Les CGP face aux déboires d’H2O

Par : Benoît Descamps

Avec huit fonds suspendus pour quatre semaines, dont trois à la demande l’AMF, la société H2O AM fait à nouveau parler d’elle, et toujours pour la gestion de ses actifs illiquides. Jean-François Bay de Quantalys et Benoist Lombard de Witam MFO nous éclairent sur la situation.

« Un dossier complexe que l’AMF surveille comme le lait sur le feu », affirme Benoîst Lombard. H2O AM, le gérant star de ces dernières années, a été contraint par le régulateur de suspendre les souscriptions et rachats des parts des OPCVM H2O Allegro, H2O Multibonds et H2O Multistratégies. Une décision confirmée par le gendarme de la Bourse le vendredi 28 août dernier, alors que l’asset manager décidait d’étendre cette mesure à quatre autres fonds de sa gamme et un FIA (H2O Adagio, H2O Moderato, H2O MultiEquities, H2O Vivace, et le FIA H2O Deep Value).

Cette décision est donc un nouveau coup dur pour l’affilié de Natixis. Elle est motivée par une incertitude sur les valorisations des actifs illiquides détenus par les fonds concernés et qui avaient secoué la société en juin 2019 suite à l’article paru sur le site du Financial Times. En effet, selon un article des Echos, le processus de sortie de ces actifs, initialement prévu pour fin avril, a pris du retard en raison du Coronavirus.

Cette décision de l’AMF intervient également alors que les performances des fonds de la société ont été chute libre lors de l’éclatement de la crise sanitaire (jusqu’à -80 % pour certains).

« Le régulateur a demandé à H2O la suspension de trois fonds et a ensuite constaté que la société de gestion voulait étendre cette suspension à cinq autres fonds qui ne semblaient pas poser de problème pour l’AMF. En suspendant également ces fonds dans la foulée et donc pratiquement toute sa gamme, H2O s’engouffre dans la brèche en comptant faire preuve de bonne volonté mais aussi en sous-entendant que la décision de l’AMF a de facto des répercussions sur toute la société de gestion mais que la société n’a pas commis d’erreur de gestion », suggère Jean-François Bay, managing director de Quantalys.

Des performances régulières et des trous d’air

D’un point de vue de la gestion, Benoist Lombard, président de Witam MFO et de l’UCGP, rappelle la particularité de la gestion de l’affilié de Natixis IM. « Il s’agit d’une gestion de type alternatif malgré sa classification en tant que fonds UCITS. Dans l’hypothèse où la gestion d’un OPC repose sur des stratégies complexes, nos diligences initiales se doivent d’être encore plus approfondies. Le suivi périodique de l’adéquation des produits sélectionnés aux besoins de nos clients s’impose dans le cadre de notre devoir de conseil. Et, bien entendu, il serait hasardeux – sinon périlleux – de proposer des supports d’investissements non compris tant la jurisprudence tend à assimiler notre obligation de conseil en une obligation de prudence. Spécifiquement, au regard des performances réalisées dans des marchés compliqués, au caractère non directionnel de la gestion, et aussi à la demande d’une partie de notre clientèle, à l’instar de la majorité des acteurs de la gestion privée, certains fonds gérés par H2O AM sont présents dans nos allocations, dans de faibles proportions cependant (moins de 1% de notre encours). »

Le gérant de Witam MFO rappelle également « les trous d’airs connus par Bruno Crastres dans le passé, malgré ses formidables qualités de gérant et les compétences de son équipe ».

Cantonnement

Les conséquences de ces suspensions pour les investisseurs sont clairement identifiés par Jean-François Bay, dans son article du 1er septembre dernier paru sur le site de Quantalys : « H2O AM poursuivra la gestion tout en organisant le cantonnement des titres “privés”. Les autres actifs seront transférés dans un nouvel OPCVM conservant la même stratégie d’investissement initiale. (…) L’investisseur détiendra donc également des parts du fonds cantonné dont l’objectif sera de céder ces titres, dans le meilleur intérêt des investisseurs. »

Que faire en tant que CGP ?

