Derniers avis du comité de l’abus de droit fiscal : jusqu’où ne pas aller trop loin ?

Par : edicom

Par Fac JD et Associés

L’Administration vient de publier ses commentaires relatifs à la dernière séance du comité de l’abus de droit fiscal en date du 14 février 2019. Quatre dossiers ont été examinés. Le premier analyse un enchaînement d’opérations rapprochées dans le temps (cession d’usufruit temporaire, distribution de dividendes, apport de titres, application du régime mère-fille, etc.) considéré par l’administration comme un montage à but exclusivement fiscal. Les trois suivants reviennent sur le désormais classique apport avec soulte.

Affaire n° 2018-23 : Analyse d’un cocktail d’opérations… La pièce se joue en 6 actes !

Acte 1

La société A, a été constituée en 1998 et a une activité opérationnelle. M. X, associé et gérant, en détient depuis 2008 l’intégralité de son capital. Il détient également l’intégralité du capital de la société civile immobilière (SCI) B, société soumise à l’impôt sur les sociétés, propriétaire, dès sa constitution en 2001, d’un ensemble immobilier.

Acte 2

Le 23 décembre 2013, la SCI B a procédé au démembrement de cet ensemble immobilier et en a cédé l’usufruit temporaire pour une durée de 17 ans à la société à responsabilité limitée (SARL) C, société créée six mois auparavant et détenue à hauteur de 99,9 % par la société A et de 0,1 % par M. X.

La cession de cet usufruit temporaire a été réalisée au prix de 587 400 euros, payée immédiatement et financée par la société C au moyen d’un emprunt bancaire. La SCI B a ensuite procédé à une distribution de dividendes à son associé unique, M. X, en deux temps ;

- le 26 décembre 2013, distribution d’un dividende de 97 000 euros ;

- le 27 mars 2014, distribution d’un dividende de 142 600 euros, payé en nature par l’attribution de la nue-propriété des biens immobiliers précédemment démembrés.

Acte 3

Le 30 juin 2014, M. X a fait apport de 199 titres sur 200 (99,5 %) de la SCI B à la société A pour une valeur de 357 000 euros. En rémunération de cet apport, il s’est vu attribuer 357 parts sociales de la société A, nouvellement émises d’une valeur nominale unitaire de 32 euros (soit une augmentation de capital de 11 424 euros) et une prime d’émission de 345 576 euros. La plus-value d’apport chez M. X a bénéficié du régime du report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du code général des impôts.

Acte 4

Le 1er juillet 2014, les associés de la SCI B ont décidé de la distribution par cette dernière d’un dividende global de 225 000 euros, dont 223 875 euros (99,5 %) au profit de la société A et 1 125 euros (0,5 %) au profit de M. X. Le dividende de 223 875 euros perçu par la société A a été soumis au régime des sociétés mères et filiales prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts, avec taxation d’une seule quote-part de frais et charges de 5 %.

Après ces opérations, le bilan de la société B, dont les titres ont été conservés par la société A, était principalement composé d’actifs financiers (trésorerie, valeurs mobilières de placement) pour un montant d’environ 75 000 euros.

Acte 5

Par la suite, la société A a attribué à M. X deux primes exceptionnelles, en sus de sa rémunération courante au titre de sa gérance fixée le 1er avril 2014 à 3 200 euros par mois outre la prise en charge des cotisations fiscales et sociales relatives à cette rémunération : une première prime de 150 000 euros le 30 septembre 2014 et une seconde prime de 125 350 euros décidée le 1er avril 2015 et payée en 6 versements entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2016.

Acte 6

L’administration a, à l’issue de son contrôle de la société A, considéré que la mise en place de cette série d’opérations rapprochées dans le temps, consistant dans la cession de l’outil d’exploitation de la SCI B puis l’acquisition de ses parts par la société A suivie d’une distribution de dividendes le lendemain, n’avait été réalisée que dans le but exclusivement fiscal de dégager des liquidités en franchise d’impôt grâce à l’application du régime des sociétés mères, à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur.

Par une proposition de rectification du 29 août 2017, elle a, sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, écarté l’application du régime des sociétés mères dont a bénéficié la société A et imposé le dividende versé par la SCI B à son profit.

