Les portefeuilles des CIF à l’épreuve de la Covid

Par : edicom

Par Julien Dauchez, Head of Portfolio Consultants, Natixis IM Solutions

Les grands indices actions internationaux ont perdu autant en valeur sur quatre semaines au 23 mars 2020, que sur la totalité de 2008. Face à ce décrochage d’une brutalité inouïe, les conseillers financiers n’ont pas cédé à la panique. Ils n’ont pas modifié leurs portefeuilles modèles en profondeur, ne procédant qu’à des ajustements tactiques au sein de leurs allocations.

Dans les portefeuilles de conseillers financiers que nous avons reçus pour analyse depuis le début de la crise, en immunisant l’effet prix/performance, la réduction de l’exposition aux actions n’était que 7 % en moyenne à début avril dans les portefeuilles profils équilibrés. Depuis, la performance des marchés actions aidant, les allocations sont revenues à leur équilibre de pré-crise.

Cette opiniâtreté financière a été payante : au plus fort du décrochage, nous avons calculé que les portefeuilles de type équilibré des conseillers financiers en France perdaient autour de 18 % ; mais avec le rebond des actifs dits à risque que nous avons connu par la suite, ces pertes ont été réduites de moitié.

Ce détournement des valeurs refuges peut s’expliquer doublement par la soudaineté du décrochage des actifs dits à risque, qui n’aurait permis un rebalancement des portefeuilles qu’au prix d’une cristallisation des pertes, et également par la perception que cette crise, par son ampleur et son impact économique, pourrait également toucher le sacro-saint immobilier, commercial comme résidentiel, en raison du défaut de paiement attendu sur beaucoup de loyers, lui retirant ainsi son statut de valeur refuge. Il semblerait toutefois que les investisseurs individuels, clients des conseillers financiers, aient commencé à se reconstituer une épargne de protection, principalement sous forme de liquidités ; ce que la structure des portefeuilles modèles des CGP que nous analysons ne nous permet malheureusement pas de confirmer ou d’infirmer.

L’attitude des conseillers financiers, comme le révèle la stabilité de leurs allocations, montre que cette crise fut d’abord sanitaire, avant de se propager à la sphère financière. Par opposition à 2008, c’est du secteur bancaire et financier que provient la solution, et non le problème.

Repositionnement tactique et stratégique

Actions : des styles gagnants

Loin de subir la correction des marchés, les conseillers financiers ont activement ajusté leurs portefeuilles, sans pour autant modifier significativement leur allocation entre les grandes classes d’actifs. Ainsi, à la faveur du rebond des marchés fin mars, nous avons constaté au sein des poches actions des portefeuilles, un renforcement des expositions aux styles ayant démontré leur robustesse l’an dernier, ainsi que leur résistance cette année. Ainsi, les stratégies actions dites de basse volatilité, les fonds orientés croissance, les fonds d’actions internationales de large capitalisation ou les fonds sectoriels pharmaceutiques et technologiques ont reçu les faveurs des conseillers financiers. Une étude plus affinée que nous avons faite montre également la bonne robustesse des fonds présentant un biais vers les primes de risque de type Momentum et qualité, au détriment, par exemple, des fonds d’actions à hauts dividendes.

Mais dès lors qu’une reprise économique sera durablement amorcée, les conseillers financiers nous indiquent que d’autres segments du marché actions – et notamment les actions de petites capitalisations ou le style valeur – pourraient alors être à même de surperformer le marché.

Nos études montrent également que la tendance actuelle d’allocation vers ce que l’on peut considérer comme les « nouveaux biais » des grands indices boursiers, trouve un écho partout dans le monde, de l’Europe à l’Amérique, ou le phénomène est même encore plus accentue.

Besoin accru de diversification

Cette crise souligne la nécessité de diversifier son allocation. Si les principales classes d’actifs se sont re-correlées entre elles depuis le début de la crise, nous constatons également qu’au sein de ces classes d’actifs la dispersion est grande. Certaines stratégies se marient ainsi mieux entre elles, créant un effet coussin lors des chocs de marche.

La recherche de diversification est également la proposition de stratégies alternatives, comme les CTAs ou les fonds poursuivant des stratégies de performance absolue, en attendant que les stratégies d’actifs privés (Private Equity, dette privée) soient rendues accessibles dans un format de liquidité tolérable pour les investisseurs individuels.

Prenant avantage d’un environnement financier caractérisé par une volatilité élevée et permettant d’avoir une exposition non-linéaire aux marchés actions, nous avons également observé un retour des produits structurés dans les portefeuilles des conseillers financiers. Plus particulièrement, nous avons constaté une recrudescence des autocalls, qui permettent de monétiser sous la forme de coupons élevés un risque extrême, mais considéré comme peu probable sur un panier d’indices actions.

La baisse de rendement des poches obligataires, avec des taux d’intérêt toujours plus bas pour, paraît-il, toujours plus longtemps, pose également un dilemme aux conseillers financiers comme à leurs clients : existe-t-il une martingale alternative au fonds en euros offrant à la fois rendement, sécurité et liquidité ? Nous constatons de la part des conseillers financiers européens un regain d’intérêt pour les fonds obligataires de type Investment Grade, à l’aulne de l’écartement des spreads de crédit à des niveaux attractifs et de l’action stabilisatrice des banques centrales sur la volatilité des taux d’intérêt.

Mais dans l’esprit de beaucoup de conseillers financiers, l’afflux actuel de liquidités dans les marches qui pèse sur les rendements obligataires, pourrait se traduire, comme ces années passées, par un renchérissement du prix des actions et des autres actifs dits à risque, comme cela semble être le cas depuis la fin mars.

Enfin, s’inscrivant également dans le cadre d’une recherche de diversification accrue et poursuivant une tendance qui avait été amorcée dès la fin de 2018, nous constatons que les conseillers financiers s’appuient toujours plus sur une construction de portefeuille en « briques pures », qui relègue les fonds patrimoniaux multi-actifs au second rang et permettrait un pilotage plus fin du risque.

ESG et fonds thématiques : les grands gagnants

La tendance la plus manifeste dans cette crise du Covid est sans aucun doute l’officialisation de la place des stratégies dites ESG et thématiques dans le fonds de portefeuilles des conseillers financiers. La très bonne tenue de ces stratégies – qui s’explique aussi par leur sous-exposition aux secteurs ayant le plus souffert de la chute des marches comme les banques ou les compagnies pétrolières – semble avoir constitué une ultime validation.

Les conseillers financiers considèrent la crise comme un catalyseur de nos modes de vie, se traduisant par une numérisation accrue de l’économie, une généralisation du télétravail, l’accélération de la transition énergétique et l’adaptation de l’infrastructure des villes. Les stratégies ESG et thématiques sont construites sur ces tendances et semblent plus à même d’accompagner une telle mutation de nos sociétés.

  • Mise à jour le : 24/06/2020

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