Tanguy Polet : l’avocat assurbanquier

Par : Benoît Descamps

Crédit photo : Harry Matenaer

Il se voyait diplomate, mais débute sa carrière en tant qu’avocat avant de devenir assurbanquier. Tanguy Polet, le CEO belge de la structure française de l’assureur Swiss Life, a toujours cherché à enrichir ses compétences dans son parcours, quitte à se mettre en risque, tout en s’appuyant sur les conseils de son mentor, Charles Relecom.

Lorsqu’il se lance dans ses études supérieures, Tanguy Polet n’avait pas pour objectif de devenir assureur ou banquier. Son cercle familial n’a d’ailleurs aucun lien avec ces matières. Fils d’un professeur de Lettres à l’université et d’une mère secrétaire, ces quatre frères et sœurs exercent d’ailleurs dans le monde littéraire ou du service. « Je suis le seul de la famille à réaliser ma carrière dans le monde capitaliste », s’amuse-t-il.

Sa volonté première était de devenir diplomate. « Je sentais en moi quelques prédispositions à résoudre les conflits et gérer des risques. J’aimais la géopolitique et l’histoire des relations entre les Etats. La diplomatie est un rouage qui a, ces dernières années, perdu de sa puissance en raison de l’augmentation des canaux de communication digitaux devenus plus directs d’Etat à Etat. Cela change aujourd’hui : on se rend malheureusement bien compte que la diplomatie n’a jamais été aussi utile. »

Avocat de formation

Ce Belge attaque ses études en Droit, avec une spécialisation en droit économique et social. La suite prévue : une spécialisation en droit international afin de concourir au poste de diplomate. Mais une maladie, la mononucléose, l’empêche ensuite de passer le concours lui ouvrant les portes du quai d’Orsay et le contraint même à arrêter ses études durant huit mois.

Une fois guéri, et afin de ne pas laisser de longs mois avant que la prochaine promotion ne débute, il décide de passer l’examen du barreau. L’envie de devenir diplomate s’évapore. « J’ai intégré un cabinet qui m’a fait adorer la profession d’avocat. » Il exerce cette profession durant douze années dans différents cabinets. Avocat d’affaires, généraliste, à l’international, puis se spécialise dans le droit bancaire et financier dans la section contentieux.

S’il ne regrette pas d’avoir quitté la profession, il avoue avoir éprouvé certains manques. « Plaider m’a manqué pendant une dizaine d’années. Etre dans l’arène pour défendre son dossier jusqu’au bout ! Puis, j’ai pu retrouver un peu de cela dans mes fonctions en ayant la volonté d’être persuasif et pédagogue avec chaque collaborateur. Si j’ai quitté le barreau, c’est parce que j’avais un sentiment de frustration. Celui de travailler sur les enjeux et problématiques de clients, de trouver des solutions, pour, au final, ne pas savoir ce qu’ils en font… Il fallait que j’entre dans l’opérationnel ! »

Assureur du jour au lendemain

Il passe le cap en 2005. Plus précisément en mai. Il rencontre Charles Relecom qui officiait chez Swiss Life, en Belgique, et qui lui présente le projet de cession d’une filiale non-vie en Belgique, dénommée Zelia Insurance. Ce rendez-vous dure trois heures. « L’objectif de Charles n’était pas de se séparer d’une structure, mais de vendre une belle société, de la transformer avant la cession, car il souhaitait être fier de ce qu’il cédait. Dès cette première entrevue, il m’a alors proposé d’intégrer le comité de direction de la société car je pense qu’il avait repéré mon attachement pour l’humain. Et j’ai dit oui, sans trop réfléchir aux conséquences et sans même connaître mon salaire ! »

Sa nomination au comité de Zelia en tant que directeur des ressources humaines et de la compliance est entérinée. Il intègre la structure pour la réorganiser et relancer la dynamique de l’entreprise. « Nous avons opéré en totale transparence : chaque salarié savait que l’entreprise allait être vendue. De mon passage chez Zelia, je retiens principalement deux choses. J’ai d’abord appris à connaître les gens. Mon contact facile m’a aidé et nous souhaitions que chaque collaborateur connaisse les membres du comité de direction et comprenne la façon dont l’entreprise était pilotée. J’ai également appris à détecter les savoir-faire et carences d’une entreprise. Zelia avait subi de nombreux départs de collaborateurs, pour autant l’équipe était soudée dans l’adversité avec, comme objectif, de satisfaire les clients, en l’occurrence les courtiers. De par l’implication personnelle de chacun dans ce projet, nous avons su débaucher des talents, alors même que la société était à vendre. Outre cette fonction aux ressources humaines, mon approche de la compliance au comité de direction a été bénéfique et innovante dans le métier. » Finalement, Swiss Life renoncera à se séparer de la structure et la fusionnera avec la compagnie d’assurance-vie.

