La gestion du capital indemnitaire suite à un préjudice corporel

Par : edicom

Par Jacques Delestre, associé-fondateur d’Olifan Group

Gérer le patrimoine d’une personne victime d’un préjudice corporel n’est pas simple car nous rentrons dans la sphère d’un savoir-être surdimensionné, alors que le professionnel du patrimoine est plus dans le savoir-faire.

La gestion d’une situation humaine très sensible prend du sens si, et seulement si, le professionnel est en capacité de décrypter un certain nombre de codes. Ils sont nombreux, divers et variés : doit-on protéger la victime par une mesure de protection ? et si oui laquelle ? Au profit d’un membre de la famille ou plutôt à un tiers professionnel (mandataire judiciaire à la protection des majeurs), comment introduire ce sujet à la personne en situation de handicap ? Comment gratifier la mère ou le père qui a mis sa vie professionnelle entre parenthèses, comment communiquer auprès du juge des contentieux de la protection ?

Bref, une ingénierie spécifique, rare et recherchée par les familles des victimes qui ont du mal à trouver toutes ses réponses dans leur écosystème traditionnel.

L’indemnisation pour réparation d’un dommage corporel ou moral : quel traitement juridique, fiscal et social ? Il existe une singularité et un traitement spécifique lié à cette indemnité, à la fois d’un point de vue civil, fiscal et également social. Le professionnel doit exercer sa science en tenant compte de pré-requis.

 

Sur l’aspect civil

En régime séparatiste, l’indemnisation dommage corporel appartient à la victime. Sous un régime de communauté (régime légal ou par contrat) : la majorité des biens acquis pendant le mariage sont présumés appartenir à la communauté. Toutefois, « Forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, […] les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, […] et plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne » (article 1404 du Code civil).

L’indemnisation constitue, en principe, un bien propre par nature. Toutefois, la jurisprudence considère que les sommes réparant le préjudice économique (perte des revenus futurs) appartiennent à la communauté (Cour de cassation, Civ. 1re, 14 février 2006, n° 05-11709).

Il conviendra de se référer au protocole d’indemnisation ou au jugement pour identifier les postes personnels ou économiques. Ensuite, il faudra avoir une attention particulière pour tracer le réemploi des fonds, au même titre que chaque conseil avise son client lors d’un réinvestissement d’un bien lui appartenant en propre (suite à donation, succession, ou acquisition avant mariage).

 

Sur l’aspect fiscal
Impôt sur le revenu

Tout d’abord, analysons le traitement fiscal au niveau de l’impôt sur le revenu, car l’indemnisation est majoritairement constituée à la fois d’un capital et de revenus, ne serait-ce que par le poste de préjudice lié à un besoin de financement de la tierce personne.

Ainsi, le capital perçu au titre d’une indemnisation de dommages corporels n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu ni aux prélèvements sociaux.

La rente perçue au titre de l’aide humaine nécessaire, en vertu d’une décision de justice réparant un préjudice corporel, n’est pas non plus soumise à l’impôt sur le revenu (article 81, alinéa 9 bis du CGI), ni aux prélèvements sociaux. C’est aussi le cas en vertu d’un protocole amiable d’indemnisation.

En revanche, l’investissement de ces sommes peut générer des revenus et/ou plus-values, qui seront imposables dans leurs catégories respectives.

Il conviendra d’être vigilant lors du choix de certaines options fiscales pour anticiper l’impact sur les aides sociales de la victime.

 

Impôt sur la fortune immobilière

Concernant l’impôt sur le capital, il y a eu un avant-2018 et un après. A l’époque de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune), la règle fiscale était claire : l’indemnisation perçue en capital devait rejoindre le passif déductible. Depuis l’instauration de l’IFI (impôt sur la fortune immobilière), il n’existe pas de régime spécifique et dérogatoire.

Depuis 2018, le patrimoine immobilier d’un contribuable peut être concerné par l’IFI à partir d’un seuil d’1,3 million d’euros (patrimoine immobilier détenu directement ou indirectement).

