Stratégie d'allocation d'actifs d'Edmond de Rothschild

Par : edicom

La victoire du Brexit lors du référendum, obtenue avec un taux de participation très élevé et une majorité certes faible (52% contre 48%) mais finalement plus nette que ce que les sondages récents laissaient imaginer, constitue un choc de marché important. D’une part, les investisseurs s’étaient calés sur un scénario de maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. Par ailleurs, ce choc politique, inédit dans l’histoire de l’Europe, de surcroît pour une grande nation, génère une envolée de l’incertitude tant les conséquences sont en large partie inconnues, pouvant embarquer le cadre politique et économique européen dans de multiples directions.

Hausse des primes de risques, mais pas de risque systémique ni de risque majeur de liquidité

A la différence de la question du Grexit qui avait agité les marchés entre 2011 et 2015, la décision britannique n’engendre aucun risque systémique du fait de la non-appartenance de ce pays à la monnaie unique. Par ailleurs, nous n’avons pas observé de disruptions notables de liquidité, les banques centrales étant disposées à intervenir le cas échéant. Le défi consiste donc à intégrer le gonflement des primes de risque et à adapter nos vues de marchés à la nouvelle donne économique et politique.

Les nouvelles incertitudes

C’est le Parlement britannique qui décidera in fine

Le référendum du 23 juin est une consultation populaire qui n’a pas de valeur juridique. Seul le Parlement britannique est en mesure de solliciter l’article 50 du traité de l’Union européenne qui mettrait alors en place une procédure irréversible d’organisation de la sortie du Royaume-Uni dans un délai de deux ans, ce délai étant ajustable si les deux parties y consentent mutuellement. Il parait très improbable que cette démarche n’ait pas lieu. Mais dans ce contexte de tensions politiques extrêmes, on ne peut rien exclure d’emblée. Les Britanniques voulaient que leur parlement retrouve sa pleine souveraineté, c’est donc bien à lui et lui seul de décider.

L’impact économique du Brexit

De nombreuses simulations ont été réalisées tentant d’estimer à moyen terme l’impact d’un Brexit. La quasi-totalité des estimations aboutissent à un impact négatif sur la croissance britannique de l’ordre de 2% l’an prochain par rapport aux prévisions avant le Brexit et de 0,5% sur la croissance de la zone euro. Les conséquences de moyen terme dépendront de la nature de l’accord qui régira les relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.

Toutefois, la dynamique de court terme est clairement négative. Pendant deux ans, le Royaume-Uni restera au sein de l’Union européenne et pourra exporter vers la zone euro avec une devise très compétitive. Cependant, les investissements au Royaume-Uni sont appelés à se contracter nettement face à une telle incertitude. Aussi, les exportateurs européens souffriront d’avoir un grand partenaire commercial avec une demande domestique déprimée et une devise si faible. La profitabilité d’une partie des entreprises de la zone euro sera donc négativement impactée aussi bien en termes de compétitivité que de perspectives de vente.

L’impact politique du Brexit

Il est très vraisemblable que le résultat britannique galvanisera les forces anti-Union européenne qui prospèrent déjà en Europe. Le risque est donc que les marchés anticipent une poursuite du délitement de l’Europe et peut-être à nouveau de la monnaie unique.

Nous intégrons dans notre analyse bien évidemment ce risque. Mais nous intégrons aussi d’autres éléments :

- On ne sort pas aussi facilement de l’Union européenne quand on est membre de l’Euro tant les conséquences économiques et financières seraient bien plus matérielles et systémiques. L’expérience grecque confirme ce point.

- Le Royaume-Uni a freiné jusqu’ici l’approfondissement de l’Union européenne. Or, a minima, dans le cadre des pays membres
de la monnaie unique, elle semble incontournable. Suite à la décision britannique, un obstacle important vient d’être levé.

Il reste à savoir s’il demeure un capital politique suffisant dans les pays cœur de l’Europe pour poursuivre dans cette direction. Des initiatives devraient être annoncées prochainement pour réformer l’Europe. Nous aurons l’occasion ces prochaines semaines de mesurer la véritable direction que prendra l’Europe suite à ce tsunami politique.

