Clause bénéficiaire démembrée : qui perçoit les capitaux décès en cas de prédécès de l’usufruitier ?

Par : edicom

Extrait de Fidnet, la solution digitale de Fidroit

Une clause ambiguë est sujette à (mauvaise) interprétation. Fidroit nous explique la décision de la Cour d’appel de Douai du 16 janvier dernier.

Ce qu'il faut retenir

Au décès de l’assuré, en présence d’une clause bénéficiaire démembrée, les capitaux décès doivent être versés en pleine propriété aux nus-propriétaires désignés, lorsque l’usufruitier prévu par cette même clause est prédécédé au jour du dénouement du contrat.

Les bénéficiaires en second (désignés par « à défaut mes héritiers ») n’ont droit à rien dans ces circonstances.

C’est le sens de la décision de la Cour l’appel de Douai du 16 janv. 2020, n°19-02102.

Notez que cette solution ne va pas de soi. En l’absence de bénéficiaire désigné en usufruit, la Cour aurait pu considérer que plus personne n’était appelé pour l’usufruit, et que la valeur ce droit devait être intégrée (et taxée) dans la succession du souscripteur assuré. Dans le cas jugé, la décision de première instance avait même évincé les nus-propriétaires au profit des bénéficiaires de second rang (« à défaut mes héritiers »). Ceci montre que l’interprétation d’une clause n’est pas toujours aisée et reste parfois aléatoire.

En tous cas, la Cour d’appel a pour mission de rechercher la volonté réelle du souscripteur pour déterminer, selon les circonstances, les personnes qui doivent percevoir les capitaux décès (Cass. civ. 1. 19 septembre 2018, n°17-23568).

Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur cette volonté, et sur le sort des capitaux en cas de prédécès de l’usufruitier ou d’un nu-propriétaire, seule une rédaction précise doit être privilégiée pour éclairer autant que faire se peut la compagnie d’assurance et, en cas de litige, le juge (CA Douai, 16 janv. 2020, n°19-02102).

Conséquences pratiques

Il faut toujours prévoir le sort des capitaux décès en cas de prédécès de l’usufruitier en présence d’une clause démembrée.

La mention « dans le cas où l’usufruitier n’accepterait pas ses droits attribués par la présente clause, ou dans le cas de son décès avant cette acceptation, les droits des bénéficiaires désignés en nue-propriété s’exerceront en pleine propriété » lève toute ambigüité.

Dans le cas jugé, l’assurée avait souscrit trois contrats d’assurance-vie en désignant pour bénéficiaires en cas de décès : « Mme P comme usufruitière, X, Y et Z (les enfants de Mme P), comme nus-propriétaires pour 1/3 chacun ».

Suite à une transformation "Fourgous" de deux de ses trois contrats, l’assureur avait de sa propre initiative complété la clause comme suit : « Mme P comme usufruitière, X, Y et Z, comme nus-propriétaires pour 1/3 chacun, à défaut mes héritiers ».

Au décès de l’assurée, l’assureur avait considéré que le prédécès de la seule l’usufruitière avait rendu caduque la désignation bénéficiaire démembrée. Il avait alors versé les capitaux décès issus du premier contrat entre les mains du notaire pour les réintégrer à la succession. Pour les deux autres contrats, il avait versé les capitaux décès aux bénéficiaires de second rang : les héritiers de la souscriptrice (qui n’étaient pas les nus-propriétaires).

Cette interprétation surprenante, validée en première instance, a été écartée par la Cour d’appel. Les droits des nus-propriétaires doivent être préservés. On peut, en outre, tirer de cette décision plusieurs enseignements pratiques complémentaires.

 

Que doit faire une compagnie d’assurance si elle a des doutes sur le bénéficiaire effectif ?

La Cour d’appel de Douai expose que « l’assureur eût été bien inspirée de saisir le magistrat des référés aux fins de se voir autoriser à verser les capitaux décès sur un compte séquestre, dans l’attente de la résolution du litige et de prévenir ainsi toute difficulté en avertissant tous les protagonistes de sa position afin de susciter leurs observations ».

Par ce commentaire, la Cour expose une solution efficace pour accélérer les opérations et éviter à l’assureur une procédure complémentaire pour récupérer auprès des "bénéficiaires erronés"  les capitaux décès versés à tort.

En effet, elle précise que même si l’assureur a agi avec une légèreté blâmable, il ne s’agit que d’une négligence et non d’une intention de nuire ou d’un acte de mauvaise foi. Les bénéficiaires erronés doivent donc bel et bien rendre les sommes perçues.

 

Il faut toujours vérifier la clause effectivement enregistrée par la compagnie d’assurance

Dans le cas jugé, l’assureur avait spontanément rajouté la mention « à défaut mes héritiers » à deux des trois clauses rédigées à l’identique par la souscriptrice. En conséquence, au jour du dénouement des contrats, l’assureur avait distribué différemment les capitaux décès selon les contrats.

En effet, des « ajouts » peuvent influencer les droits des bénéficiaires désignés et modifier la volonté même du souscripteur.

Exemple : Le remplacement spontané de « mes héritiers », par « mes héritiers légaux » ou par « mes héritiers par parts » n’est pas neutre. En présence de deux enfants dont l’un est prédécédé (laissant lui-même deux enfants), on se retrouve avec trois héritiers. Une clause bénéficiaire « mes héritiers » attribue logiquement une moitié des capitaux décès à l’enfant survivant, et un quart à chacun des deux petits-enfants. Au contraire, la clause « mes héritiers par parts égales » attribue potentiellement un tiers des sommes à chaque héritier… Une mauvaise interprétation au dénouement (qui intervient 10 ou 20 ans après la souscription) peut alors changer les parts de chacun. On voit l’importance de bien exprimer et rédiger la volonté réelle du souscripteur.
 

L’assureur n’a aucun devoir de conseil vis-à-vis des bénéficiaires

La compagnie d’assurance ne doit aucun devoir de conseil à l’égard des bénéficiaires de sorte qu'aucun manquement ne peut lui être reproché à ce titre. En effet, la qualité de bénéficiaire ne confère pas à cette personne la qualité de partie au contrat.

Cette solution avait déjà été précisée par le passé ; mais elle est clairement rappelée dans cette décision (CA Orléans, 6 juin 2002, n° 2002-179416).

En revanche, l’assureur peut être responsable de mauvais conseils dispensés au souscripteur, représenté après son décès par ses héritiers.

 

Combien de temps après le dénouement les capitaux peuvent être récupérés chez les « bénéficiaires erronés » ?

Le litige sur l’identité des bénéficiaires relève bien de l’exécution de deux contrats d'assurance-vie, théoriquement prescrite par deux ans. Mais, l’action en restitution des sommes indues par les « bénéficiaires erronés » est soumise à une prescription de 5 ans (C. civ. art. 2224).

Notons que le point de départ du délai de 5 ans correspondant à la date de l’arrêt qui confirme l’erreur de bénéficiaires.

 

  • Mise à jour le : 07/05/2020

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