L’herbe n’est pas plus verte ailleurs

Par : Benoît Descamps

Jean-François Lucq, ingénieur patrimonial chez KBL Richelieu Banque Privée, revient sur l’évolution de la fiscalité en France. Son constat est clair : si notre imposition est lourde, elle l’a été tout autant auparavant, et contrairement à certaines idées reçues, le contribuable français n’est pas moins bien loti que ses voisins européens !


Profession CGP : Quel regard posez-vous sur l’évolution de la pression fiscale sur notre territoire ?
Jean-François Lucq : Il convient de rappeler quelques exemples tirés de l’histoire fiscale. Il n’y a pas si longtemps, le taux d’impôt sur les sociétés s’élevait à 50 %, et cela était admis par tous. Les premiers allégements datent de 1985, avec Pierre Bérégovoy, puis Michel Rocard. Maintenant, lorsqu’on dépasse les 35 %, on crie au scandale. De même, à l’époque, nous avons connu une tranche à l’impôt sur le revenu à 56,8 %, qui a ensuite baissé. Néanmoins, c’est l’augmentation de la CSG qui est redoutable. 
Par exemple, si le taux d’imposition sur les plus-values est passé de 15 à 19 %, ce n’est pas dramatique ; mais cette taxe supplémentaire alourdit la note, même si elle s’inspire du principe de la proportionnalité de l’impôt.
Notre rôle est d’accompagner nos clients en tenant compte de la donne fiscale, laquelle répond quelquefois à des postures idéologiques tout autant qu’à des contraintes budgétaires. Des opportunités sont à saisir temporairement, comme la loi Tepa. De même, nous devons conserver à l’esprit que si des dispositifs peuvent être fiscalement intéressants, il convient de ne pas oublier l’intérêt financier réel des solutions sous-jacentes. Par ailleurs, sur le fond, les techniques civiles sont également nos meilleures alliées, car moins sensibles aux aléas politiques et bordées juridiquement. On parle ici de transmission anticipée du patrimoine, démembrement temporaire, d’opération intrafamiliale, via des SCI ou des holdings de famille… Des stratégies à mener sur le long terme et dans un intérêt patrimonial.

 

PCGP : La France est-elle plus redoutable avec ses contribuables que ses voisins européens ? 
J.-F. L. : L’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Le Français a toujours l’impression d’être étranglé par la fiscalité, mais une fois qu’il a quitté la France, il comprend que les choses ne sont pas si évidentes. En matière d’impôt sur le revenu, en Suisse, par exemple, pour un dirigeant ayant environ 150 000 euros de traitement, son sort sera quasi similaire à un Français, avec le total des impôts fédéral, cantonal et communal. Et les loyers sont plus chers en Suisse…
Autre exemple, le Portugal : si un régime de faveur est actuellement accordé aux retraités étrangers, pour un résident « ordinaire », la tranche supérieure d’imposition est de 45 à 48 %. Au Royaume-Uni, le taux est fixé à 40 %… En Espagne, le gouvernement a remis en place un impôt sur le patrimoine supérieur à notre ISF, et le taux d’IR monte, par exemple, à 56 % en Catalogne. Dernière illustration : la Belgique. Si l’ISF et l’impôt sur la plus-value n’existent pas, le taux d’IR est de 50 % à partir de 30 000 euros de revenus taxables… Récemment, un résident belge me parlait d’ « enfer fiscal » !
Les services fiscaux de ces Etats ne sont donc pas plus souples que les nôtres, ils viennent même puiser dans nos méthodes ! Parce qu’au final, ils sont confrontés aux mêmes difficultés que nous : faire face au poids de la dette. Ils usent donc de l’arme fiscale pour réduire leurs problèmes budgétaires.

 

PCGP : Dans ce contexte, une harmonie fiscale pourrait être décidée ?
J.-F. L. : Pour les contribuables résidents des pays, oui, l’harmonie va vers le haut. Mais chaque Etat use de dispositions dérogatoires et déroule le tapis rouge, comme le Portugal, pour accueillir des non-résidents. La France n’est pas en reste dans ce domaine. Les impatriés bénéficient, par exemple, d’une exonération de frais pour les nouvelles résidences, d’une taxation à seulement 50 % pour les revenus immobiliers de rapport ou encore d’une exonération d’ISF pour les biens détenus hors de France dans les années suivant l’installation dans l’Hexagone.
Au final, cela est absurde et ce dumping fiscal aboutit à une baisse des recettes des impôts dans chaque pays et une augmentation de la taxation des résidents… Jusqu’à quand ? 

  • Mise à jour le : 01/06/2014

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