Face à cette situation, Benoist Lombard rappelle les process à respecter dans le cadre de leurs statuts de CIF et d’intermédiaire en assurances, en particulier leurs obligations de conseil et de suivi des investissements. « Initialement, lors de la souscription de ce type de fonds, le conseiller doit bien indiquer à son client qu’il ne s’agit pas d’un fonds directionnel. Les performances exceptionnelles supposent une prise de risque associée : il n’y a pas de magie. Conseiller ce type de produit très volatil et qui s’appuie sur des stratégies d’arbitrage et des actifs non liquides, nécessite donc, et comme l’exige l’article 325-17 du règlement général de l’AMF, d’y passer davantage de temps pour s’assurer qu’il reste bien en adéquation avec le profil de risque du client, lequel évolue dans le temps. Une communication régulière avec le client est également indispensable. »

Ensuite, face aux incertitudes actuelles, l’ancien président de la CNCGP conseille aux CIF et intermédiaires d’assurances d’informer leurs clients et de modifier leur appréciation des fonds H2O afin que les allocations d’actifs respectent bien le profil de risque de leurs clients. Dans le cadre des contrats d’assurance-vie, les rachats et versements programmés intégrant des fonds H2O ne peuvent plus être exécutés. « Selon l’article L131-4 du code des assurances, les clients ont dû être avertis de la suspension de la liquidité des fonds, les flux d’entrée et de sortie devant dès lors être modifiés par le client. »

Effet boule de neige

Cette situation secoue les CGP et leurs clients. Jean-François Bay en tire quelques conclusions pour l’avenir :

« Cette affaire H2O est un cas d’école révélé par la crise sanitaire, avec un cumul de problèmes micro qui prennent une ampleur macro :

1- un problème de gestion, avec des fonds diversifiés UCITS qui en réalité ont des stratégies toutes corrélées et orientées dans la même direction, la définition même de l’absence de diversification ;

2- un problème de gestion de la liquidité et de gestion actifs/passifs au sein de la société, avec notamment des dettes privées au sein de fonds liquides quotidiennement ;

3- un problème de commercialisation (de marché cible au sens de MIF 2), avec des fonds complexes vendus à des investisseurs non avertis, notamment au sein des réseaux du groupe ;

4- un problème de contrôle des risques : quel est le contre-pouvoir du RCCI qui, dans ses scenarios, doit pouvoir alerter sur une potentiel chute de 80 % de la valeur d’un fonds ;

5- un problème marketing, avec une société qui communique sur une gestion diversifiée liquide , active, multistratégies, alors que dans les faits il s’agit d’une gestion complexe et assez illiquide (« L’eau, c’est la performance, mais aussi la liquidité et la transparence », assurait Vincent Chailley, le directeur des investissements et cofondateur d’H2O Asset Management dans un article paru le 12 mars 2019 dans Le Monde) .

6- et enfin un problème politique avec une société de gestion créée par des Français, mais basée à Londres ; et un régulateur français qui, alors que nous sommes en plein Brexit, n’a pas envie que cette crise vienne entacher la réputation de la Place de Paris en prenant une décision de protection de l’investisseur final. En effet, H2O Asset Management est installé à Londres depuis sa création. Dans le cadre du Brexit, la société avait daigné ouvrir un bureau parisien mais les dirigeants étaient clairs « Le cœur de la gestion devrait rester à Londres, mais nous souhaitons avoir un pied en France pour développer d’autres activités », commentait Vincent Chailley dans le Monde en mars 2019. »

La période de suspension des souscriptions et rachats étant prévue pour quatre semaines (à compter du 28 août dernier), les assureurs de la place s’organisent pour ne pas pénaliser davantage leurs clients et partenaires concernés par la situation. Reste à savoir si ce nouvel épisode ne va pas faire chavirer la maison de gestion dirigée par Bruno Crastres que beaucoup considèrent toujours comme le meilleur des gérants.

  • Mise à jour le : 10/09/2020

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