Famille et immobilier : construits/déconstruits

Par : edicom

Par Pascal Pineau, dirigeant de AF2P (Atelier Formation Pascal Pineau)

Acquisition et construction sont des étapes importantes dans la vie des familles. Pour autant, les conséquences de ces opérations ne sont pas toujours bien pesées. Aussi allons-nous explorer, en nous appuyant sur la jurisprudence récente, pléthore de situations délicates. Et si les couples forment dans cette affaire le gros du contingent, nous verrons aussi d’autres cas qui devraient également inviter, nous l’espérons, à une réelle vigilance.

Pour débuter, penchons-nous sur la situation des couples mariés et voyons les péripéties autour du toit qui les abrite. Précisons d’emblée que le sujet occupe largement les tribunaux ces dernières années. La Cour de cassation elle-même est assaillie, et l’importance du contentieux démontre assez clairement que les dispositions bancales pullulent en la matière.

Comment dénouer ces situations, présentant de sérieux déséquilibres financiers ? Une poudrière à laquelle la séparation du couple vient régulièrement mettre le feu.

Un toit pour nous et un pour tous

La question est brûlante pour les couples en séparation de biens, lorsque l’un des époux – le plus fortuné naturellement – a assumé seul une dépense dont il estime ensuite devoir être remboursé.

Souvent, cette dépense a trait à la résidence principale du couple, et en particulier à son acquisition en indivision par parts égales. Une égalité qui disparaît largement lors du remboursement des échéances de prêt…

Celui qui s’aventurait à de telles pratiques «ne pouvait réclamer, au moment de la liquidation de leur régime matrimonial, le versement d’une indemnité compensatrice au titre d’un prétendu excès de contribution aux charges du mariage pour avoir financé seul l’acquisition de ce bien» (Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-21.892 ; dans le même sens, Cass. 1re civ., 16 sept. 2014, n° 13-18.935 et Cass. 1re civ., 1er avr. 2015, n° 14-14.349). Dans certaines décisions, un facteur aggravant, à défaut sans doute d’emporter à lui seul la partie, venait la compliquer encore pour celui qui avait payé. Il faut le chercher dans le contrat de mariage.

Une clause comme un coup de grâce

Il est en effet assez fréquent, dans les régimes de séparation de biens, qu’une clause prévoit, s’agissant des charges du mariage donc, que les époux sont réputés avoir contribué à proportion de leurs facultés respectives au fur et à mesure et qu’il n’y a aucun compte entre eux à ce titre. Reste à connaître le poids de cette clause.

Dans un exemple récent, elle a tout emporté sur son passage, la Cour de cassation ayant suivi «les juges du fond [qui] ont souverainement estimé irréfragable la présomption» ; il ressort ainsi de la jurisprudence actuelle qu’«un époux ne peut, au soutien d’une demande de créance, être admis à prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage pas plus que l’excès de sa propre contribution» (Cass. 1re civ., 21 juin 2023, n° 21-25.326 ; dans le même sens déjà, Cass. 1re civ. 18 nov. 2020, n° 19-15.353). Ne resterait alors que l’espoir de changer de lieu d’affrontement pour accéder à un terrain sur lequel la victoire n’est plus interdite.

La forme du financement prend ici une dimension décisive, et l’effet des charges du mariage que nous venons de dépeindre disparaît alors.

Un capital plus que jamais capital

Il a ainsi été jugé récemment que, «sauf convention matrimoniale contraire, l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage» (Cass. 1re civ., 3 oct. 2019, n° 18-20.828).

Une décision récente a apporté de nouvelles et utiles précisions, s’agissant cette fois d’un bien personnel à l’épouse plutôt que d’un bien indivis et d’une opération de construction plutôt que d’acquisition.

Dans cette situation également, «sauf convention contraire des époux, l’apport en capital de fonds personnels, réalisé par un époux séparé de biens pour financer l’amélioration, par voie de construction, d’un bien personnel appartenant à l’autre et affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage» (Cass. 1re civ., 5 avr. 2023, n° 21-22.296). Le tout alors que «le montant de la facture demeure relativement modeste et constitue une dépense ponctuelle» (un peu plus de 36 000 euros en l’occurrence) et qu’«il n’est pas établi de sur-contribution aux charges du mariage». Au demeurant, la parenté avec la décision précédente est nette.

Au-delà du principal

Rappelons à toutes fins utiles que, pour les époux et lorsque les dépenses concernées sont passées par le remboursement d’un emprunt au fil de l’union, les charges du mariage ont des effets qui s’estompent en s’éloignant de la résidence principale… sans pour autant s’évanouir totalement. Si ces dépenses ont permis d’écarter toute créance également s’agissant de la résidence secondaire (Cass. 1re civ., 18 déc. 2013, n° 12-17.420), que les juges n’ont pas osé transposer la solution à l’immobilier locatif (Cass. 1re civ., 5 oct. 2016, n° 15-25.944).

