une perceuse, il veut faire un trou pour y mettre un joli tableau pour rendre son intérieur coquet.

 

Quels conseils pratiques donneriez-vous à un CGP qui veut bien recevoir son client ?

Cela va commencer par aller voir si le cadre est accueillant de A à Z ! Nous devons repartir de l’expérience client avec mille détails de rien du tout qui, mis bout à bout, vous donnent envie ou non de confier ce que vous avez de plus précieux à tel CGP. Par exemple, le rendez-vous est-il fixé avec tous les détails pratiques pour que le client ne soit pas bloqué à la porte, faute d’avoir le digicode ? Cela n’est pourtant pas compliqué de joindre une page A4 soignée, avec un logo, et tous les détails utiles à venir en rendez-vous, dont les stations de métro et bus les plus proches. Serez-vous ponctuel ? Quelle est votre fiabilité à énoncer des délais si vous avez reçu votre client avec vingt minutes de retard, sans même présenter vos excuses ? Quelle est votre décoration ? J’ai connu un professionnel dont la lunette de toilette consistait en des clous immobilisés dans du plastique transparent… Les locaux doivent rester neutres, fonctionnels, mais peuvent attester de votre personnalité, discrètement.

Côté secret professionnel, je me souviens encore d’un professionnel posant fièrement dans le journal local autour de ses dossiers avec sur la tranche, bien visible, les noms des clients qui vendaient, qui divorçaient, qui décédaient… Ou encore, le professionnel montre son écran au client pour appuyer ses explications et voilà qu’une notification courriel apparaît, avec le nom et la situation d’un autre client !

Ou encore le siège est-il confortable ? Un client mal assis signera plus difficilement. Quelle est la qualité de la restitution du compte-rendu du rendez-vous ? Une vingtaine de pages arides, laborieuses, d’un jargon incompréhensible et anxiogène, là où trois ou cinq graphiques joliment présentés donnent une perspective, un calendrier, un budget, une démarche.

 

Vous avez été jusqu’à pousser l’accompagnement en écrivant un livre devenu une des meilleures ventes en quelques mois et reconnu par la profession. Pouvez-vous nous raconter l’origine de votre ouvrage Le Patrimonio ?

Je suis parti d’un constat pratique : un bon professionnel doit fournir des dizaines de réponses précises et souvent chiffrées en un seul rendez-vous, en direct, caméra à l’épaule. Prenons l’exemple de Monsieur et Madame Loge qui viennent en rendez-vous. Ils ont une fille (Laure car… l’horloge… mais vous pouviez le deviner) et quelques biens immobiliers et actifs financiers. Quelle est la protection du conjoint survivant en cas de décès ? Quel sera l’impôt successoral pour la fille ? Et comment peuvent-ils réduire l’impôt ? Madame aurait-elle la possibilité de vendre la maison sans l’accord de sa fille ? Et du côté de l’assurance-vie, quelle est la fiscalité successorale ? Et sur un projet d’investissement : quel est le déroulé d’un investissement dans l’immobilier neuf ? Le fonctionnement d’une copropriété ? La fiscalité de retrait d’une assurance-vie ? N’en jetez plus ! J’ai donc repris les cent questions les plus fondamentales posées au quotidien en rendez-vous à un CGP. Puis, j’ai classé en trois grands thèmes : constituer son patrimoine (en cinquante solutions), protéger ses proches par son patrimoine (en vingt solutions) et, enfin, transmettre son patrimoine (en trente solutions). Pour chaque question, j’ai rédigé un visuel percutant pour permettre l’explication facile, accompagné d’un texte pour énoncer les principes, les choix, les pièges, les stratégies, les astuces… Le texte est souvent relu par le CGP quand le client est dans la salle d’attente, comme le magicien place le lapin au fond du chapeau avant le spectacle…

 

Dans Le Patrimonio, vous décomposez un rendez-vous patrimonial en quelques questions, très faciles à retenir, pour structurer l’entretien. Pourriez-vous en dire quelques mots ?

Oui, reprenant mes cours aux étudiants préparant un Bac+5 en gestion de Patrimoine, je décompose un rendez-vous en questions très simples : où, qui, quoi, pour quoi, pourquoi… ? La première question « Où » permet de relever la présence ou non d’éléments d’extranéité et donc d’en tirer les conséquences sur la ou les lois, civiles et fiscales, applicables. Ce déroulé va permettre de recueillir l’information et de l’analyser au fur et à mesure. Dans votre apprentissage théorique, vous devez partir de tout ce qui est envisageable mais, face à votre client, vous allez élaguer l’arbre des possibles pour se limiter à son cas. Le Patrimonio décompose une méthode opérationnelle pour permettre de mieux accompagner le client en résolvant les points d’achoppements techniques.

