Le défi de la réduction du gaspillage alimentaire

Par : edicom

Infographie ministère de l'Agriculture

 

Par Gertjan van der Geer et Cédric Lecamp, cogérants du fonds Pictet-Agriculture

Environ un tiers des ressources alimentaires produites chaque année – quelque 1,3 milliard de tonnes – ne sont pas consommées. Face à ce défi, diverses entreprises dans le monde développent des technologies destinées à accroître l’efficacité au sein de la chaîne alimentaire.

Les êtres humains sont agriculteurs depuis plus de dix mille ans. Pendant la majeure partie de cette histoire, l’humanité s’est appuyée sur un modèle d’agriculture de subsistance exigeant une grande quantité de terre et de travail. Au milieu du siècle dernier, les progrès de la science et de la technologie ont déclenché un changement de direction vers un modèle d’agriculture industrielle, remplaçant la main-d’œuvre par des combustibles fossiles et permettant de produire de grandes quantités de nourriture sur des parcelles plus petites.

L’agriculture se transforme

L’ingéniosité humaine appliquée à l’amélioration du rendement nous a aidés à nourrir une population mondiale en plein essor, réfutant jusqu’ici la thèse catastrophique de Malthus. Cependant, les conséquences de l’agriculture industrielle sur l’environnement et la santé publique nous poussent aujourd’hui à trouver de nouvelles solutions innovantes pour une agriculture viable sur le long terme. Le paradigme de l’agriculture est en train de se transformer d’une focalisation sur le rendement pur, à un accent sur la qualité et une efficacité accrue à travers toute la chaîne d’approvisionnement.

L’un des facteurs les plus importants dans cette transformation est l’augmentation de l’efficacité et la réduction du gaspillage tout au long de la chaîne alimentaire.

Le 7 octobre 2014, à Lille, cinq chefs français préparaient un banquet. Le menu sophistiqué, composé de velouté aux endives, de rillettes de poisson et d’un sauté de légumes tandoori, présentait une particularité : tous ses ingrédients étaient destinés aux ordures. Ces agapes « poubelle » faisaient partie d’une campagne destinée à sensibiliser au gaspillage alimentaire en France, où chaque habitant jette en moyenne 20 kg de produits alimentaires par an.

Les initiatives locales innovantes, telles que le banquet de Lille, suscitent un changement d’attitude de la part des consommateurs au niveau mondial. Chaque année, la valeur des produits alimentaires gaspillés est estimée à environ 1 000 milliards de dollars [891 milliards d’euros, ndlr]. Les pertes de nourriture peuvent survenir tout au long de la chaîne de valeur alimentaire, soit lors de la récolte, de la transformation ou du stockage, lorsque des denrées alimentaires s’abîment, que leur qualité se détériore, ou qu’elles arrivent à expiration. Cependant, étant donné les coûts élevés liés à la transformation des aliments, plus la perte intervient tard dans la chaîne de valeur, plus elle est grande et plus son impact sur l’environnement est important.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ un tiers des ressources alimentaires produites chaque année – quelque 1,3 milliard de tonnes – ne sont pas consommées, ce qui représente un gaspillage au niveau de l’énergie, des sols et de l’eau ainsi qu’une augmentation des émissions de carbone dues à la décomposition de ces denrées.

En effet, le taux global annuel de perte alimentaire atteint en volume environ 30 % pour les céréales, 40 à 50 % pour les plantes racines, les fruits et les légumes, 20 % pour les graines oléagineuses, la viande et les produits laitiers et 35 % pour le poisson (cf. graphique « Part de la production globale initiale perdue ou gaspillée »).

Ce gâchis doit être pris à bras-le-corps, si la planète veut être en mesure de nourrir une population croissante en passe d’atteindre les 9 milliards à l’horizon 2050.

Pour relever le défi, diverses entreprises dans le monde développent des technologies destinées à accroître l’efficacité au sein de la chaîne alimentaire. Ainsi l’optimisation de la chaîne de valeur de l’industrie agroalimentaire et la réduction des déséquilibres agricoles dans le monde reposeront de plus en plus sur les avancées technologiques dans les domaines des machines agricoles, du stockage et de l’emballage. Une opportunité d’investissement des plus intéressantes pour de nombreux investisseurs.

Nuage et culture

Au niveau de la ferme, les nouvelles technologies contribuent à améliorer les pratiques de gestion agricole. Les constructeurs d’équipements agricoles y incorporent des systèmes GPS, de télédétection et d’analyse de données afin de rendre les méthodes de culture plus rentables et plus efficaces.

De leur côté, les entreprises agricoles prennent les mesures nécessaires pour exploiter les énormes quantités de données générées par les agriculteurs, depuis la collecte de données en temps réel jusqu’aux services en nuage (Cloud) permettant aux agriculteurs d’accéder aux données et offrant des conseils de plantation.

