Guillaume Lucchini (Scala Patrimoine) : les CGPI, « des indépendants plutôt que des entrepreneurs »

Par : Benoît Descamps

Issu du monde du droit des affaires, Guillaume Lucchini, fondateur du cabinet Scala Patrimoine, pose un regard sans concession sur ses confrères CGPI. Selon lui, les indépendants du patrimoine ont tout intérêt à se positionner avant tout comme des experts du droit et de la fiscalité, plutôt que comme des professionnels de la finance.

Profession CGP : Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre profession ?

Guillaume Lucchini : Le marché des CGPI reste dominé par des acteurs tournés davantage vers le « commercial » que le conseil. La profession est décrédibilisée par ce qu’on peut appeler des « vendeurs de Pinel ». C’est notre ressenti, mais également celui de nos partenaires avocats, notaires, experts-comptables…

Par ailleurs, on ne sent pas l’engouement et la volonté des CGPI de s’adapter à la réglementation européenne et à la montée en puissance du digital. Sur ce second point, la concurrence qui se développe repose toujours sur l’idée que l’on capte un client via un produit et non pas sur le conseil.

Bref, j’estime que le marché ne prend pas suffisamment ses responsabilités pour se développer, alors qu’il existe une autoroute pour la croissance des acteurs indépendants dont le positionnement doit nécessairement être davantage celui d’un conseiller que d’un vendeur.

PCGP : Pourtant, notamment sous l’impulsion de la réglementation, le marché s’est, de l’avis de tous, professionnalisé.

G. L. : Tout à fait, mais nous constatons qu’il s’agit souvent d’un vernis juridique et fiscal, mais que la finalité reste la même : l’intermédiation de produits. Nos partenaires des professions réglementées sont toujours aussi frileux à travailler avec des CGPI. A titre de comparaison, au sein de notre cabinet, nos rapports de mission font généralement entre trente et cinquante pages, ils sont écrits par nos soins en totalité, avec l’appui, bien sûr, de bases documentaires. Cette culture de l’écrit et de la personnalisation des dossiers vient de notre culture de base, celle d’avocat.

Chez nos confrères, ces mêmes rapports sont, lorsqu’ils existent, souvent très peu volumineux et constitués de briques rédactionnelles piochées ci et là, et avec une approche trop peu personnalisée. La principale raison est que les CGPI ne sont généralement pas issus du domaine juridique ou du conseil. Ensuite, on constate un suivi léger des dossiers, une approche toujours tournée vers le produit, le manque de structuration en back-office des cabinets… La culture des CGPI reste très financière, basée sur la sélection de fonds, avec finalement peu d’acteurs cherchant à développer une ou des spécialités. Or, cette démarche serait un bon moyen pour développer une notoriété et son business.

PCGP : Vous craignez donc la mise en place des directives européennes pour vos confrères…

G. L. : L’année 2018 risque d’être douloureuse. Certains vont se prendre la réglementation en pleine figure, mais il se passera du temps avant que ne tombent les premières sanctions… Eu égard aux lourdeurs réglementaires et administratives, je me demande souvent comment peuvent fonctionner des cabinets constitués d’un ou deux CGPI accompagnés d’une assistante ? Comment assurer et justifier le suivi des encours sur lesquels sont basées les rémunérations ? Et qu’adviennent les clients en cas de souci de santé du gérant ? Or ce type de cabinet représente les trois quarts du marché…

PCGP : Les partenaires-fournisseurs de la profession n’ont-ils pas un rôle à jouer ?

G. L. : Je ne le pense pas. Il est vrai qu’ils sont très présents auprès de la profession. C’est normal, les CGPI assurent pour eux le meilleur maillage territorial possible. Mais leur objectif reste la commercialisation de leurs produits ; le marché fonctionne comme cela.

PCGP : Les réponses pourront venir du digital.

G. L. : La digitalisation peut aider, notamment dans une approche mass-market, mais pas pour tout le champ d’action d’un CGP. Je pense notamment à l’accompagnement dans le temps d’une stratégie juridique et fiscale.

PCGP : Les CGPI ont donc intérêt à se structurer davantage et à s’associer ?

