André Comte-Sponville à Patrimonia : « La mondialisation est notre destin »

Par : Paola Feray

Le philosophe auteur de « Le capitalisme est-il moral ? » était invité jeudi matin à la première conférence lançant Patrimonia. Le père du concept d’insistantialisme a livré ses pensées et décoché quelques flèches. Alors quelles leçons philosophiques tirer de la crise sanitaire, financière et économique ?

« Rêvons un peu moins de morale, moins d’amour et donnons-nous les moyens d’avoir une politique mondiale ! ». Masqué, situation sanitaire oblige, aux côtés de Virginie Raisson-Victor, chercheur en relations internationales, géopolitique et prospective, et d’Anne-Laure Kiechel, conseillère économique, associée fondateur de Global Sovereign Advisory, André Comte-Sponville a éclairé de son verbe et de sa sagesse l’assistance de la première conférence organisée par Patrimonia sur le thème « 2020 : fin d’un cycle, vers un nouveau capitalisme ».

Car cette drôle d'année a bousculé toutes les certitudes, toutes les prévisions, toutes les prospectives. Il fallait bien un philosophe pour panser les maux d’une époque chahutée par une crise sanitaire mondiale.

L’humanité est une

« L’essence du capitalisme n’est pas modifiée par la situation sanitaire, lance le matérialiste. En revanche, deux traits accentuent la crise déjà commencée : la démondialisation et la fragilisation du salariat. La démondialisation est malheureusement renforcée par cette crise. Je pense que l’humanité est une, que la planète est une : la mondialisation est notre destin. La démondialisation est plus dangereuse que la mondialisation. Concernant la fragilisation du salariat, cela fait plusieurs années que je constate qu’un certain nombre de chefs d’entreprise rêve d’une entreprise sans salariés pour ne faire travailler que des indépendants. Un monde sans salariat serait difficilement vivable pour nombre de nos contemporains. »

Alors que nous enseigne la crise sanitaire, financière et économique ? « La crise économique entraînée par la crise sanitaire risque d’être beaucoup plus grave que la Covid-19 qui en est pourtant à l’origine. Parce qu’il me semble que tout le monde – les médias, les politiques – en exagère l’importance ».

« Le père de famille que je suis ne peut se réjouir qu’on sacrifie l’avenir de ses enfants »

Rappelant le chiffre de la létalité de la Covid-19 entre 0,3 et 0,5 %, « on a 99,5 % de chance d’y échapper » et que cette malade s’avère mortelle pour la population la plus âgée et celle plus fragile souffrant de comorbidité, « la moyenne d’âge de personnes décédées de la Covid-19 est de 81 ans et un peu plus », il serait vain de s’en inquiéter selon lui ! André Comte-Sponville, 68 ans, sait qu’il peut choquer, ses propos ces derniers semaines ayant même déjà suscité quelques tollés : « on sacrifie deux générations au profit de la santé de leurs parents ou de leurs grands-parents: les 20-30 ans qui arrivent sur le marché du travail et on parle de 700 000 emplois détruits, et les 9-15 ans, ceux qui sont à l’école, tous masqués devant des enseignants masqués. Ils ne voient que des humains sans visage ! Et le père de famille que je suis ne peut pas se réjouir qu’on sacrifie l’avenir de ses enfants à ma santé de quasi septuagénaire. Les problèmes écologiques en général et le réchauffement climatique feront beaucoup plus de morts que la Covid-19 ».

Dieu est mort, vive la sécu !

L’auteur du « Dictionnaire amoureux de Montaigne » relève trois dangers principaux nés de la crise sanitaire : le pan-médicalisme, le sanitairement correct et l’ordre sanitaire. « Le pan-médicalisme – et j’en parle depuis plus de vingt ans – est une idéologie qui tend à faire de la santé la valeur suprême, à la place de l’amour, de la justice, de la liberté, du bonheur… Voltaire écrivait joliment “J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé”. Dieu est mort, vive la Sécu ! Sincèrement, j’aime beaucoup la Sécu, il faut la défendre et la réformer pour la sauver, mais je ne crois pas que cela tienne lieu de religion, de spiritualité ou de sagesse. »

Deuxième danger : le sanitairement correct. « Si la santé est la valeur suprême, on n’a plus le droit de dire quoi que ce soit qui pourrait compromettre la santé des gens ! Ce n’est pas parce qu’il y a une pandémie qu’il faut oublier l’économie.»

Et enfin l’ordre sanitaire ou « la tentation de réduire de plus en plus nos libertés au nom de la santé. Le confinement a été la plus grande réduction de liberté que ma génération ait connu par décision politique sur prescription médicale et sous le contrôle de la police. »

Mais, tempère André Comte-Sponville en guise de conclusion, « je préfère attraper la Covid-19 dans une démocratie que de ne pas l’attraper dans une dictature… »

Une conférence à voir ou à revoir sur Patrimonia Live

  • Mise à jour le : 01/10/2020

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