Banque privée : le retour de la confiance

Par : Elisa Nolet

Loin de la défiance de 2008 à l’égard du monde de la finance, les Français les plus aisés portent aujourd’hui un regard positif sur la banque privée, perçue comme un partenaire privilégié pour les accompagner en cette période de crise. L’analyse de SwissLife Banque Privée qui publie son Observatoire 2020.

Le secteur de la banque privée est confronté à de nombreux enjeux. Enjeu de parts de marché lié à la croissance grandissante de la concurrence, celle des banques de détail mais également celle de nouveaux acteurs disruptifs et 100 % digitaux. Enjeu d’attractivité et de fidélisation face à des investisseurs en quête de solutions dont l’impact sociétal sera visible ou quantifiable. Enjeu enfin de rentabilité alors que les coûts de gestion ont fortement augmenté sous l’effet conjugué du durcissement de la régulation (MIFID II) et du développement d’onéreux outils de gestion digitaux. Tous ces enjeux sont encore exacerbés dans le contexte économique actuel.

Comme chaque année depuis 2014 (et à l’exception de 2019), Swiss Life Banque Privée publie son Observatoire de la banque privée, qui permet d’analyser la perception qu’en ont les Français les plus aisés. « Il s’agit d’un formidable outil, très utile dans une période comme celle que nous connaissons actuellement. Face au traumatisme massif, il était intéressant de regarder si les réactions des clients avaient marqué une inflexion par rapport aux années précédentes », explique Hervé Mercier Ythier, président du directoire de SwissLife Banque Privée. L’étude menée par Opinionway juste après le choc du confinement analyse les points de vue et comportements de trois groupes d’épargnants : les épargnants aisés (revenu du foyer supérieur à 72 000 euros et patrimoine financier de 100 000 euros minimum), les clients de banque privée et les hauts patrimoines (bénéficiant d’un patrimoine financier d’au moins 500 000 euros).

Le retour de la confiance envers les banques

« Premier élément frappant, au vu de cette étude : le retour de la confiance des épargnants vis-à-vis des banques, constate Hervé Mercier Ythier. Une attitude diamétralement opposée à celle qui avait suivi la crise de 2008, marquée par la défiance des clients à l’égard des placements financiers. La différence est saisissante. Elle s’explique par le fait que la crise de 2008 venait du système financier. Cette fois, les clients savent que le système financier n’est pas responsable de la situation et qu’il contribue même à résoudre une partie du choc plutôt qu’à l’amplifier. » Malgré le contexte incertain, l’image des banques privées s’est donc améliorée. Elles sont concrètement perçues comme des acteurs en mesure de répondre aux attentes des Français les plus aisés en cette période complexe.

Certaines dimensions très fortement associées à la banque privée, comme l’expertise patrimoniale (mise en avant par 80 % des Français aisés), la capacité à proposer un rapport rendement-risque satisfaisant, l’accompagnement personnalisé (79 %) ou le caractère « exclusif » et « prestigieux » de ces établissements (74 %) se renforcent dans l’esprit des clients. Elles contribuent à rassurer et redorent l’image de la banque privée. Que ce soit en matière d’offres ou de services, les banques privées demeurent très sensiblement mieux perçues que leurs homologues de détail par les Français aisés, et plus encore par les clients de banque privée et les hauts patrimoines. L’écart est particulièrement net concernant l’assistance en matière d’organisation patrimoniale et fiscale, la qualité de services, le relationnel avec les clients, l’offre et la performance des produits, et, dans une moindre mesure, l’assistance aux entreprises en matière de financement et de gestion de trésorerie. « Au sein des banques privées, nous avons observé pendant le confinement que les clients recherchaient énormément de conseils, témoigne Hervé Mercier Ythier. Leur grande crainte était de rater le rebond des marchés financiers. Lorsque ces derniers ont repris 25 %, les clients voulaient savoir comment se repositionner. Ils se sont tournés spontanément vers la banque, a priori la mieux placée pour les accompagner. Nous avons reçu beaucoup d’appels à ce sujet, ce qui illustre bien la confiance des clients. » Le différentiel entre l’image de la banque privée et celle de la banque de détail perdure donc dans le temps et tend même à se renforcer s’agissant du relationnel et de l’assistance aux entreprises.

MIFID : intrusif mais utile

Autre surprise de l’étude menée par Opinionway pour Swiss Life Banque Privée : le nouveau cadre réglementaire auxquelles sont soumises les banques est plutôt bien appréhendé par les épargnants et participe même d’une meilleure perception du secteur.

Alors que 75 % des clients de banque privée ont eu à remplir un questionnaire dans le cadre de la réglementation MIFID II, la très grande majorité d’entre eux l’ont jugé bien construit, pertinent et utile, tout en le considérant cependant intrusif et contraignant.

Aux yeux des clients, la réglementation a finalement un impact positif puisqu’elle permet d’améliorer l’accompagnement délivré par le conseiller, de renforcer la pertinence de ses propositions de placement, et ce malgré la hausse de la tarification des services délivrés qui en découle. « Toutes les banques ont vécu les directives européennes MIFID comme un bouleversement contraignant et intrusif, rappelle Hervé Mercier Ythier. La réglementation a imposé la mise en place de questionnaires d’abord perçus par les clients comme un moyen trouvé par les banques pour se protéger, plutôt qu’un outil pour les protéger eux. Force est de constater que cette révolution a finalement été assez bien acceptée, peut-être grâce à la façon dont les conseillers présentent cette étape obligée de la relation client. La réglementation est intrusive, mais utile. Elle apporte une transparence qui était très attendue, face à cette fiction qui veut que le conseil soit gratuit en banque privée ! »