G. L. : Oui, mais dans les faits, on ne peut que constater que les regroupements auquel on assiste poursuivent le plus souvent un objectif de moyens : réduire le coût de fonctionnement de chaque associé, plutôt qu’un objectif de résultat : l’accroissement de la qualité du conseil ou le développement sur une clientèle spécifique. Sans compter un problème d’ego qui rend ces associations très difficiles à mettre en œuvre. Le marché reste dominé par des gros cabinets constitués par croissance externe ou des professionnels qui ont dépassé la cinquantaine. Ils ont généralement des difficultés à s’effacer derrière une marque. De plus, le niveau d’exigence de chacun est propre à chaque personne.

PCGP : Vous aviez, d’ailleurs, un temps voulu vous réunir avec d’autres confrères ?

G. L. : J’ai rapidement compris que les CGPI sont avant tout des indépendants plutôt que des entrepreneurs, et qu’il leur était difficile de sortir de leur zone de confort. L’expérience n’a donc pas été concluante, et j’ai préféré internaliser mes ressources via l’embauche de salariés. Certes, cela augmente les charges fixes de notre structure, mais nous gardons la main sur le développement et la vision stratégique de Scala. Notre équipe se constitue de deux ingénieurs patrimoniaux, un gérant, un directeur général ancien avocat spécialisé sur la conformité, un spécialiste des financements complexes… Et il nous manque encore des expertises, comme sur la retraite. Cette internalisation des ressources ne nous a, pour autant, pas détournés de notre politique de travail en interprofessionnalité avec notre large réseau d’avocats, notaires, experts-comptables et autres spécialistes des domaines de l’immobilier, du financement ou encore des produits structurés. Des expertises et expériences indispensables pour accompagner sur le long terme, et de manière transversale, notre clientèle. D’ailleurs, en aparté, nous développons, pour septembre, une nouvelle offre sur le mécénat avec une personne éminente du secteur.

PCGP : Votre positionnement n’est-il pas trop élitiste ?

G. L. : Il est vrai que nous visons une clientèle, les dirigeants d’entreprise en particulier, où le besoin de conseil est important et qui nécessite un suivi de long terme. Néanmoins, je considère que dans chaque domaine d’activité, deux positionnements dominent : le low-cost et le luxe ; entre les deux il est difficile d’exister. Dans notre domaine, la clientèle mass-market devrait être dominée par des acteurs s’appuyant sur la robotisation et les FinTechs, avec peu ou pas de conseil pour des questions de risque réglementaire. Les CGPI ont donc tout intérêt à se positionner de l’autre côté du spectre.

PCPG : Le poids des marques locomotives pour la profession permettra-t-il l’ensemble des CGPI de se développer ?

G. L. : Oui, si elle est porteuse de valeurs, d’une histoire et de compétences. Mais le vernis marketing ne joue plus. Les clients et leurs conseils sont de plus en plus vigilants, et réalisent des diligences de plus en plus poussées avant de s’adresser et travailler avec un nouveau partenaire.

PCGP : Au final, vous semblez pessimiste quant à l’avenir…

G. L. : Non, car les CGPI vont continuer à se développer grâce aux carences des établissements bancaires et d’assurance, même si je regrette que le marché n’ait pas pris la tournure du conseil, car c’est par ce prisme que le client s’adresse à un CGPI. Et, eu égard aux évolutions de notre environnement, le besoin de conseil des clients et la nécessité d’entretenir une relation très intuitu personae sont plus que jamais présents, alors que dans le même les banques orientent leur développement sur Internet. Même si les barrières à l’entrée sont fortes et que s’installer nécessite d’avoir de l’expérience, la profession a également un côté entrepreneurial dans l’air du temps. Je reste optimiste car la structuration de la profession va venir via les universités. De plus en plus de personnes sont titulaires d’un master en gestion de patrimoine et l’investissement dans la formation continue se développe. La culture de l’écrit et la vente du conseil se diffuse. Mais on peut regretter que souvent les stagiaires en cabinet de CGPI ne retrouvent actuellement pas cette dimension. Ils sont davantage amenés à réaliser des opérations de prospection plutôt que d’apprendre leur métier de conseil. Au final, ils se détournent de la profession en préférant réaliser leur temps de stage dans une cellule d’ingénierie patrimoniale d’une banque privée…

C’est pourquoi Scala Patrimoine s’investit aux côtés des universités, comme la FNDP afin de faire croître la notoriété de la profession de CGPI au sein des masters en gestion de patrimoine, mais aussi dans d’autres disciplines connexes comme le droit du sport.

  • Mise à jour le : 23/06/2017

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