Déterminer la valeur d’une entreprise non cotée

Par : edicom

Par Jeremy Lellouche, expert-comptable associé, commissaire aux comptes, cabinet Fox Audit

Tout chef d’entreprise s’interroge à un moment de son parcours sur la valeur de son entreprise. Il est fortement recommandé de faire appel à un professionnel spécialisé et reconnu pour sa pratique en matière d’évaluation. L’évaluateur est généralement un professionnel du chiffre, comme l’expert-comptable. Il est nécessaire que ce dernier soit formé, expérimenté, documenté et outillé.

Le travail d’évaluation peut être réalisé à visée fiscale, comptable ou juridique. L’évaluateur intervient fréquemment à l’aune d’opérations ou transactions telles que les cessions d’entreprises, les transmissions d’entreprises ou encore les levées de fonds. Il est fait appel à ce type de professionnel à l’initiative du cédant et ses conseils, de l’acquéreur, d’une banque, ou encore d’une juridiction à l’occasion d’un litige.

L’évaluation n’est pas une science exacte

Elle ne saurait prétendre à délivrer la valeur exacte d’une entreprise. L’évaluateur a généralement recours à plusieurs approches et méthodes, qui, de manière combinée et argumentée, aboutissent à une fourchette de valeur. Il est intellectuellement préférable de mettre en perspective plusieurs approches afin d’avoir une vision plus juste et éclairée. La valorisation d’une entreprise, dans la mesure où il n’existe pas de marché organisé (en dehors des marchés boursiers) qui définit un montant de référence, est pour l’essentiel fonction de l’intérêt des parties pour l’aboutissement de l’opération.

Distinguer valeur et prix

La résultante de l’évaluation est une valeur objective de l’entreprise, hors des motivations spécifiques de l’acquéreur, du contexte et des modalités de la transaction.

Il convient de différencier la valeur intrinsèque, théorique d’une entreprise, du prix payé effectivement, si transaction il y a. Il est clair qu’il peut exister de grands écarts entre la valeur calculée et le prix payé. Cela dépend du contexte de la transaction et de la négociation (urgence de la transaction, rareté de l’affaire, concurrence des acquéreurs, montant plancher de cession pour le vendeur). L’intérêt du calcul d’une valeur est d’une part de proposer une base rationnelle de négociation et, d’autre part, d’évaluer la surenchère qu’un acquéreur est prêt à payer compte tenu de son intérêt par rapport à la société cible.

Double diagnostic

L’évaluation de l’entreprise suppose d’abord un double diagnostic : financier et extra-financier. Ce n’est qu’à l’issue de ce double diagnostic que l’évaluateur pourra déterminer les méthodes de valorisation les plus adaptées.

Une analyse financière réalisée par l’évaluateur sur la base d’éléments objectifs, déterminés notamment à partir de données financières historiques (bilans, comptes de résultats, liasses fiscales), mais également prospectives (projections d’exploitation et projections financières). Ce travail sur trois ou cinq années, voire plus, mettra en relief les performances antérieures et la situation actuelle de l’entreprise cible en termes de chiffre d’affaires, taux de marge, excédent brut d’exploitation (équivalent de l’EBITDA anglo-saxon), résultat d’exploitation, résultat net, besoin en fonds de roulements, capacité d’autofinancement, etc. L’évaluateur s’emploie à modéliser économiquement et financièrement l’entreprise afin d’en extraire des agrégats, des ratios, moyennes et tendances. L’évaluation d’entreprise implique dans certains cas, de procéder à des retraitements d’éléments bilantiels et/ou de certains postes du compte de résultat.

A titre d’illustration, dans le but d’obtenir un EBITDA représentatif des performances réelles de l’entreprise, l’évaluateur peut retraiter un élément de chiffre d’affaires non récurrent, une rémunération anormale ou bien des dépenses clairement exceptionnelles.

Une analyse extra-financière de l’entreprise qui porte sur ses qualités intrinsèques, avantages concurrentiels et perspectives de développement. L’évaluateur va chercher à comprendre comment l’entreprise a fonctionné dans le passé et de quelles façons elle pourra se construire demain : sur quels marchés, suivant quelle réglementation, avec quelle gouvernance, etc. La compréhension des fondamentaux de l’entreprise et l’identification de ses forces et ses faiblesses implique une exploitation documentée des données financières complétée par une analyse, telle que celle proposée avec la célèbre matrice SWOT (Strengths, Weaknesses, Opportunities and Threats, soit l’équivalent traduit en français de l’analyse FFOM pour forces, faiblesses, opportunités et menaces).

La seconde étape est le travail de valorisation stricto sensu. Il consiste à calculer la valeur de l’entreprise à partir d’un panel de méthodes d’évaluation, puis de sélectionner la ou les méthodes à retenir afin d’en extraire une fourchette de valeur. Il n’est pas nécessairement opportun d’établir une moyenne arithmétique d’un grand nombre de méthodes ou approches d’évaluation. Il est souvent plus fondé de limiter le nombre de méthodes à 2, 3 ou 4, de les mettre en perspective et d’en extraire une moyenne pondérée. Il appartiendra à l’évaluateur de justifier le choix des méthodes ainsi que les pondérations retenues.

Trois méthodes incontournables

Les méthodes d’évaluation les plus utilisées sont la méthode patrimoniale, l’approche de rentabilité par les flux de trésorerie, et enfin l’approche comparative dite des « multiples ».