L’analyse du comité

Le Comité relève que les différentes opérations concernant les sociétés A et B s’inscrivent dans le cadre de la restructuration du groupe de sociétés appartenant à M. X et qu’elles sont internes à ce groupe. Il constate qu’elles ont été effectuées notamment pour des raisons patrimoniales et estime qu’ainsi le but exclusivement fiscal n’est pas établi. Le comité en déduit que l’administration n’était pas fondée à mettre en œuvre la procédure d’abus de droit fiscal prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales.

L’administration a jeté l’éponge et s’est rangée à l’avis émis par le comité.

Observations

La solution sera-t-elle toujours la même à compter de 2020 dans le cadre du mini abus de droit ? Les raisons patrimoniales retenues en l’espèce seront-elles suffisantes pour écarter le but principalement fiscal ? Notamment sera-t-il synonyme de principalement ?

Les 3 autres affaires traitent du sujet de l’apport avec soulte

A plusieurs reprises le comité a eu à statuer sur des affaires similaires basées sur l’apport de titre à une société relevant de l’IS.

Etape 1 :

Apport des titres d’une société à l’IS à une holding relevant également de l’IS

L’associé unique (ou majoritaire) crée une nouvelle société puis lui apporte les titres de sa société.

Etape 2 :

Rémunération de l’apport en titre de la société bénéficiaire mais également sous la forme d’une soulte dont le montant n’excède jamais 10% de la valeur des titres reçus en contrepartie de l’apport, et inscription de la soulte en compte courant dans la société bénéficiaire de l’apport.

En contrepartie de l’apport, il reçoit des titres de la nouvelle société (bénéficiaire de l’apport) ainsi qu’une soulte inscrite compte courant d’associé dans la société bénéficiaire de l’apport.

Etape 3 :

Mise en sursis ou en report de la plus-value d’apport. La plus-value d’apport a été placée en sursis ou en report d’imposition, conformément aux dispositions de l’article 150-0 B ou 150-0 B ter du CGI pour l’intégralité de son montant dès lors que la soulte ne dépasse pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus.

Etape 4 :

Remontée de dividende de la société apportée à la société holding bénéficiaire l’apport

Etape 6 :

Remboursement des comptes courants d’associés résultant de la soulte.

L’administration a considéré que la soulte était dépourvue de justification économique et dissimulait en réalité, sous couvert d’une opération d’échange de titres, la perception d’un dividende en franchise d’impôt.

Le Comité relève que le dispositif du report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du code général des impôts poursuit la même finalité que le dispositif du sursis d’imposition prévu à l’article 150-0 B du même code. Ces dispositifs ont pour objectif de faciliter les opérations de restructuration d’entreprises, en vue de favoriser le développement de celles-ci, en conférant un caractère intercalaire aux opérations d’échange de titres. Le Comité estime que, si le législateur a admis, avant la modification législative introduite par la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, que l’opération d’apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur bénéficie intégralement, y compris pour la soulte, du report d’imposition, dès lors que le montant de la soulte appréhendée par le contribuable n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus, l’octroi d’une telle soulte doit s’inscrire dans le respect du but qu’il a entendu poursuivre.

Le Comité considère que ce but n’est pas respecté si l’octroi de la soulte ne s’inscrit pas dans le cadre de l’opération de restructuration d’entreprise mais est en réalité uniquement motivé par la volonté de l’apporteur des titres d’appréhender en franchise immédiate d’impôt des liquidités détenues par la société dont les titres sont apportés et faisant ainsi l’objet d’un désinvestissement faute qu’il soit justifié que la société bénéficiaire de l’apport avait, afin de permettre le dénouement de l’opération, un intérêt économique au versement de cette soulte, alors que, lorsque cette soulte est ainsi financée, elle prive cette société de la possibilité de disposer de ressources nécessairement prises en compte lors de la détermination de la valeur des titres apportés.

Le Comité émet en conséquence l’avis que, dans les circonstances de l’espèce, l’administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal.

Observations

La solution conserve un intérêt simplement historique. En effet depuis 2017, le législateur a prévu le principe de la taxation en présence d’une soulte.

 

  • Mise à jour le : 20/06/2019

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