Commercial, marketing, international…

Après cette expérience opérationnelle, Tanguy Polet poursuit son parcours chez Swiss Life, toujours en Belgique, mais dans une nouvelle fonction, bien éloignée de celle d’avocat, de directeur commercial et marketing, et membre du comité exécutif. Sa mission : repenser la politique de distribution de la structure. Sa palette de compétences s’élargit à nouveau. « Nous avions historiquement une approche commerciale guidée par le volume, mais pas selon une logique de profitabilité. Ces produits étaient achetés par les clients et non pas vendus. Nous avons fait évoluer le modèle d’affaires avec nos partenaires vers une approche de création de valeur réciproque, de partage de marge, basée sur un partenariat de long terme. D’un point de vue personnel, alors que la fonction demande beaucoup d’énergie, j’ai pu apporter ma rigueur, tout en étant en interaction avec toutes les fonctions techniques de l’entreprise. » Puis le groupe décide de céder ses activités en Hollande et en Belgique. Une fois la vente réalisée, il ne s’attarde pas. « Il y avait des doublons… Et culturellement, cela ne me correspondait pas. » Mais Swiss Life a su apprécier son talent et lui propose de devenir directeur général de Swiss Life Luxembourg en 2008.

Nouveau challenge, nouveau métier, nouveau pays… Tandis que, dans le même temps Charles Relecom prenait ses fonctions à la tête de Swiss Life France, en remplaçant de Jacques Richier. « Le Luxembourg m’a offert un nouveau cadre d’activité avec une approche de l’international et des liens avec plusieurs entités du groupe : Singapour, Suisse… » Mais fin 2010, Charles Relecom le « rapatrie » à ses côtés. Il lui propose la direction générale de Swiss Life Banque Privée, en France, et membre du comité exécutif de Swiss Life France, une nouvelle fonction qu’il accepte « sans réfléchir ».

Nouveau métier, nouveau pays… « L’activité de banque privée avait été acquise en 2007 et faisait partie du projet global du groupe en France de se positionner sur la clientèle haut de gamme. Dans ce dispositif, la banque était un outil important, totalement intégré au dispositif car nous permettant d’avoir une approche globale. C’est d’ailleurs en nous inspirant de la banque privée que nous avons décidé de nous positionner comme un “assureur gestion privée” qui associe les solutions d’épargne et de retraite, de gestion de patrimoine et d’asset management, avec toute la légitimité du métier de banque privée au cœur de la stratégie. »

Architecte de la transformation digitale

A ce poste, il se stabilisera durant cinq années, puisqu’en 2015 il devient, poste spécifiquement créé, directeur de la division clients et de la transformation digitale de SwissLife France. La fonction est particulièrement transverse et structurante pour le groupe – service et expérience client, data science, innovation… – et lui permet de collaborer avec l’ensemble des structures déployées dans l’Hexagone.

Elle s’offre à lui comme une opportunité de compléter son expérience, lui permettant ensuite d’accéder à une fonction plus globale. « Nous ne savions pas comment appréhender le digital et il y avait à l’époque des inquiétudes sur des suppressions de postes, notamment dans les équipes du back-office. Mais nous savions qu’il allait être transformant pour nous. Nous devions réaliser notre mue vers une approche phygitale et l’adapter à notre business model. Ou comment transformer une entreprise avec la puissance du digital en y associant tous les collaborateurs et en capitalisant sur le conseil à haute valeur ajoutée. Nous avons su conserver une relation humaine forte avec nos clients en balayant les opérations à faible valeur ajoutée. Nous collaborateurs du back-
office n’exercent aujourd’hui plus une fonction dans l’entreprise, mais ont un rôle dans l’expérience client. Ils n’ont plus à craindre le digital car on ne remplace pas un rôle. Chacun est désormais devenu un promoteur du digital car il apporte de la puissance d’action. Cette transformation a aussi été l’occasion de prouver que nous sommes une société agile qui reste soucieuse de la relation qu’elle entretient avec ses clients et apporteurs d’affaires. »