 

Avez-vous observé quelques recettes du succès pour un rendez-vous patrimonial réussi ?

Le rendez-vous suppose un client qui a un besoin même imprécis. Il veut vérifier que vous êtes un guide de haute montagne capable de le guider de son point de départ au sommet, et ce par un chemin optimisé par rapport à son profil. C’est pourquoi il posera la même question, mais différemment, pour s’assurer de votre cohérence car elle est la mesure de votre expertise. Sur le fond ultime, un client n’a, par hypothèse, ni votre habilitation, ni votre expérience, ni vos connaissances, ni votre capacité d’analyse. Un rendez-vous réussi suppose déjà la volonté de gagner : ayez une vie passionnante, rencontrez des gens stimulants, lisez des ouvrages de grande qualité, construisez vos objectifs, assumez vos responsabilités, vivez passionnément et de manière équilibrée (et pas seulement dans votre alimentation), agissez ! Pour être meilleur pour les autres, vous devez être meilleur déjà pour vous-même.

Avec un CGP qui veut monter en puissance, nous prenons le temps de nous poser quelques questions structurantes : quels sont les explications de mes dernières réussites et mes derniers échecs ? Ai-je délégué, sous-traité, externalisé, satellisé, tout ce qui n’est pas créateur de valeur pour le client à commencer par remplir des formulaires redondants ? Comment puis-je me faire connaître ? Les conférences sont des supports très efficaces pour démontrer son expertise en peu de temps à beaucoup de monde. Comment pouvez-vous penser différemment notamment par une plus grande créativité ? Comment puis-je me positionner sur une niche (par exemple viser telle clientèle, comme les radiologues, tel actif, comme les cryptomonnaies, telle démarche, comme l’investissement moralement responsable…) ? Accepteriez-vous de prendre plus de risque pour avoir plus de succès ? Comment apporter un petit plus de différent, « quelque chose de Tennessee » aurait dit Johnny Hallyday ?

 

En quoi un rendez-vous patrimonial est-il difficile ?

Je reçois un couple âgé. Dès que je parle de montants en euros, par exemple, pour un impôt ou une provision sur frais, Madame dit à Monsieur : cela fait trois Chinois ou cela fait six Chinois. Je leur demande ce que viennent faire les Chinois dans notre rendez-vous. Madame m’explique : « vous savez avec les anciens francs, les nouveaux francs, les euros, mon mari ne s’y retrouve pas. Nous avons un appartement loué à un Chinois depuis des décennies, donc son loyer mensuel est notre référence d’unité » !

Ou encore, nous devions signer un acte et la provision sur frais n’arrive toujours pas. Je contacte la cliente, pourtant très motivée, à réaliser l’acte au profit de sa fille. « Oh excusez-moi, mon cher Maître, j’avais bien prévu de vous verser l’argent mais, entre-temps, je me suis dit que cela serait mieux que ma fille se refasse faire la poitrine ; donc nous reviendrons un peu plus tard pour signer l’acte ».

Notre métier est difficile parce que nous sommes dans la profondeur des âmes humaines chargées de bonté, de générosité, mais encore de ténèbres, jalousies, méchancetés… Et nous faisons le lien avec la technique pure, aride, sèche, souvent inutilement compliquée, car écrite par un législateur pas toujours à l’aise avec les concepts. Prenons la fiscalité d’une plus-value immobilière réalisée via une société : IS de droit commun, IS des titres de participations, plus-value professionnelle (court terme ou long terme), plus-value immobilière des particuliers (avec deux sous-régimes), plus-values immobilières des droits sociaux ? Sauf à être un avocat fiscaliste pointu sur le sujet ou sauf à avoir Le Patrimonio (fiche 47 !), la réponse est particulièrement ardue avec tant de cas à envisager.

 

Le Patrimonio se vend très bien, mais qui l’achète ?

Dans ma petite tête, je me disais que cela pourrait intéresser les gros acteurs du conseil patrimonial. Quand je suis venu, avec ma petite sacoche, présenter mon ouvrage, certains grands acteurs m’ont fait confiance tout de suite. D’autres m’ont rétorqué qu’ils étaient seulement des vendeurs… Souvent l’argument avancé était que le conseil était une perte de temps et d’énergie. Je ne le crois pas, mais chacun peut avoir son analyse.

Par contre, le succès des ventes de mon livre vient des CGP du quotidien, en contact direct avec les clients qui veulent une réponse rapide, fiable mais surtout pédagogique. Ce sont d’ailleurs eux qui me sollicitent le plus au quotidien pour le conseil.

  • Mise à jour le : 27/06/2023

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