Une plus grande prudence côté investissements

Mais si la crise a amélioré la confiance des investisseurs vis-à-vis des banques, elle a clairement impacté leur optimisme. La défiance est nette quant à l’avenir de l’économie française et celui des PME, même si le pessimisme s’avère moins prononcé chez les clients de banque privée (44 % restent optimistes pour l’économie française et 41 % pour les PME) que chez les Français aisés (35 % et 32 %) et les hauts patrimoines (39 % et 35 %). 80 % des clients de banque privée conservent d’ailleurs une réelle confiance en l’avenir de l’entreprise dans laquelle ils travaillent, contre 69 % des Français aisés. Sans surprise (cf. graphique « Un manque d’optimisme quant à l’avenir de l’économie française et des PME »), cette vision peu reluisante de l’avenir de l’économie française conduit les Français les plus aisés à revoir leur manière d’investir. Près d’un haut patrimoine sur deux admet avoir modifié son comportement d’épargnant, chiffre  qui monte à 59 % chez les clients de banques privées. La prudence domine chez la très grande majorité d’entre eux. Cette prudence se traduit par la volonté de stimuler (pour 56 % des clients de banque privée) ou d’accroître (pour 28 %) une partie de leur épargne. Le potentiel de performance et le couple rendement/risque sont les premiers critères d’allocation déclarés, suivis par la sécurité du placement.

Malgré les incertitudes, la conjoncture offre un grand nombre d’opportunités d’investissement aux yeux des épargnants interrogés. C’est même la conviction de 77 % des clients de banque privée. Les investisseurs les plus aisés privilégient la diversification et visent majoritairement des placements considérés comme sûrs. Ainsi, l’immobilier arrive en tête des solutions jugées les plus pertinentes dans la période actuelle (pour 58 % des clients de banque privée). « La crise s’accompagne d’un repli par rapport aux marchés financiers et d’un retour en grâce de l’immobilier. Les clients les plus fortunés cherchent d’ailleurs à accéder en direct, privilégiant le club deal à la SCPI. Depuis quelques mois, l’intérêt pour l’immobilier, actif tangible, est très prégnant. Il faut toutefois relativiser l’importance de ces comportements prudents, car la part des actions reste élevée », constate Hervé Mercier Ythier. En effet, 50 % des clients de banque privée estiment judicieux le placement en actions dans le contexte actuel. Suivent les fonds en euros, considérés pertinents par 36 % des clients de banque privée. Viennent ensuite les SCPI (34 %), les solutions de défiscalisation (30 %), les obligations (25 %), le Private Equity (18 %) et les produits complexes types produits structurés (17 %).

« Le Private Equity est encore peu connu des Français, remarque Hervé Mercier Ythier. Il souffre certainement d’avoir été très édulcoré, à l’intérieur de fonds de fonds, soit un très grand niveau de diversification avec beaucoup de frais de gestion, pour un rendement pas toujours très élevé. Or, ce support peut être moins intéressant qu’un investissement plus direct s’il est fait avec le conseil d’un bon spécialiste. »

Un recours accru au digital

La crise sanitaire n’a, en revanche, pas modifié fondamentalement les motivations à devenir clients d’une banque privée. Les utilisateurs attendent de leur partenaire bancaire un service personnalisé (pour 55 % des clients), une vraie expertise (45 %) et des conseils patrimoniaux et fiscaux (44 %). Le conseil patrimonial demeure d’ailleurs le service le plus largement délivré en banque privée, devant les conseils/propositions en matière d’investissement.

Cependant, la majorité des clients de banque privée qualifie de « normale » la relation qu’ils entretiennent avec leur conseiller, loin de la percevoir comme « privilégiée ». L’amélioration de cette relation client est d’ailleurs l’attente la plus spontanément citée. Pour autant, les clients expriment parallèlement leur désir d’autonomisation, notamment par un recours plus prononcé au digital. Une conséquence visible de la crise sanitaire et des deux mois de confinement… Les clients de banque privée ont été amenés à avoir davantage recours aux outils et services digitaux proposés, en particulier pour gérer leurs comptes et données bancaires, télécharger des documents, obtenir des informations et des conseils sur les marchés financiers, entrer en contact avec leur conseiller… L’accès aux données en ligne et la visioconférence avec le conseiller ont d’ailleurs de plus en plus d’importance aux yeux des clients, en quête d’échange et d’immédiateté. Ce recours nouveau au digital s’est fait sans douleur grâce à une bonne maîtrise des outils informatiques de la part des clients, indépendamment de la crise.

Et la très grande majorité d’entre eux entend bien poursuivre ces pratiques digitales dans la durée. « Les outils digitaux entrent dans les mœurs, confirme Hervé Mercier Ythier. Des outils qui étaient prêts, mais que les clients boudaient quelque peu jusqu’alors… Aujourd’hui, ils les utilisent par nécessité. On a franchi en quelques mois des années de résistance ! Et cela va modifier la relation banque/client, avec des démarches administratives franchement simplifiées, en particulier pour les actes de gestion simples. Cela permet de se recentrer sur le temps utile avec son conseiller : discuter d’une succession, de questions fiscales, etc. Les clients ont un très grand besoin de conseils de long terme. »

Les crises, chacun le sait, exacerbent les tendances en cours. Celle du coronavirus accélère clairement des changements déjà à l’œuvre depuis plusieurs années dans le secteur de la banque privée. Cette dernière voit son image améliorée auprès des épargnants et son rôle renforcé. A condition de travailler tout particulièrement la relation et le service client, elle tient là l’occasion de confirmer l’avantage et de grappiller quelques parts de marché…

  • Mise à jour le : 27/10/2020

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