Jusqu’au 1er mars dernier, Tanguy Polet occupe ce poste avant de succéder à Charles Relecom, qui reste membre du conseil d’administration de Swiss Life France en qualité de président, comme directeur général de Swiss Life France. En France, le groupe s’appuie sur un socle solide construit sur une stratégie menée depuis quinze ans autour de la clientèle patrimoniale qui détiennent au moins 250 000 euros d’actifs chez Swiss Life, et des clients TNS et dirigeants d’entreprise. « Ce modèle s’impose de plus en plus aussi bien chez nos clients que chez nos partenaires. Aujourd’hui, notre volonté est d’asseoir Swiss Life comme une marque utile. Notre raison d’être est de permettre à chacun de vivre selon ses propres choix, via le conseil, l’apport de solution et l’accompagnement dans le temps. »

Adoubé par Charles Relecom

En passant de fonction différente les unes des autres, Tanguy Polet a toujours souhaité relever les défis qui s’offraient à lui. « J’ai toujours cette volonté d’apprendre et de me plonger dans de nouvelles matières. A cela, il convient de bien s’entourer pour créer de la valeur. Le savoir-faire technique s’apprend et se construit avec l’entourage. »

Le management, il l’apprend sur le tas, toujours sous l’œil bienveillant de Charles Relecom. « Il me coachait, et même s’il me disait que je faisais une erreur, il me laissait prendre ma décision. J’ai appris de mes erreurs : par exemple au sein de Swiss Life Belgique, j’ai pensé pouvoir faire évoluer les mentalités, à raison avec certaines personnes, à tort avec d’autres. J’ai perdu du temps, mais j’ai appris et nous y sommes finalement arrivés ! Les conseils de Charles me guident encore. J’ai été épaté par sa capacité à miser sur les femmes et les hommes, en sachant bien appréhender leurs personnalités et leurs valeurs, et sans avoir peur de s’entourer de personnes parfois plus compétentes que lui dans leurs domaines d’excellence. Il aime pousser les gens à prendre plus de responsabilité ; même s’il faut un jour les “perdre” au profit d’une autre entreprise. Grâce à lui et Isabelle Sonneville, qui fut DRH de Swiss Life Belgique et France (aujourd’hui chez Axa), j’ai appris à détecter les personnes sur lesquelles on peut compter. J’apprécie tout particulièrement les valeurs, telles que la loyauté, la ténacité et l’élégance »

Sans oublier l’humour et un certain niveau d’autodérision – son côté belge, sans doute. Mais comment savoir sur qui s’appuyer ? « Il faut se fier à son intuition, briser la glace quand elle existe, créer un dialogue avec franchise et exigence. Ensuite, on se rend compte rapidement de l’implication et de la loyauté de la personne. Souvent, l’intuition devient factuelle. »

Tanguy Polet a très vite apprécié le secteur de l’assurance : « Les assureurs le deviennent presque toujours par hasard ! Il s’agit d’une profession méconnue, mais pourtant noble car elle sauve des vies, accompagne le développement de secteurs économiques et des pays, soutient l’entreprenariat en s’appuyant sur un savoir-faire technique puissant. Elle concerne chacun d’entre nous de par son utilité au quotidien, elle nous aide à conduire nos vies comme nous l’entendons. Exercer dans un groupe comme Swiss Life permet de s’appuyer sur un capital humain extraordinaire qui est la richesse de l’entreprise. Ces interactions entre les différents services, le management, les projets d’équipe donnent de l’énergie. Je suis très attaché à ce groupe disposant d’une forte culture et de valeurs qui se partagent du comité direction jusqu’à la plus petite structure opérationnelle. Charles était d’ailleurs très attentif à cela. Je n’ai jamais vraiment eu l’impression de “travailler” et j’entretiens souvent une amitié professionnelle avec mes collègues. Cela décuple le plaisir ! »

 

Sa vision du marché des CGP

« Les CGP sont pour nous des partenaires majeurs de notre développement. On constate qu’auparavant tous les acteurs du marché souhaitaient travailler avec la profession et qu’ensuite nombreux sont sortis du marché pour des questions de coût ou de choix stratégique. Or nous partageons avec les CGP le même modèle économique et les mêmes convictions. Avec eux, nous avons déployé des relations de partenariat fortes dans la durée. La consolidation du marché des CGP était inévitable. Nous nous y adaptons. En revanche, attention à ce que ces CGP, soutenus par des fonds d’investissement qui entrent sur ce marché par intérêt financier, ne perdent pas leur âme. S’agit-il de créer du cash ou de créer de la valeur dans la durée ? Attention à ce qui fait la valeur du CGP. »

  • Mise à jour le : 21/04/2022

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