Philippe Baillot : « Le CGP doit apporter une nouvelle valeur ajoutée à son client »

Par : Benoît Descamps

Observateur averti du marché de la gestion de patrimoine qu’il a rejoint au début des années 1980, Philippe Baillot, enseignant à l’université Paris I Panthéon Sorbonne, revient sur les grandes mutations de la profession. Entre risques et opportunités…

Profession CGP : Selon vous, quelles sont les grandes tendances du marché actuel de la gestion de patrimoine ?

Philippe Baillot : L’industrie de la gestion de patrimoine fait face à cinq changements de paradigmes qui sont autant sources de risques que d’opportunités pour les professionnels. Il s’agit de la baisse continue des taux longs, l’évolution démographique, la fiscalité induite par notre niveau de dépense publique, le choc réglementaire et l’avènement de la digitalisation. On pourrait également ajouter la mégatendance du verdissement de l’économie, mais cette pression est surtout sensible pour l’industrie de la gestion d’actifs.

PCGP : Revenons sur la première tendance, la baisse des taux longs. Quels en sont les enjeux ?

P. B. : Ce monde à taux 0 % met une pression inouïe sur les acteurs. Comment peuvent-ils créer de la valeur sur la durée, alors que le futur n’en a plus. La preuve, il n’est pas rémunéré ! Tous les fondamentaux sont remis en cause. Ces taux longs nuls mettent, entre autres, un terme au tout « fonds en euros » qui offraient tout ce que recherchaient les épargnants : sécurité, rendement et liquidité, qui plus est tant à court qu’à long terme !

La fin des fonds en euros s’accompagne très heureusement du retour du conseil. Désormais, le professionnel du patrimoine doit apporter une valeur ajoutée nouvelle à son client, en termes de définition de ses horizons de placement, d’allocations d’actifs induites, de timing d’entrée sur les marchés, d’arbitrages… Dans cette phase nouvelle sa connaissance effective du client constituera un must. « Et en même temps », le conseiller doit parfaire sa formation et son information sur l’évolution des marchés (mobiliers ou immobiliers). Le rôle du CGP s’en trouve enrichi. Cette évolution n’est naturellement pas neutre en termes de responsabilité, dans un cadre réglementaire, parfaitement schizophrène qui favorise la seule souscription d’obligations publiques au rendement désormais nul !

PCGP : L’évolution démographique suscite, quant à elle, des défis de taille au regard du financement des retraites et du risque de dépendance…

P. B. : L’allongement de la durée de vie est une heureuse nouvelle, pour le marché de la gestion de patrimoine. Naturellement, il s’accompagne de lourdes problématiques de financement. A titre d’exemple, sur un couple de 60 ans, il y a une chance sur deux qu’un des deux individus soit encore en vie à 97 ans. Peu de professionnels et encore moins d’épargnants ont conscience de tels horizons. Ils chamboulent les stratégies de financement de nos fins de vie. Quant aux successions, elles sont de plus en plus recueillies par des retraités ! Ces réalités nouvelles impactent également les allocations d’actifs puisqu’il est désormais de bon conseil d’être investi en UC à 60 ans, l’horizon d’investissement s’y comptant encore en décennies. Ainsi les besoins en termes de liquidité et de garantie du capital au quotidien sont-ils très surestimés, ce qui est heureux dans une phase de taux longs nuls.

Encore une fois, le CGP doit faire preuve de pédagogie à ce niveau. Il doit également développer ses compétences en termes de gestion de ce nouveau « bel âge », avec une expertise accrue de la curatelle, de la tutelle, du mandat de protection future… Pour sa responsabilité, gare à l’abus de faiblesse.

L’opportunité pour l’industrie est donc réelle : le besoin de se constituer une épargne à très long terme n’a jamais été aussi présent, d’autant qu’on ne peut que s’interroger sur la retraite par répartition.

PCGP : L’état de nos finances publiques va-t-il conduire à une fiscalité durablement lourde ?

P. B. : Depuis quarante ans, l’équilibre budgétaire n’est plus assuré, la dépense publique inefficiente, mais toujours en croissance. Et, avec la crise du Coronavirus, nous vivons une explosion des déficits… Notre fiscalité ne peut donc être que durablement pesante.

