Approche patrimoniale de la loi du 16 février 2015

Par : edicom

Cet article a été publié dans les Actualités du Lamy patrimoine (n° 87, mai 2015).

 

Par Pascal Pineau, responsable pédagogique DU IPCE, DU Ingénierie patrimoniale du chef d’entreprise, DESS Gestion de patrimoine de l’université d’Auvergne

 

La loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (L. n° 2015-177, 16 févr. 2015, JO 17 févr.) a modifié certains aspects liés au droit patrimonial. Dans l’ensemble, il s’agit plutôt de petites retouches, qui pour autant ne doivent pas être négligées. Outre les dispositions réformées par la loi elle-même, il est intéressant de noter que le gouvernement a été autorisé à prendre par voie d’ordonnance des mesures qui pourront donner plus d’ampleur au changement initié. Réforme amorcée et donc affaire à suivre…

Visant une série de domaines parfois assez éloignés les uns des autres, et susceptible en conséquence d’être un fourre-tout sans saveur, la loi du 16 février 2015 tire son épingle du jeu en ouvrant des perspectives certes diffuses mais bien réelles…

Quelques mesures concernent, tout d’abord, le droit des successions.

Droit des successions toiletté

Ainsi, par exemple, les collatéraux ordinaires (collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de ces derniers) ne sont plus successibles que jusqu’au sixième degré (C. civ., art. 745).

D’autres dispositions, certes marginales, relèvent d’un pragmatisme certain.

Acceptation tacite : limites repoussées

Les actes n’emportant pas acceptation tacite de la succession voient leur liste encore allongée : les actes liés à la rupture du contrat de travail du salarié du particulier employeur décédé, le paiement des salaires et indemnités dus au salarié ainsi que la remise des documents de fin de contrat (C. civ., art. 784, 4°) sont venus s’y ajouter ; ils sont réputés purement conservatoires. Cette tendance, sensible déjà au sein de la loi du 23 juin 2006 (L. n° 2006-728, JO 24 juin), est donc confirmée.

Attribution préférentielle élargie

L’attribution préférentielle au profit du conjoint survivant (ou tout héritier copropriétaire) est étendue au véhicule du défunt « dès lors que ce véhicule lui est nécessaire pour les besoins de la vie courante » (C. civ., art. 831-2, 1°). La voiture a encore de beaux jours devant elle en campagne…

Cette même attribution préférentielle est également étendue en matière d’objets mobiliers nécessaires à l’exercice de la profession : désormais, ils sont visés même s’ils ne garnissent pas le local professionnel (C. civ., art. 831-2, 2°).

A la marge

Concernant un public plus restreint, trois mesures méritent aussi d’être signalées.

Tout d’abord, la création, pour obtenir la clôture des comptes du défunt et le versement des sommes y figurant dans les successions modestes, d’un mode de preuve simplifié et non onéreux de la qualité d’héritier réservé aux successibles en ligne directe, en l’absence de bien immobilier, testament et autres héritiers (extrait d’acte de naissance de l’héritier/extrait d’acte de naissance du défunt et copie intégrale de son acte de décès/extrait d’acte de mariage du défunt (le cas échéant)/ extraits d’actes de naissance de chaque ayant droit désigné dans l’attestation/certificat d’absence d’inscription de dispositions de dernières volontés ; CMF, art. L 312-1-4).

Ensuite, des possibilités nouvelles, dans le cadre d’un testament authentique, pour les individus ne parlant pas la langue française (possibilité de faire appel à un interprète choisi sur la liste nationale des experts judiciaires, à moins que l’un des deux notaires, ou les témoins, comprennent la langue dans laquelle s’exprime le testateur ; C. civ., art. 972, al. 4) comme pour les personnes sourdes et/ou muettes (personne muette : le notaire écrit lui-même le testament ou le fait écrire d’après les notes rédigées devant lui par le testateur, avant d’en donner lecture à ce dernier ; personne sourde : cette dernière prend connaissance du testament en le lisant lui-même ; C. civ., art. 972, al. 5).

Enfin, concernent les modalités de révision des prestations compensatoires fixées sous forme de rentes viagères avant l’entrée en vigueur de la Loi relative à la prestation compensatoire en matière de divorce (L. n° 2000-596, 30 juin 2000, JO 1er juill.), il est désormais précisé, afin de guider les juges, qu’« il est tenu compte de la durée pendant laquelle la rente a été payée et du montant versé » (L. n° 2015-177, 16 févr. 2015, art. 7). Rappelons que la révision à demande du débiteur peut être demandée lorsque le maintien de la rente en l’état procure au créancier un avantage manifestement excessif.