La méthode patrimoniale

Au travers de cette première approche, l’entreprise ou la société va être valorisée dans une logique liquidative : quelle valeur peut-on réaliser en cédant l’ensemble des actifs de la société tout en remboursant toutes les dettes ? La méthode patrimoniale est donc fondée sur l’évaluation du patrimoine accumulé dans l’entreprise, s’attachant davantage aux performances passées de l’entité qu’à son potentiel. On parle de la valeur de l’actif net comptable (ANC) et – plus finement – de celle de l’actif net comptable corrigé (ANCC). En effet, un certain nombre de postes du bilan doivent être appréhendés à leur juste valeur, parfois différente de la valeur comptable historique. Ces écarts correspondent à des plus ou moins-values latentes, modulo l’imposition différée correspondante. L’ANCC peut alors consister à cumuler les actifs après retraitements et réévaluations et y soustraire les actifs fictifs, les provisions pour risques et charges et l’ensemble des dettes.

Les start-up et sociétés en amorçage possèdent cependant des capitaux propres relativement faibles et peu d’actifs inscrits au bilan, ce qui implique souvent une valeur patrimoniale limitée. Il convient pour ce type d’entreprise d’inscrire fidèlement à l’actif et valoriser années après années leurs productions immobilisées. A l’opposé, les PME et/ou entreprises plus anciennes auront une valeur patrimoniale plus substantielle du fait d’actifs valorisables comme des biens immobiliers, machines, les stocks, etc.

La méthode des « discounted cash flows » (DCF)

Les DCF consistent en une méthode prospective assez universelle et utilisable dans la plupart des cas. Cette approche est incontournable pour des start-up ayant des résultats passés limités, mais des perspectives de croissance intéressantes. L’évaluateur procédera à une valorisation de l’entreprise à partir de ses flux de trésorerie futurs, actualisés à un taux représentatif du niveau de risque. La valeur de l’entreprise aujourd’hui dépend ainsi de la somme des flux de trésorerie qu’elle pourra générer dans les années à venir.

Il convient de disposer d’un business plan ou bien de le construire car cette méthode fait appel aux projections d’exploitation recueillies sur un horizon de projection donné : cinq ans, dix ans, quinze ans… Les projections d’exploitation sont fondamentales dans cette méthode. Si elles s’avéraient trop optimistes, voire fantaisistes, on pourrait voir une société en amorçage se valoriser plusieurs millions en l’absence de résultats financiers concrets. L’évaluateur doit systématiquement se montrer critique quant au prévisionnel qui lui est présenté, et en particulier s’assurer qu’il est en cohérence par rapport aux résultats passés et au benchmark sectoriel. Il est important d’actualiser chacun des flux nets de trésorerie futurs car 100 euros dans cinq ans valent moins que 100 euros aujourd’hui même : c’est l’inverse du mécanisme de capitalisation. Il est à noter que l’évaluation est faite en fonction des flux générés par la société une fois les investissements et sa croissance assurés ; le dernier flux appelé « valeur terminale » doit également être appréhendé.

La méthode des comparables : les multiples de valorisation

Suivant cette troisième approche, l’évaluateur doit identifier les prix des transactions (vente d’entreprise, cession d’actions, levées de fonds) portant sur des sociétés présentant des caractéristiques comparables en termes d’activité ou de taille. L’accès à des données de marché fiables est un prérequis pour opter pour cette approche d’évaluation. En effet, il est difficile d’obtenir des informations suffisantes et exploitables sur des transactions et leurs modalités précises pour en déduire une tendance et un multiple applicable. On entend par « multiple » un coefficient applicable à un agrégat, tel le chiffre d’affaires ou l’excédent brut d’exploitation pour obtenir la valeur d’entreprise. L’évaluateur travaillera sur des formules de valorisation du type : « valeur d’entreprise = 7 x EBITDA » ou bien « valeur d’entreprise = 110 % x CA ». Ces calculs aboutiront à une estimation de la valeur d’entreprise mais non du prix à payer pour l’acquisition de la totalité des actions ou parts sociales. Le passage de l’un à l’autre suppose d’ajouter la trésorerie et soustraire le montant de l’endettement net.

Dans cette approche d’évaluation, il est supposé que les prix des transactions observés sont justes, ce qui est beaucoup plus admissible au sein d’un marché structuré comme celui des sociétés cotées. Le raisonnement de valorisation par multiple comparable est plus limité pour des transactions opérées en l’absence de marché organisé.

En conclusion

Le travail d’évaluation conduira à l’obtention de plusieurs résultats, obtenus chacun via une méthode spécifique. L’évaluateur procédera au calcul d’une moyenne pondérée des résultats obtenus par chaque méthode et formalisera son opinion dans un rapport conclu par une fourchette de valeur. Chaque dossier est unique. Le principal piège en matière d’évaluation est de se lancer dans un travail calculatoire sans avoir mené à bien les diagnostics préalables sur l’entreprise à évaluer. Il est indispensable d’appréhender le marché dans lequel l’entreprise évolue, son positionnement concurrentiel et sa stratégie. Les caractéristiques intrinsèques de l’entité cible varient tout autant que les particularités de la transaction (cession d’une participation minoritaire, rapport de force déséquilibré entre cédant et acquéreur).

Au-delà des nombreuses approches et méthodes développées, c’est in fine la loi de l’offre et de la demande et le rapport de force qui fixe les prix. Certaines start-up sont parfois valorisées avec une dose d’intuition et un risque accepté du fait de la confiance qui se crée entre un investisseur (business angel ou fonds d’investissement) et le(s) fondateur(s).

  • Mise à jour le : 23/04/2019

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