Or, c’est dans le domaine fiscal que les épargnants ressentent le plus fort besoin de conseil. Ainsi les professionnels disposent-ils d’une opportunité, au moins annuelle, d’apporter de la valeur ajoutée à leurs clients. Dans ce cadre, les CGP doivent être attentifs tant la répression de l’Etat y est puissante avec un arsenal juridique important : l’abus de droit et des délits de fraude fiscale ou de blanchiment de fraude fiscale toujours plus pénalisés.

Parallèlement, la fiscalité française est en perpétuelle agitation. Un conseil valable aujourd’hui peut devenir inapproprié demain car les lois sont de facto rétroactives. Par exemple, la fiscalité successorale applicable au dénouement d’un contrat d’assurance sera celle au jour du décès, et non pas au jour de la conclusion du contrat.

Cette agitation fiscale a au moins pour mérite de permettre au conseiller de pouvoir entrer en contact avec son client de manière régulière, au gré des évolutions.

PCGP : Depuis une dizaine d’années, le cadre réglementaire s’intensifie autour des professionnels. Peut-on penser que l’étau va se desserrer ?

P. B. : Le choc réglementaire est exceptionnel. Il suffit de se souvenir qu’il n’y a pas si longtemps, on pouvait souscrire un contrat d’assurance via un simple recto-verso. Aujourd’hui, il faut une brouette pour transporter un contrat !

Cette réalité est durable. De plus, elle est lourde et coûteuse car chronophage et elle s’inscrit en amont, pendant et en aval de la relation client. C’est également un nid à responsabilité pour l’intermédiaire avec une asymétrie voulue en faveur du consommateur. Cette réglementation a été construite, alors que les taux longs étaient encore élevés. Aussi rend-elle la vente d’UC toujours délicate ; avec au bout de la chaîne un juge qui, par méconnaissance, ne conçoit que la préconisation du fonds en euro. Une hérésie quand on sait qu’il ne rapporte plus rien et qu’il est potentiellement source de risque ! Une révision de nos réglementations – bancaires, assurantielles et des marchés financiers – est nécessaire. Elles ont par trop été construites en silos et communiquent insuffisamment entre elles.

Pour les établissements du secteur, on peut s’apercevoir que leur cours de Bourse a baissé parallèlement à la hausse de la pression réglementaire. Les acteurs institutionnels se voient ainsi exiger toujours plus de fonds propres, à la rentabilité dégradée…

Inversement, pour le conseiller, la réglementation est source d’opportunités. En particulier, la connaissance qu’il a de son client peut plus aisément que par le passé être parfaite. Auparavant, il pouvait être difficile d’obtenir la déclaration d’ISF d’un client. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et cela démocratise l’approche patrimoniale globale (l’APG). Le professionnel exerce donc dans de meilleures conditions puisqu’il dispose de toute la matière première nécessaire pour conseiller son client.

PCGP : Le digital, après avoir été vu comme une menace par les acteurs, pourrait-il devenir une solution à plusieurs défis de la profession ?

P. B. : Ici aussi, il existe des risques et des opportunités pour les CGP. D’un côté, le digital a éloigné le client de son banquier. A l’inverse, il autorise seul une baisse drastique du coût des back et front-offices. Or seule une productivité extrêmement accrue permettra de supporter les conséquences de taux longs durablement bas. Face au défi réglementaire, la digitalisation est une solution dès lors que l’exécution est parfaite.

Le digital est également une porte ouverte à l’arrivée de nouveaux acteurs qui mettraient une pression à la baisse sur la rentabilité des acteurs traditionnels. Mais dans ce domaine, l’expérience client doit être placée à un haut niveau d’autant plus que, contrairement aux principales réussites du e-commerce, l’achat d’un produit financier ne constitue pas une source de plaisir immédiat pour le consommateur. L’argent, dans la culture française, reste un produit anxiogène. Par les habitudes induites, les assistants vocaux pourraient constituer le cheval de Troie de nouveaux entrants, tant tout est une question de confiance. Pour autant, je considère que la gestion de patrimoine constitue un domaine où le contact humain restera privilégié.

  • Mise à jour le : 27/10/2020

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