Un mot pour les couples en régimes de communauté, que nous n’oublions pas bien que leur fonctionnement n’induise pas les mêmes questions.

Par la caisse de communauté

En matière d’investissements, le principe d’une récompense assure globalement les équilibres financiers par un principe de partage de la fortune, avec des patrimoines regardés par le législateur comme prêteur et emprunteur. Pour autant, tout n’est pas réglé. Au-delà du principe, le mode de calcul de la récompense compte naturellement.

Le profit subsistant, lequel «représente l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur» (Cass. 1re civ., 11 juin 1991, n° 90-12.142), fait référence lorsque « la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur » (C. civ., art. 1469, al. 3). Il n’en reste pas moins que, s’agissant d’un montant susceptible d’évoluer sensiblement dans le temps, «la décision qui se prononce sur une récompense calculée selon le profit subsistant sans fixer la date de jouissance divise est dépourvue de l’autorité de chose jugée sur l’évaluation définitive de cette récompense» (Cass. 1re civ., 21 juin 2023, n° 21-24.851), cette fameuse date qui sonne le glas de l’indivision post-communautaire.

Intéressons-nous maintenant aux autres couples, puisque pour eux aussi il y a à écrire, dans le constat comme dans la prospective.

Les partenaires de Pacs dans la roue…

Tout d’abord, les partenaires de Pacs, tenus par une version édulcorée du régime primaire, notamment depuis la réforme des successions et libéralités (L. 2006-728 du 23 juin 2006, entrée en vigueur au 1er janvier 2007), semblaient une cible naturelle pour l’extension de la jurisprudence sus-décrite, d’autant que la séparation des patrimoines y est le régime de droit commun.

Si le panorama est loin d’être aussi complet que pour les époux, une première décision a posé le cadre – et il serait à vrai dire étonnant que ce dernier ne reprenne pas l’ensemble des positions retenues en cas de mariage.

Plus que de prémices, il s’agit donc de fondations : s’agissant du remboursement des prêts contractés pour l’acquisition en indivision (50/50) de la résidence principale assumé par un seul partenaire – le plus fortuné évidemment –, la Cour de cassation a suivi la cour d’appel d’Angers, laquelle «a souverainement considéré que les paiements effectués par [le partenaire] l’avaient été en proportion de ses facultés contributives, a pu décider que les règlements relatifs à l’acquisition du bien immobilier opérés par celui-ci participaient de l’exécution de l’aide matérielle entre partenaires et en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, qu’il ne pouvait prétendre bénéficier d’une créance à ce titre» (Cass. 1re civ., 27 janv. 2021, n° 19-26.14 ; dans le même sens, Cass. 1re civ., 9 févr. 2022, n° 20-14.272).

S’agissant des partenaires toujours, une autre décision mérite mention. Il s’agit précisément d’un avis de la Cour de cassation à propos de ce qu’elle-même reconnaît comme important : «la question de droit est nouvelle, présente une difficulté sérieuse et est susceptible de se poser dans de nombreux litiges».

Un remboursement anticipé qui compte

Elle a précisé, à propos de partenaires de Pacs, que «le remboursement anticipé d’un emprunt ayant permis l’acquisition d’un bien indivis, lorsqu’il est effectué par un indivisaire au moyen de ses deniers personnels au cours de l’indivision, constitue une dépense nécessaire à la conservation de ce bien», dès lors qu’«il n’y a pas lieu de distinguer selon que le remboursement de l’emprunt s’effectue par le paiement des échéances ou par un ou des règlements anticipés» (Cass. 1re civ., 5 juill. 2023, n° 23-70.007).

Une solution déjà retenue, donc, s’agissant du règlement des échéances d’un tel emprunt (Cass. 1re civ., 15 mai 2018, n° 17-16.166) comme pour le règlement d’un crédit relais (Cass. 1re civ., 26 janv. 2022, n° 20-17.898). Avec une conséquence pour un partenaire indivisaire : «il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation» y compris, s’agissant d’une dépense nécessaire donc, si le bien n’a pas été amélioré (C. civ., art. 815-13, al. 1er).

Pour terminer notre tour d’horizon, nous arrivons aux concubins.

… et les concubins en chasse-patate

Rappelons que ces derniers font une apparition fugace dans le Code civil pour y recevoir définition (C. civ., art. 515-8). Une union de fait, rien de plus. Et les conséquences patrimoniales qui en découlent naturellement : «aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune, de sorte que chacun d’eux doit, en l’absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées» (Cass. 1re civ., 19 déc. 2018, n° 18-12.311).Ceux-là, très officiellement, ne connaissent donc pas le régime primaire. Et pourtant !

