Truffle Capital : financer les innovations de rupture

Par : Elisa Nolet

Truffle Capital continue à faire avancer la médecine avec une première mondiale : la découverte de l’enzyme responsable de l’immunodépression des porteurs du VIH. Un réel espoir pour les malades, comme pour le traitement de certains cancers, et un nouveau succès pour la société de gestion.

C’est une découverte majeure que vient d’annoncer Diaccurate. La biotech française a identifié le mécanisme qui paralyse le système immunitaire chez les personnes atteintes du Sida. Depuis 1983 et l’identification du virus VIH, les chercheurs avaient pu constater dans cette pathologie une baisse des lymphocytes T CD4+, des globules blancs qui jouent un rôle clé dans la défense de l’organisme. Les observations montraient que, chez les patients infectés par le VIH, un petit fragment du virus se fixe sur ces T CD4+. Pourtant, cela n’expliquait pas leur disparition. Car une question restait sans réponse : pourquoi, alors que moins de 0,5 % des T CD4+ sont infectés par le virus, ces lymphocytes sont tous dysfonctionnels chez les patients malades du sida ? Si le virus lui-même n’était pas en cause, personne n’était en mesure d’expliquer ce mystère. A l’institut Pasteur, le professeur Jacques Thèze explore, il y a quelques années, une nouvelle piste : celle d’une protéine qu’il n’a pas encore identifiée, mais qui attaque la membrane des lymphocytes T CD4+.

Repérer les brevets prometteurs

Une avancée qui intéresse le docteur Philippe Pouletty, cofondateur et directeur général de Truffle Capital, société de venture capital européenne indépendante spécialisée dans les sciences de la vie et les FinTech, qu’il a cofondée avec Bernard-Louis Roques en 2001.

Même si la protéine n’est pas encore identifiée, Philippe Pouletty conseille à Jacques Thèze de déposer un brevet et propose de l’aider à le rédiger, afin de protéger sa découverte. « En France, les chercheurs ont la mauvaise habitude de ne pas déposer des brevets assez tôt, déplore-t-il. Ils veulent d’abord poursuivre leur étude, s’assurer de la valeur de leur découverte. Or ils doivent protéger leurs travaux, sinon, d’autres pays déposent un brevet avant eux. » Les recherches du professeur Thèze sont prometteuses et Truffle Capital lui propose de les soutenir. Une société est créée en 2014, Diaccurate, entièrement dédiée à cette étude, avec Truffle Capital comme investisseur unique et Jacques Thèze au poste de directeur général. Une licence exclusive et mondiale est négociée avec l’institut Pasteur. Cinq millions d’euros sont investis.

Et les recherches progressent bien. La protéine est identifiée. Il s’agit d’une enzyme digestive, naturellement sécrétée par le pancréas, la phospholipase endogène A2 groupe 1B (PLA2G1B). « Elle sert habituellement pour la digestion. Lorsqu’il n’y a pas de cofacteur, elle ne joue pas de rôle pathologique. Mais en présence d’un cofacteur, comme un fragment de virus ou un cofacteur lié à certains cancers, ce duo infernal attaque le lymphocyte. Le cofacteur viral pervertit le système : il transforme l’enzyme en agent pathogène qui paralyse les T CD4+, avant qu’ils ne disparaissent. C’est un mécanisme totalement nouveau », explique le docteur Pouletty.

Fort de cette découverte, Diaccurate met au point un candidat-médicament, sous la forme d’un anticorps monoclonal. Son rôle : neutraliser l’activité paralysante de l’enzyme sur les lymphocytes des malades infectés par le VIH ou dans certains cancers pour lesquels d’autres cofacteurs jouent le même rôle que le VIH. Après avoir démontré son efficacité sur modèle animal, les essais cliniques vont maintenant être lancés, en principe, d’ici dix-huit mois. Avec un bel espoir de rémission pour les malades. Un système immunitaire restauré, capable de se défendre, permettrait de contrôler le virus, et de limiter, voire de supprimer à terme, les antirétroviraux. Et les applications de cette découverte ne s’arrêtent pas au sida. Certaines maladies infectieuses et certains cancers, notamment digestifs et rectocoliques, pourraient être concernés par ces avancées médicales. « Avoir un système immunitaire fonctionnel permettrait à plus de malades cancéreux de mieux répondre aux traitements d’immunothérapie tels que les checkpoint inhibitors et les vaccins thérapeutiques. Le médicament sera d’ailleurs sûrement d’abord évalué en cancérologie. C’est une avancée médicale potentiellement aussi importante que les immune checkpoint inhibitors, il y a quelques années », estime Philippe Pouletty.

