CGP : portrait d'un métier en pleine mutation

Par : Benoît Descamps

C'est quoi être un "conseil en gestion de patrimoine" (CGP) en 2018 ? Cette profession, qui a connu son essor dans les années 1990 en France, est aujourd'hui exercée par un grand nombre d’intervenants. Mais avec la mise en place des différentes directives européennes (MIF2, DDA, Priips) qui sont progressivement entrées en vigueur durant cette année, la profession de CGP a subi de grandes évolutions. Revue de détails sur les nouvelles contraintes réglementaires qui redéfinissent les contours de ce métier.

Le métier de conseil en gestion de patrimoine (CGP)

Une méthodologie éprouvée

Le conseil en gestion de patrimoine effectue une approche globale du patrimoine de ses clients. Une approche qui a été définie par de nombreux travaux, notamment par la norme ISO 22222 du conseil en gestion de patrimoine. Officialisée en décembre 2005, cette norme internationale s’applique au domaine du conseil en gestion de patrimoine, qu’il soit en France, en Chine, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.
Demandée à titre individuel et volontaire, elle spécifie les exigences relatives au comportement éthique, aux compétences et à l’expérience requis pour exercer la profession de conseiller en gestion de
patrimoine. Ainsi normalisée, la méthodologie éprouvée des conseillers en gestion de patrimoine se distingue des approches produits et besoins, et s’accomplit en plusieurs phases.

Découverte du client et de ses besoins

En premier lieu, le conseiller réalise un long entretien de découverte de son client (ou connaissance client) : sa situation personnelle et familiale (situation matrimoniale, présence d’enfants…), sa situation professionnelle (salariée, retraité, travailleur non salarié, dirigeant d’entreprise…), son budget (analyse des charges et des revenus), sa fiscalité (impôt sur le revenu, impôt sur la fortune immobilière), son patrimoine (analyse de l’actif, du passif et du hors bilan, protection sociale), ses objectifs qui sont à hiérarchiser (constitution d’un capital, préparation de la retraite, transmission, financement des études des enfants…) et ses préoccupations, ses appétences et réticences à la prise de risques selon ses objectifs.

Analyse et préconisations de solutions

Ensuite, le conseil en gestion de patrimoine  élabore un bilan patrimonial global. Lui succède une phase de diagnostic et d’analyse des forces et faiblesses de la composition du patrimoine (ou audit).
Puis viennent la suggestion et la mise en place d’une stratégie à la fois juridique, fiscale, sociale et financière établie conformément aux objectifs du client (développer son patrimoine, le transmettre, dégager
un complément de revenus en vue de la retraite, protection du conjoint, réduire son niveau d’imposition…).
Elle est mise en œuvre par des préconisations d’investissements (investissements en assurance-vie, immobilier, recours au crédit…) et/ou d’ajustements sur l’organisation juridique du patrimoine (constitution de holding ou société civile, réalisation de donations, rédaction ou mise à jour de ma clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, mise en place d’avantages matrimoniaux…).

Accompagnement du client

Le conseiller doit remettre des supports écrits à ses clients (document d’entrée en relation, lettre de mission, rapport de mission, entre autres…). L’action du conseil en gestion de patrimoine fait l’objet, bien entendu, d’un suivi dans le temps, avec notamment des rencontres incontournables lors de moments forts de la vie du client (mariage, naissance d’un enfant, succes-sion, anticipation du départ à la retraite, etc.), mais aussi aux rendez-vous fiscaux incontournables.

Une clientèle aisée

Les cibles privilégiées des gestionnaires de patrimoine ou des banquiers privés sont les professionnels libéraux, les cadres dirigeants et surtout les dirigeants d’entreprise.
Il leur faut généralement composer avec leurs autres conseils, à savoir le courtier ou l’agent général d’assurances, l’expert-comptable, le notaire, l’administrateur de biens ou encore l’avocat-conseil. Le CGP est souvent comparé à un médecin généraliste qui, en cas de problématique (pathologie) spécifique, oriente son client (patient) vers ce ou ces spécialistes.