Si les juges ont pu, à de nombreuses reprises, s’appuyer sur des règles particulières à la situation visée (indivision, accession, etc.) ou, au contraire, sur des dispositions plus générales (enrichissement injustifié principalement), une notion que nous pourrions qualifier de « charges du ménage » s’est aussi insinuée dans certaines décisions. Il en est ainsi, par exemple, dans une affaire récente où un concubin avait financé partie de la construction d’une villa sur le terrain de la concubine. L’homme, dont il est précisé qu’il «a profité de la villa pendant plusieurs années» pouvait-il repartir aussi facilement avec une créance sous le bras ?

La Cour de cassation a ici reproché à la cour d’appel de Montpellier d’avoir pris position «sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la participation [du concubin] à la construction de l’immeuble dont elle avait constaté qu’il avait constitué le logement de la famille ne relevait pas, au moins pour partie, de sa contribution aux dépenses de la vie courante» (Cass. 1re civ., 9 févr. 2022, n° 20-22.533).

Si tous les couples ne se valent pas, un toit est un toit, et ainsi fait-il sa loi – ou du moins sa jurisprudence.

Au passage, on notera avec intérêt, lorsque créance il y a, l’application de la prescription quinquennale de droit commun (C. civ., art. 2224) en matière d’indivision : le concubin indivisaire qui a conservé, à ses frais, un bien indivis peut revendiquer une créance sur l’indivision, laquelle est «exigible dès le paiement de chaque échéance de l’emprunt immobilier, à partir duquel la prescription commençait à courir» (Cass. 1re civ., 14 avr. 2021, n° 19-21.313, publié au bulletin). Un clin d’œil au temps qui passe… souvent trop vite !

Terminons par quelques situations plus marginales qui n’en méritent pas moins un éclairage. Elles font intervenir d’autres personnages : en avant pour une trilogie mettant en scène les enfants, le beau-père et enfin une société.

La formule… et rien d’autre

S’agissant des enfants, c’est comme souvent le rapport effectué en vue du partage de succession qui pose problème. En l’espère, à propos d’un terrain donné.

Quand la cour d’appel «applique un abattement de 25% sur la valeur actuelle du bien pour tenir compte du fait que le donataire l’a viabilisé depuis la date de la donation», la Cour de cassation la rappelle à l’ordre en l’invitant, selon les termes de l’article 860 du Code civil à «rechercher la valeur du bien à l’époque du partage d’après son état à l’époque de la donation» (Cass. 1re civ., 9 févr. 2022, n° 20-20.587).

Quels que soient le montant retenu et la méthode réellement appliquée pour l’obtenir, il s’agit pour le juge de garder tout cela pour lui et d’afficher son adhésion à la règle. La façade sera sauve et la décision efficace.

Le second point concerne une combinaison étonnante, à vrai dire concernant plus la mise en scène que le dénouement.

Rester mais régler…

Des époux communs en biens ont édifié leur résidence principale sur un terrain appartenant au père du mari, mis en demeure par l’ex-épouse, à la suite du divorce, de régler sa quote-part sur la valeur de cette maison, en application du régime de l’accession (C. civ., art. 555). Comment cela se peut-il, alors que l’ex-belle-fille n’a pas été évincée ?

Pour la Cour de cassation, qui ne souhaite pas rajouter de condition au texte de loi, «l’action en remboursement de celui qui a construit sur le terrain d’autrui avec des matériaux lui appartenant, contre le propriétaire du fonds, prévue au troisième alinéa de l’article 555 du Code civil, n’est pas subordonnée à son éviction» (Cass. 3e civ., 21 sept. 2023, n° 22-15.359).

Enfin notre dernier crochet, plus surprenant peut-être, nous emmène devant le Conseil d’Etat, à propos d’une société. Il trouve pourtant sa place ici.

L’anormal aussi en société

En effet, pour taxer davantage une société étrangère localisée à Genève, mais soumise à l’impôt sur les sociétés français, l’administration fiscale a eu recours avec succès à l’acte anormal de gestion : «en mettant à la disposition gratuite de son unique associé deux appartements situés à Cannes, la société (…) avait renoncé sans contrepartie à percevoir des recettes qu’une gestion normale de ses biens eut procurées» (CE, 9e/10e ch., 22 juill. 2022, n° 444942).

Le plus fortuné doit ainsi régler la note à laquelle il souhaite échapper sans pouvoir efficacement réclamer celle qu’il estime avoir contre son compagnon ou sa compagne. Il faut sans doute s’y faire : tout se paye pour qui a les moyens, pourvu que l’étalement du règlement le fasse charges. Avoir un toit n’a sans doute pas de prix…

  • Mise à jour le : 22/01/2024

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