Les biens immobiliers acquis avec l’indemnisation entrent dans le champ de taxation de l’IFI, sauf ceux
acquis avant le 1er janvier 2018 (réponse ministérielle Frédérique Lardet, Journal officiel de l’Assemblée nationale du 2 février 2021, question n° 5891).

Nous constatons un alourdissement du régime fiscal depuis le passage à l’IFI. Tous les acteurs spécialisés sur le champ de l’accompagnement juridique et patrimonial peuvent s’accorder à dénoncer ce traitement qui s’apparente à un « impôt sur le handicap ».

 

Succession

Les rentes ou indemnités versées en réparation d’un dommage corporel suite à un accident ou à une maladie sont déductibles, pour leur valeur nominale, de l’actif de succession du défunt (article 775 bis du CGI).

Les sommes allouées aux ayants droit de la victime pour le dommage moral subi sont également déductibles de leurs propres successions dès lors qu’elles revêtent un caractère indemnitaire.

 

Sur l’impact social

Percevoir l’AAH (allocation adulte handicapé) et cumuler d’autres revenus, est-ce possible ? Pour rappel, l’AAH est une aide différentielle. Elle se calcule selon le revenu net catégoriel du bénéficiaire de l’année N-2. D’autres revenus peuvent venir impacter le montant perçu.

Peut-on cumuler la rente tierce personne et l’AAH ? Oui, car la rente tierce personne n’est un revenu fiscalisé.

Peut-on cumuler la prestation de compensation du handicap, la rente tierce personne et l’AAH ? Oui, mais des difficultés peuvent survenir en cas de perception avant jugement définitif.

Contre le cumul, certains mettent en avant la perception de la prestation de compensation du handicap durant la procédure pour minorer le montant indemnitaire (déduction de la prestation de compensation du handicap de l’indemnisation finale : Cass., Civ. 2e, 16 mai 2013, n° 12-18093).

Pour le cumul, si elle a un caractère forfaitaire, elle est cumulable avec l’indemnisation pour dommage corporel et en particulier avec la rente tierce personne (Cass., Civ. 2e, 19 mars 2015, n° 14-12.792).

 

L’impact de la gestion patrimoniale lors de la perception d’une indemnisation d’un dommage corporel : focus sur l’assurance-vie

La déductibilité fiscale de l’indemnité en cas de décès de la victime a des conséquences.

En effet, l’assurance-vie, mal utilisée, peut engendrer une contre-performance fiscale très importante :

- la valeur nominale de l’indemnisation s’impute sur l’actif successoral de la victime au jour de son décès ;

- les contrats d’assurance-vie souscrits par la victime se dénouent hors succession ; le passif successoral ne peut venir en déduction des sommes versées aux bénéficiaires des contrats d’assurance-vie. Selon les montants, les prélèvements fiscaux dus par les bénéficiaires peuvent être très importants (article 990I, article 757B du CGI), et payés à cause d’un placement financier mal conseillé.

La solution :

- recourir à des placements financiers ou immobiliers « classiques », transmissibles via la succession (capitalisation, SCPI, immobilier…). Le montant nominal de l’indemnisation pourra venir en déduction sur leur valeur et ces derniers n’auront pas de droits de succession à payer ;

- souscrire un contrat d’assurance-vie en ne prévoyant pas de bénéficiaire, de manière explicite. Ainsi, les capitaux-décès réintégreront la succession et pourront bénéficier de la déduction du passif successoral. Cette solution peut s’avérer avantageuse pour bénéficier de l’option épargne-handicap proposée sur certains contrats d’assurance-vie et qui présentent des avantages fiscaux.

 

Conclusion

La connaissance et la maîtrise de l’environnement médico-social par le professionnel du patrimoine demeurent un impératif.

 

Sur le même thème, lire l’interview de Marc-André Ceccaldi, spécialiste en indemnisation des dommages corporels de victime., avocat au cabinet Preziosi-Ceccaldi-Albenois.

  • Mise à jour le : 27/06/2023

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