Si l’Europe n’a jamais été aussi fragile politiquement, il ne faudrait pas sombrer dans l’excès de pessimisme. Elle dispose des ressources pour rebondir. 

 

3 scénarios pour le brexit

Probabilité 20% : Pas de Brexit ! La confusion politique régnant au Royaume-Uni dont témoigne par exemple la déclaration de Nigel Farage, annonçant que la promesse de verser la contribution britannique de l’Union européenne au système national de santé était une erreur (c’était pourtant l’un des arguments phare de la campagne du Brexit) suggère que l’opinion publique anglaise pourrait être moins hostile à l’Europe à la rentrée, une fois nommé le successeur de David Cameron. La volonté de solliciter l’article 50 ne serait alors plus la même.
Le peu d’empressement de l’Allemagne à obtenir un départ rapide du Royaume-Uni, qui contraste singulièrement avec celui de ses principaux voisins, est peut-être un signe que Berlin fait ce calcul. Une absence de Brexit permettrait aux actifs risqués de rebondir. Si un tel scénario devait se mettre en place, il faudrait attendre quelques semaines.

Probabilité 35% : réponse forte de l’Europe. Afin de répondre au choc politique, l’Europe proposerait prochainement un élargissement plus politique du champ d’action de la construction européenne sur des sujets (sécurité, défense...) pour lesquels la demande est forte. Par ailleurs, elle s’engagerait dans une politique économique (monétaire et fiscale) plus expansionniste pour que la croissance ne s’affaisse pas suite au Brexit. Nous sommes à ce titre, dès maintenant, très sensibles à toute inflexion potentielle du discours de la BCE. Tout changement constituerait un élément de soutien notable aux marchés.

Probabilité 45% : procrastination. L’Europe ne réussit pas à s’organiser pour apporter une réponse autre que symbolique au choc politique. Les marges de manœuvre européennes étant faibles en termes de politique économique, les autorités demeurent attentistes. Dans ce contexte, les primes de risque resteraient élevées et se tendraient préventivement, à l’approche des échéances électorales sensibles. 

Pas d’impact significatif du Brexit sur notre gestion

Depuis le début de l’année 2015, l’Europe représente notre thématique géographique principale tant sur les actions que les obligations. Depuis deux mois, nous avions réduit les risques en abaissant la surpondération sur les actions européennes et les obligations des pays périphériques et remonté le poids du dollar dans les portefeuilles pour intégrer le risque de sortie du Royaume- Uni.

Il faudra du temps pour prendre la mesure de la nouvelle direction que prendra l’Europe. A ce stade, rien n’est encore écrit. D’un point de vue économique, l’accélération de l’économie mondiale qui se profilait au second semestre est plus que compromise mais tout retour en récession nous semble exclu, à l’exception notable du Royaume-Uni. Les banques centrales seront plus accommodantes et la Réserve fédérale ne devrait pas reprendre son cycle de resserrement monétaire avant le quatrième trimestre, dans le meilleur des cas.

Dans ce contexte, nous maintenons notre allocation d’actifs, surpondérée en actions (sur l’Eurozone), en obligations à haut rendement et en dollars. Si les actions de la zone euro restent volatiles et sous-performent le reste des marchés, il nous semble que les fondamentaux vont revenir sur le devant de la scène, leur permettant de rebondir à moyen terme. Nous n’augmentons pas nos positions, le manque de visibilité pouvant encore détruire de la valeur à court terme.

Par ailleurs, les marchés du crédit européen nous semblent offrir le meilleur couple rendement/risque. En effet, tant que le risque de récession européenne est écarté (scénario que nous adoptons), le marché des obligations d’entreprises sera moins sensible aux aléas de la conjoncture et aux variations des primes de risque.
Enfin, même si la BCE n’intervient pas sur le marché du high yield, il est indéniable que ses achats protègent d’une forte volatilité l’ensemble des obligations non financières.

Face à cet environnement plus tendu, nous sommes en alerte pour faire évoluer notre politique d’investissement dès que nous aurons davantage d’éléments sur les différents points évoqués. 

 

Rédiger le 01/07/2016 par Benjamin Melman, directeur allocation d’actifs et dettes souveraines 

  • Mise à jour le : 08/07/2016

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