Début mars, la découverte de Diaccurate a d’ailleurs fait l’objet d’une publication dans le très sérieux Journal of Clinical Investigations. « Une étape indispensable, poursuit le docteur Pouletty, car il est essentiel d’asseoir une découverte scientifique sur des articles dans des journaux de grande réputation internationale et de respecter toutes les étapes du processus de validation. »

Etre l’actionnaire de référence

Diacurrate fait partie des quelque soixante-dix sociétés créées par Truffle Capital en dix-huit ans dans le domaine des sciences de la vie et des technologies de l’information. Parmi ses fleurons, Carmat qui développe le premier cœur entièrement artificiel et est maintenant coté en Bourse. Mais aussi Abivax, née de la fusion de deux précédentes sociétés de Truffle et qui signa la plus grosse introduction en Bourse en 2015, avec deux candidats-médicaments en essai clinique dans les maladies inflammatoires et le cancer du foie. Ou encore Affluent Medical, née en 2018 de la fusion de quatre sociétés du portefeuille Truffle et spécialiste des implants innovants mini-invasifs de nouvelle génération.

Depuis sa création, Truffle Capital a levé plus de 1,1 Md€. Fin 2019, la société accélérait encore son développement avec un closing de ses fonds institutionnels BioMedTech et FinTech-InsurTech à hauteur de 400 millions d’euros environ d’engagements auprès d’investisseurs institutionnels français et internationaux majeurs. Truffle Capital se distingue par son business model unique : grâce à une sélection précoce d’innovations radicales, la société de gestion est présente dès l’origine des projets et cofonde toujours les entreprises dans lesquelles elle intervient. « Nous sommes plus des entrepreneurs que des venture capitalists », sourit Philippe Pouletty.

Pour trouver ses pépites, Truffle scrute les travaux en cours au sein des cinquante meilleures universités du monde, à l’affût de nouvelles demandes de brevets qui lui semblent intéressantes, des innovations de ruptures, et de celles qui répondent à des besoins de santé majeurs… « Nous créons ensuite une société qui négocie des accords de licence exclusifs et mondiaux avec les centres de recherches d’origine. Nous lui trouvons un nom. Nous recrutons les CEO et les équipes de direction, notamment, s’il le souhaite, l’inventeur du brevet, comme ce fut le cas avec Jacques Thèze. Nous mettons également en place des conseils d’administration internationaux de très haut niveau et élaborons le business plan », explique le docteur Pouletty.

Particularité de Truffle Capital : la société de gestion est systématiquement actionnaire de référence dans ses participations, souvent en position majoritaire pendant la phase initiale, voire seul actionnaire ; et elle accompagne ses entreprises jusqu’à un stade avancé de leur développement, généralement jusqu’au succès clinique, pour ce qui concerne les médicaments, ou commercial pour ce qui est des dispositifs médicaux. « Notre manière de fonctionner est très différenciée : les innovations de rupture viennent principalement du monde académique. Les demandes de brevet pourraient rester en jachère si nous n’allions pas les chercher. Or la science de très haut niveau est essentielle ! Truffle accompagne son développement en créant, finançant et structurant de nouvelles start-up, principalement en France », rappelle-t-il. Et les start-up doivent beaucoup à ce médecin entrepreneur. C’est lui qui a œuvré pour la conception et l’adoption du statut de Jeune entreprise innovante (JEI) lorsqu’il présidait France Biotech, entre 2001 et 2009.

Garder toutes les options ouvertes

Quel sera l’avenir de Diaccurate ? « Nous allons développer le produit sans brûler les étapes et garder les différentes options ouvertes, poursuit-il. Nous pourrons ensuite soit faire grandir la société de façon autonome, soit la marier à une autre entreprise et pourquoi pas alors l’introduire en Bourse, soit signer un contrat de licence avec un groupe pharmaceutique, soit tout simplement la vendre. Il faut se garder de signer trop tôt une licence avec un grand groupe. Nous souhaitons conserver toutes les options ouvertes afin de prendre, en temps voulu et en fonction des discussions, la bonne décision dans l’intérêt des actionnaires et du produit : il doit bénéficier au plus grand nombre de patients. »

Truffle : un business model atypique assumé, à l’image de son directeur général. Médecin, ancien major de l’Institut Pasteur en immunologie, ancien interne des hôpitaux de Paris et membre du Hall of Fame of Investors de l’université de Stanford, passé par la Silicon Valley, Philippe Pouletty est devenu un entrepreneur incontournable.

Un « entrepreneur pathologique chronique », comme il aime se définir, dont les produits développés par les sociétés qu’il fonde n’ont qu’une ambition : améliorer la vie des malades et révolutionner la médecine !

  • Mise à jour le : 07/05/2020

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