Des problématiques complexes

L’accroissement des patrimoines des ménages et la complexité des situations patrimoniales et matrimoniales ont généré un surcroît de demande chez les clients finaux. En effet, ces derniers doivent faire face à des problématiques sociologiques, telles que l’accroissement du nombre de familles recomposées, des problématiques démographiques, avec toutes les inquiétudes liées au financement des retraites,
l’allongement de la durée de la vie (dépendance) ou l’accroissement du nombre de cessions d’entreprises en raison du papy-boom, et d’autres problématiques d’ordre conjoncturel, comme les incessantes fluctuations des marchés financiers, la baisse des rendements des fonds en euros ou l’adaptation aux changements de politique fiscale du gouvernement.
Plus que jamais, les épargnants français ont besoin d’accompagnement.

Un large panel de compétences

L’exercice de la profession de CGP nécessite donc de disposer – et de mettre à jour régulièrement – de solides compétences en :
- droit civil (régimes matrimoniaux, dévolution successorale, conséquences juridiques du di-vorce, gestion des personnes incapables, etc.) ;
- droit fiscal, avec les différents régimes d’investissement en immobilier locatif (location meublée, dispositif Pinel, déficit foncier, par exemple), l’impôt sur le revenu, le nouvel IFI, les régimes des plus-values, les enveloppes financières (PEA, PEA-PME, l’assurance-vie), etc. ;
- droit social (cotisations retraite, épargne salariale, prévoyance, optimisation de la rémunération du dirigeant, etc.) ;
- droit des assurances, avec une grande diversité de contrats (assurance-vie, contrat de capitalisation, contrat de droit luxembourgeois, etc.) ;
- gestion d’actifs, avec les diverses familles de placement ;
- droit international, pour la gestion des expatriés ou des impatriés ;
- comptabilité et finance, lorsque le professionnel souhaite s’adresser aux dirigeants d’entreprises et TNS.
Par ailleurs, le conseil en gestion de patrimoine est tenu de suivre au plus près les marchés financiers et immobiliers, afin de pouvoir préconiser des investissements judicieux à ses clients et ré­pon­dre à leurs interrogations sur leurs évolutions. De même, des connaissances en art ou objets de collection peuvent être un atout auprès de la clientèle fortunée, désireuse d’allier investissement et plaisir. Outre ces compétences, le professionnel doit posséder d’impor­tantes qualités relationnelles (sens de l’écoute, bonne élocution, sens du contact commercial…), dans le but d’obtenir la confiance de la clientèle et de conclure ses ventes, tout en entretenant la relation dans la durée.

Des formations multiples

Pour se former aux différentes techniques, les conseillers disposent d’un large choix de structures. Il peut s’agir des universités ou des grandes écoles qui ont multiplié, ces dernières années, le nom­bre de cursus de haut niveau (Bac + 5). De plus en plus souvent accessibles en formation continue, avec un emploi du temps adapté aux professionnels en exercice, ces enseignements sont dispensés dans chaque gran­de métropole française. Certaines spécialités ont même vu le jour, notamment autour des problématiques liées aux dirigeants d’entreprises ou la gestion du patrimoine des personnes vulnérables. Enfin, on assiste au développement de l’alternance qui permet aux étudiants en formation initiale d’acquérir une première expérience et aux entreprises de mesurer la qualité de leur collaborateur sur une longue période. 
Des organismes de formation sont aussi à la disposition des gestionnaires de patrimoine. Quelques sessions « comportementales », commerciales ou managériales y sont parfois prodiguées. En outre, les groupements de CGP et des associations professionnelles créent leurs propres séances, tout comme les fournisseurs de produits.

Différents outils et services

Pour faire face aux problématiques professionnelles, les CGP ont recours à des logiciels de calcul, afin de simuler leurs préconisations d’investissements, d’évaluer l’impact de celles-ci et réaliser le bilan de la situation patrimoniale de leurs clients. Ces outils peuvent être développés en interne ou par des sociétés spécialisées. Par ailleurs, des logiciels d’informations  juridiques et fiscales, mais aussi financiers ont été créés. Et une abondante littérature traite des différents thèmes liés à la gestion de patrimoine française.