L’émergence de cette « agriculture de précision » est absolument essentielle dans un monde où les ressources sont limitées. Grâce aux technologies développées, l’utilisation d’eau et de nutriments culturaux peut désormais être mesurée et contrôlée, permettant de maximiser le rendement « par goutte ».

Des sociétés telles que les fabricants et distributeurs d’engrais ou les constructeurs de tracteurs ont bien compris l’importance croissante du secteur technologique dans le domaine de l’agriculture et investissent lourdement dans le stockage de données et les outils d’analyse. Ceux-ci sont susceptibles d’accroître les bénéfices de l’industrie agricole de quelque 20 milliards de dollars [17,8 milliards d’euros, ndlr].

Des technologies développées pour calibrer les mouvements des tracteurs en vue de minimiser l’emploi de carburants, d’engrais et de semences ont déjà vu le jour et sont largement utilisées. Selon l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, l’ensemble des technologies de l’agriculture de précision pourrait permettre d’accroître les rendements de 67 %, d’ici à 2050.

Nouvelle ère pour les carottes dédoublées

Plus en aval de la chaîne alimentaire, lors du transport et du stockage, l’innovation technique fait aussi la différence. Désormais, des améliorations telles que l’emballage antimicrobien protègent mieux les aliments, empêchent leur détérioration et assurent la sécurité alimentaire durant le stockage.

De nouvelles technologies sans fil permettent la collecte à distance des informations relatives à la fraîcheur des produits et à la croissance bactérienne. Les capteurs et sondes détectent tout changement de température lorsqu’une porte de réfrigérateur reste ouverte ou que des variations de pH révèlent une détérioration du lait par exemple, alors que des « nez électroniques » sont capables de déceler la présence des substances libérées lors de la dégradation du poisson. Ces informations sont envoyées à une banque centrale qui analyse les données et alerte les utilisateurs par texto ou courriel lorsque les limites sont atteintes, ce qui contribue à l’amélioration de la gestion des stocks.

Ces évolutions ont été rendues possibles par la miniaturisation des capteurs et la réduction de leur coût d’utilisation. Par conséquent, ces capteurs commencent à faire leur apparition dans les emballages de produits de consommation. Ils changent de couleur lorsque le produit est avarié, indiquant ainsi au consommateur qu’ils doivent être jetés.

Ces avancées contribueront dans un futur proche à minimiser le gaspillage alimentaire lié au comportement du consommateur qui a tendance à se débarrasser immédiatement des produits « périmés ». Ceci est souvent dû à une confusion importante qui subsiste à propos des dates d’expiration. En effet, des études au Royaume-Uni ont montré que près de la moitié des consommateurs ne savaient pas que la date de péremption n’était qu’une recommandation du fabricant, indiquant la date à laquelle la qualité était optimale.

Des initiatives visant à éduquer les consommateurs et à minimiser le gaspillage se multiplient dans le monde. En France, la chaîne de grandes surfaces Intermarché a lancé une campagne destinée à promouvoir les produits « moches » vendus 30 % moins cher.

En Allemagne, le café Culinary Misfits crée des repas à partir de légumes disgracieux. Aux Etats-Unis, The Daily Table, fondé par l’ancien président de la chaîne d’épiceries américaines Trader Joe’s, transforme des produits imparfaits, ayant dépassé la date de péremption, en repas sains, à des prix fortement réduits. Il en va de même à Amsterdam, où le restaurant « pop-up » Instock ouvre les week-ends pour cuisiner les produits que les supermarchés s’apprêtent à mettre au rebut. Bien que peu susceptibles de produire un effet spectaculaire à court terme, ces efforts au niveau local sont utiles pour montrer aux consommateurs qu’ils peuvent changer la donne.

Même lorsque les produits ne sont plus consommables, tout au bout de la chaîne alimentaire, les déchets organiques peuvent être recyclés par bio-raffinage. Ils se transforment alors en composants pour l’alimentation humaine et animale, ainsi qu’en bioproduits tels que substances chimiques, matériaux et énergie. Mais cette industrie, bien que prometteuse, n’en est qu’à ses débuts. Il sera nécessaire d’améliorer les technologies d’extraction afin d’obtenir un plus grand nombre d’ingrédients et de produire une qualité supérieure à celle atteinte par les pratiques actuelles.

Il existe peu de solutions à court terme pour réduire rapidement le gaspillage alimentaire. Le changement des pratiques de gestion, des technologies et des comportements prendra du temps et exigera la collaboration des secteurs privé et public. Dans l’intervalle, un certain nombre d’entreprises ont découvert des solutions ingénieuses afin d’affiner les modes de récolte et ont mis en place des méthodes nouvelles améliorant les rendements des cultures et de l’élevage, des emballages intelligents et des processus de réutilisation des déchets alimentaires.

 

  • Mise à jour le : 04/10/2015

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