La loi du 16 février 2015 est également venue modifier quelques règles relatives à la tutelle, pour plus de commodité là encore.

Tutelle aménagée

Ainsi les durées maximales prévues pour la mesure sont-elles accrue dans les situations les moins susceptibles d’évolutions positives.

Le juge qui prononce une mesure de tutelle peut, « par décision spécialement motivée et sur avis conforme d’un médecin inscrit sur la liste établie par le procureur de la République constatant que l’altération des facultés personnelles de l’intéressé (…) n’apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la science, fixer une durée plus longue, n’excédant pas dix ans » (contre 5 ans auparavant ; C. civ., art. 441, al. 2).

Dans la même veine – et les mêmes circonstances –, s’agissant cette fois de renouveler la mesure, « lorsque l’altération des facultés personnelles de l’intéressé (…) n’apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la science, le juge peut (…) renouveler la mesure pour une durée plus longue qu’il détermine, n’excédant pas vingt ans » (contre 10 ans auparavant ; C. civ., art. 442, al. 2).

Qui arrête légalement le budget

Le tuteur arrête désormais très officiellement le budget de la tutelle en déterminant, en fonction de l’importance des biens de la personne protégée et des opérations qu’implique leur gestion, les sommes annuellement nécessaires à l’entretien de celle-ci et au remboursement des frais d’administration de ses biens (C. civ., art. 500).

Auparavant, le juge des tutelles était supposé le faire sur proposition du tuteur, ce qui, dans les faits, n’arrivait guère : la pratique était en avance sur la loi…

Entrée en vigueur immédiate

Les mesures décrites supra sont entrées en vigueur dès après la publication de la loi au Journal officiel, soit au 18 février 2015.

Restent les mesures laissées aux bons soins du gouvernement, qui agira par voie d’ordonnance.

Et la suite ?

Il devra alléger la charge des juges et les contraintes pesant sur les administrateurs légaux « en réservant l’autorisation systématique du juge des tutelles aux seuls actes qui pourraient affecter de manière grave, substantielle et définitive le patrimoine du mineur ».

Il s’agira également d’aménager le droit de la protection juridique des majeurs au moyen d’un dispositif d’habilitation judiciaire.

Ce dernier devra être étendu au bénéfice des ascendants, descendants, frères et sœurs, partenaire de PACS ou concubin d’un majeur hors d’état de manifester sa volonté.

La solution existe déjà en faveur du conjoint (C. civ., art. 217, 219, 1426 et 1429) et permet de le représenter ou de passer certains actes en son nom sans nécessité de prononcer une mesure de protection judiciaire.

La mesure de protection sera supplétive des règles du droit commun de la représentation et des régimes matrimoniaux sus-évoquées, d’une autre mesure de protection judiciaire moins contraignante ou d’un mandat de protection future.

Le juge des tutelles saisi d’une requête aux fins d’ouverture d’une protection juridique devra, autant que possible, confier à l’une de ces personnes le pouvoir de représenter le majeur vulnérable.

La mesure devra être proportionnée et individualisée en fonction du degré d’altération des facultés de l’intéressé (tout comme les dispositions précitées doivent l’être actuellement ; C. civ., art. 428, al. 2).

Enfin le gouvernement pourra renforcer les pouvoirs liquidatifs du juge saisi d’une demande en divorce pour lui permettre de prendre des décisions relatives à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux des époux.

Le gouvernement se voit proposer d’« articuler, en cas de divorce, l’intervention du juge aux affaires familiales et la procédure de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux ». Le juge pourrait ainsi, le cas échéant, « prendre des décisions relatives à la liquidation et au partage de leurs intérêts patrimoniaux » (L. n° 2015-177, 16 févr. 2015, art. 3).

Conclusions… en attendant mieux

Pas de révolution, ni à ce jour, ni même en perspective, mais une recherche d’efficacité louable, voilà ce qu’il faut retenir. D’autres textes, évidemment plus ambitieux, devront suivre.

 

 

  • Mise à jour le : 13/12/2021

Vos réactions