Un grand nombre d’acteurs

L’activité est exercée à la fois par des CGP (aussi appelés gestionnaires de patrimoine, conseillers en patrimoine, gérants privés, gestionnaires de fortune ou conseillers pa­trimoniaux) salariés et indépendants.
D’autres corps de métiers exercent, en partie, l’activité de conseil en gestion de patrimoine, comme les notaires pour les aspects juridiques du patrimoine ou les experts-comptables pour leur clientèle de dirigeants d’entreprise. Par ailleurs, la création de nombreuses FinTechs et autres sites Internet vient de plus en plus concurrencer les acteurs traditionnels. 

Exercice à titre salarié

Parmi les sociétés de gestion de patrimoine, nous trouvons les banques (Société générale Private Banking, UFF, etc.), les sociétés d’assurance (Swiss Life Banque privée…), mais aussi, et de plus en plus, des mutuelles d’assurance, comme Maif Solutions financières. Des sociétés indépendantes plus ou moins récentes, à l’image de Cyrus Conseil ou Olifan Group, sont également présentes sur ce marché, tout comme des départements de gestion privée de sociétés de gestion de portefeuille (La Française Gestion privée, Cogefi Gestion…).

Des entités souvent autonomes

Les banques et les sociétés d’assurance ont mis en place des entités spécifiques à la gestion de patrimoine. Parfois, certaines d’entre elles ont développé des structures de gestion privée (private banking) pour leurs clients disposant de plusieurs millions d’euros d’encours, voire des structures consacrées au family office pour les familles très fortunées, les sportifs de haut niveau ou encore les dirigeants de sociétés cotées. Dès lors, elles proposent des solutions sur mesure.

Quelques spécificités

En matière de produits, les salariés disposent d’un choix souvent plus limité que les CGP indépendants. Leur rémunération est plus stable que celle des indépendants. Elle se compose d’une partie fixe et souvent d’une autre variable (en fonction de l’atteinte des divers objectifs de conquête, mais aussi de conservation des encours, par exemple), à laquelle peuvent s’ajouter d’autres éléments (participation, intéressement…). Les niveaux de rémunération varient largement d’un établissement à l’autre.
Le plus souvent, les établissements de taille conséquente privilégient les voies de la promotion interne ou du recrutement de jeunes diplômés pour étoffer leurs équipes. A l’inverse, les établissements de taille plus petite cherchent à débaucher des professionnels rompus à l’exercice du métier et disposant d’une clientèle « attachée ». Les salariés peuvent adhérer à l’ANCDGP ou à CGPC.

Exercice à titre libéral

Aujourd’hui, on dénombre environ trois mille cabinets de gestion de patrimoine indépendants de tout établissement promoteur de produits.

Des atouts indéniables

Ces cabinets peuvent contacter de nombreux fournisseurs et donc bénéficier d’une belle palette de produits dans chaque sphère d’investissement (assurance, gestion collective, prévoyance, immobilier, capital-investissement…). Leur liberté vis-à-vis des fournisseurs constitue leur principale force, tout comme leur proximité et leur disponibilité. Et leurs clients ont la garantie d’être suivis dans le temps par le même interlocuteur.

Une part de marché encore faible

Toutefois, dans le paysage de la gestion de patrimoine, les cabinets indépendants manquent de visibilité. Leur part de marché est souvent estimée à moins de 10 %.

