De nouvelles missions via la fiducie gestion

Par : edicom

Par Sylvain Theux, gérant du family office Holding Fortune et président de l’Appifi

Assez largement méconnue par la profession, la fiducie gestion apparaît comme un nouvel outil à disposition des professionnels du patrimoine pour accompagner les clients dans l’administration de leur patrimoine. En tant que tiers protecteur, le CGP s’ouvre une nouvelle source de rémunération récurrente sous forme d’honoraires.

Le chiffre d’affaires d’un cabinet traditionnel de conseil en gestion de patrimoine se répartit entre les revenus de son activité de courtier en assurance-vie, qui représente 60 % de ses recettes, l’activité CIF (20 %), le conseil en ingénierie patrimonial (5 %), le solde se répartissant entre l’immobilier, le crédit, la prévoyance et autre.

Son activité dépend principalement de la collecte et du maintien des encours financiers qu’il conseille, que cette épargne soit investie sur des portefeuilles titres ou des contrats d’assurance-vie. En effet, sa rémunération est prélevée sur les frais appliqués à ces différents produits d’épargne. Cette source de revenus est d’autant plus stratégique qu’elle est récurrente, son versement étant calqué sur celui du prélèvement effectué par les établissements promoteurs de produits.

Hausse des frais fixes chez les CGP

Il est facile d’imaginer la crainte qu’a pu provoquer le risque de voir disparaître la capacité de percevoir ces rétrocessions lorsque le législateur européen s’est proposé de les interdire au profit d’honoraires que le conseiller serait allé négocier auprès de chacun de ses clients. Si cette interdiction des rétrocessions n’a pas (encore ?) vu le jour, la réglementation permettant la perception des commissions s’est considérablement alourdie. Le conseiller doit dorénavant justifier de la qualité de son service aussi bien par la connaissance de son client, l’information qu’il lui donne et les fonctions de quasi-police qu’il s’est vu déléguer dans le cadre de la lutte anti-blanchiment.

Les procédures mises en place pour respecter l’ensemble de ces nouvelles obligations ont un coût significatif. Les règles ne sont pas toujours claires et il n’est pas rare de devoir faire appel à des consultants spécialisés comme les RCCI pour définir le programme de la conformité à respecter. Le compte d’exploitation des cabinets a souffert de cette impérieuse mise aux normes. Si les recettes ont été préservées, les dépenses, elles, ont considérablement augmenté.

Le business model des conseils en gestion de patrimoine réserve néanmoins toujours une place prépondérante à l’épargne financière. Cette activité, rémunérée de façon récurrente, permet de valoriser le portefeuille clients et crée une richesse à part entière.

L’usage est de déterminer un prix de la clientèle en multipliant par trois ou quatre le chiffre d’affaires annuel récurrent qu’elle génère. On constate une accélération du rythme des rapprochements qui augmente mécaniquement la taille des cabinets. Les acheteurs font le pari que le volume sauvera leur compte d’exploitation détérioré par des procédures qui pourraient être automatisées et mutualisées. Les dirigeants de ces cabinets deviennent de plus en plus souvent des chefs d’entreprise, le management de leur build-up les éloigne de leurs clients et les solutions offertes sont de plus en plus standardisées…

A l’inverse, certains professionnels ont souhaité maintenir un service personnalisé à leurs clients. La vocation du conseil patrimonial étant de couvrir toutes les composantes du patrimoine des familles, l pratique du family office se répand. Néanmoins le montant des honoraires perçus par les cabinets reste très modeste. Le conseil en ingénierie patrimoniale offre en effet une forte valeur ajoutée mais réclame des connaissances techniques et une capacité de travail importante. Pour une prestation qui a longtemps été offerte puisqu’elle servait de produit d’appel pour récupérer l’épargne si rémunératrice…

Le CGP tiers protecteur

Dans ce contexte, la proposition d’un service fiduciaire présente une opportunité de diversification qualitative de leur chiffre d’affaires. Cet outil juridique reste pour autant méconnu par la profession, probablement parce que les CGP sont exclus des professions pouvant être désignées fiduciaires. Même la possibilité qui leur est offerte d’être tiers protecteur est passée inaperçue alors qu’elle leur permet de mettre en valeur l’expérience accumulée à sélectionner les gérants d’actifs.

En effet, l’article 2017 du Code civil offre la possibilité au constituant d’une fiducie de désigner un tiers protecteur chargé de préserver ses intérêts. En d’autres termes, il s’agit de vérifier que le fiduciaire réalise correctement sa mission et en informer le constituant. L’analogie est évidente avec la surveillance des fonds et la transmission des reporting aux clients.

Des sociétés de gestion de portefeuille développent déjà des services dédiés aux conseillers en gestion de patrimoine pour les accompagner auprès de leurs clients, endosser le rôle de fiduciaire et les rémunérer en qualité de tiers protecteur. La gestion de patrimoine pourrait voir son spectre étendu et ne pas se limiter aux contrats d’assurance-vie. Les honoraires perçus à surveiller l’administration et la gestion du patrimoine seraient eux-mêmes récurrents et participeraient à la valorisation des cabinets qui justifieraient de cette désignation.

Une pratique à défricher

L’allongement de la durée de la vie, notamment celle des clients, impose de réfléchir à la nature des services à proposer. Les contraintes réglementaires n’épargnent pas les clients. Il est probable qu’un jour elles les lasseront et les inciteront à déléguer plus largement la gestion assommante d’un patrimoine.

Poursuivre l’accompagnement des familles sera un enjeu fondamental pour les cabinets de demain. La fiducie constituera une des solutions permettant aux professionnels du patrimoine de se recentrer sur l’échiquier du conseil. L’accompagnement des personnes âgées n’est évidemment pas la seule situation justifiant la création d’une fiducie. C’est de la pratique que se détacheront les situations les plus courantes. En effet, le succès de la fiducie auprès des conseils en gestion de patrimoine dépend de plusieurs facteurs au premier rang desquels figure bien évidemment la formation. Une bonne évangélisation ne pouvant se faire sans bible, les fiduciaires auront intérêt à soutenir cet effort d’information. La pratique de la fiducie-gestion décloisonnera cet outil aujourd’hui essentiellement utilisé comme alternative aux garanties traditionnelles des prêts-hypothèque, nantissement. Les contours du rôle de tiers protecteur doivent également être précisés. Il peut aisément être un « simple » superviseur mais ce serait oublier que le code civil va jusqu’à lui conférer, sur option certes, les mêmes prérogatives que celles dont dispose le constituant (!). Ses missions peuvent ainsi être bien plus étendues que la simple information.

La création d’une association comme l’APPIFI va bien évidemment s’attacher à offrir des outils de formation aux professionnels intéressés par le rôle de tiers protecteur. Elle va également définir une charte visant à encourager les bonnes pratiques. Car partager les prérogatives du constituant, c’est possiblement partager sa piscine au mois d’août. Or, il n’est pas certain que ces abus favorisent le développement de la fiducie… Sans aller jusqu’à ces extrêmes - plus humoristiques que probables -, il conviendra d’identifier et gérer les potentiels conflits d’intérêts. Cette charte devra par exemple prévoir les cas où il existe un lien entre le fiduciaire et le tiers de confiance et les mesures à apporter pour garantir l’objectivité du contrôle.

Un cadre juridique bientôt assoupli ?

Par ailleurs, la création d’une fiducie est chère. Dans un premier temps, le déploiement de la fiducie sera consacré à convaincre les familles fortunées. Dans un second temps, la pratique patinera une standardisation des conventions de fiducie pour que les atouts de cette « nouvelle » gestion du patrimoine s’adressent à un public plus large.

Il est enfin probable que la fiducie souffre de ne pouvoir être constituée avec une intention libérale. L’article 2012 du Code civil en formule l’interdiction : pas de donation ni de legs indirects via la fiducie. Cependant, cette interdiction pourrait être bientôt levée assurent les juristes experts sur ce sujet. On imagine alors les perspectives étonnantes que l’outil pourrait présenter dès lors qu’elle permettrait une transmission à titre gratuit du patrimoine. Le cousinage avec le mécanisme de l’assurance-vie serait troublant et la fiducie apparaîtrait dès lors comme une alternative puissante. Le temps est venu pour tous les professionnels de la gestion de patrimoine d’embrasser la belle endormie.

  • Mise à jour le : 27/06/2019

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