Quand l’union fait la force

Les indépendants sont regroupés au sein d’associations professionnelles (CNCGP, La Compagnie des CGPI, ANCDGP et CGPC). De même, ils peuvent adhérer à des organisations re­groupant également d’autres professionnels libéraux, comme les experts-comptables, les notaires, les conseils en fusion-acquisition d’entreprises (CNCEF, CCEF, Anacofi). Des structures associatives plus réduites ont également été créées pour permettre aux CGP d’échanger sur leur quotidien de chef d’entreprise et à leurs fournisseurs de se former ou encore de partager des dossiers. Parmi ces groupements, nous trouvons La Boétie Patrimoine, Finindep ou encore Actualis Associés. Des structures de regroupement ont également vu le jour (Magnacarta, l’Office by Primonial ou encore CGP Entrepreneurs). Elles apportent divers produits et services pour décharger les CGP de leurs tâches non productives. Elles sont aussi un moyen pour les nouveaux entrants de franchir le cap de l’indépendance. Par ailleurs, des solutions logicielles ont été spécifiquement créées pour le marché des CGPI, comme les agrégateurs de comptes ou encore les outils de gestion de cabinet. Enfin, des plates-formes de produits ont été développées à leur attention. Elles leur proposent un accès à des solutions d’investissement et des services dans un ou plusieurs univers d’investissement, ainsi que des outils permettant de remplir leur mission (simulateurs, extranet…). Il peut s’agir de structures liées directement à des fournisseurs de produits, comme Axa Théma, Aprep ou Generali Patrimoine, ou des structures indépendantes, comme Nortia.

Une réglementation pesante

Les CGP souffrent d’une réglementation éparpillée, avec quatre statuts distincts (intermédiaire en assurances, CIF, inter-médiaire en transactions immobilières, IOBSP) et la CJA. En effet, depuis 2003 et la création du statut de CIF, leur cadre réglementaire ne cesse d’évoluer et va encore s’alourdir avec la mise en place des prochaines directives européennes durant l’année 2018. De même, ils doivent respecter les dispositions de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). En outre, les CGP ont l’obligation de souscrire un contrat d’assurance en responsabilité civile professionnelle (RCP) et garanties financières qui couvrent leurs activités de conseil et d’intermédiation. Ces contrats sont généralement souscrits via leur chambre professionnelle.
Ces réglementations ont alourdi leurs tâches administratives et sont vécues comme un frein au développement pour certains ou comme une source d’opportunités pour d’autres car leur permettant de mettre en lumière leur valeur ajoutée en termes de conseil et de suivi. En matière de rémunération, les indépendants perçoivent des commissions liées à la vente de produits (récurrentes ou ponctuelles), ainsi que des ho­noraires de conseil dont le développement reste difficile, mais qui devraient se développer en raison d’une plus grande transparence sur les rémunérations.
Aujourd’hui, l’intégration des nouvelles réglementations et du digital est clairement les deux grands défis des CGP.

Autres acteurs

Certains experts-comptables et notaires sont également très actifs en matière de gestion de patrimoine. Une association destinée aux experts-comptables a même été fondée : le Club Expert Patrimoine. Ces professions se rémunèrent sur leur prestation de conseil. Notons que les experts-comptables peuvent néanmoins réaliser des actes de commerce à titre accessoire. Aussi de nombreuses FinTechs et acteurs en ligne cherchent à investir le marché de la gestion de patrimoine et s’adressent à une clientèle généralement jeune avec la volonté d’impliquer davantage, voire de rendre autonome leurs clients. Dans ce domaine, on peut citer les sociétés Yomoni, Advize ou encore Nalo.

Un marché en pleine mutation

La mission de conseil des conseils en gestion de patrimoine demeure essentielle, en raison des nombreuses problématiques à résoudre et de l’étendue des produits d’investissements accessibles aux particuliers.
Dans un univers très concurrentiel, la qualité de service apparaît désormais indispensable, d’autant plus que la concurrence des FinTechs, grâce à l’appétence des clients pour cette nouvelle forme de contact ou pour leur tarif réduit, se développent à grands pas. Le marché reste atomisé et des opérations capitalistiques sont menées pour permettre à ces établissements d’accroître leur taille afin de réaliser des économies d’échelle et absorber, en partie, la baisse de leurs marges, notamment due à l’accroissement de la pression réglementaire.
C’est le cas, notamment, pour les CGP qui se rapprochent de plus en plus pour mutualiser leurs moyens, tout comme sur le marché des groupements où CGP Entrepreneurs a fait l’acquisition d’Infinitis, mais aussi chez les plates-formes et les fournisseurs avec le récent rachat de Sélection 1818 par Nortia ou encore l’acquisition de OneLife par Apicil.

  • Mise à jour le : 21/09/2018

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