Taux longs et démographie appellent le renouveau du conseil

Par : edicom

Par Philippe Baillot, professeur associé à Paris 2

Le marché de la gestion du patrimoine connaît plusieurs changements de paradigmes. Ainsi l’état de nos finances publiques (et par suite, une fiscalité durablement lourde), le choc réglementaire et la révolution digitale en cours induisent-ils  des évolutions majeures. « Et en même temps », le vieillissement démographique et la baisse des taux longs offrent de nouvelles certitudes structurantes, exceptionnellement riches d’enseignements et aux conséquences presque mécaniques pour le marché. Leur appréhension seule permettra de s’y préparer utilement.

Pour lever tout frein dans l’anticipation des évolutions à venir (1), quant à leur importance et profondeur, il suffit de se remémorer l’état du marché dans les années 1980, parfaite illustration des enseignements de Lao Tseu : « l’unique constante est le perpétuel changement ».

La période sous revue se caractérisait, en effet, par :

- la domination du marché français de l’assurance par trois compagnies majeures : l’UAP – « Numéro 1 oblige ! » – les AGF et le GAN. Aussi est-il essentiel de garder à l’esprit la possibilité de voir disparaître, à un horizon de vie professionnelle et donc, a fortiori, de celle d’un épargnant, les entreprises financières actuelles jusqu’aux plus importantes… ;

- l’assurance-vie représentait moins de 5 % de l’épargne financière des ménages, contre plus de 50 % aujourd’hui. Le « placement préféré des Français » peut donc, fort bien, demain s’avérer tout autre… ;

- les banques étaient pratiquement absentes du marché de l’assurance. Leurs filiales en représentent aujourd’hui 65 % de la vie et 17 % de la non-vie… Ainsi les modalités les mieux ancrées de commercialisation peuvent-elles évoluer du tout au tout… ;

- les taux longs dépassaient les 15 % (contra 0,75 % actuellement). Les fondamentaux des marchés financiers peuvent donc connaître de profonds changements, voire retournements purs et simples. La hiérarchie du rendement des classes d’actifs s’en trouve mécaniquement modifiée ;

- l’informatique était exclusivement centralisée et la communication papier. Or la loi de Moore et l’omnipotence de la Toile ne permettent même plus aux « moins de vingt ans » d’imaginer la réalité de ce passé…

Ce bref rappel illustre les extraordinaires évolutions que peut connaître le marché de la gestion du patrimoine sur une durée de vie professionnelle. Pour autant, il ne doit en rien nous paralyser tant « l’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons faire » (Henri Bergson).

Ce potentiel de changement appelle simplement à faire sienne la sentence du prince di Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Aussi bien dans le commerce des hommes, ce qui comptera toujours le plus consiste en l’expertise, l’écoute, le charme, la présence… des meilleurs conseillers patrimoniaux. Aussi n’ont-ils aucune inquiétude à développer pour autant qu’ils sachent s’approprier, pleinement – avec l’aide de leurs fournisseurs – les nouveaux outils offerts par l’informatique, avec le constant souci de ne pas se transformer en homme-orchestre, mais en chef d’orchestre.

Des certitudes structurantes à partager

Parmi les cinq changements de paradigme susvisés en cours, seuls deux offrent des certitudes : la démographie et l’évolution des taux longs. La simple observation des données disponibles permet, presque mécaniquement, de tirer nombre de conclusions sur les évolutions induites pour les métiers de la gestion de patrimoine.

La démographie

La démographie est la plus exacte des sciences humaines (2). Elle s’apparente presque à une science dure. Ainsi, sauf nouvel épisode de grippe espagnole ou submersion par l’immigration, notre avenir est-il, d’ores et déjà, écrit : la pyramide française des âges à l’horizon de 2060 offre l’image nouvelle d’un « menhir ».

Un simple regard sur ce « menhir », aux épaules plus larges que sa base et « légèrement » déséquilibré sur la droite (sa dimension féminine), conduit à conclure à une croissance économique durablement faible. Pour les métiers de la gestion de patrimoine, il permet d’anticiper deux phénomènes majeurs : un vieillissement et une féminisation corrélative des détenteurs du capital.

Il en découle la pertinence – sans passer de diplômes de gérontologie ! – de développer différentes expertises liées au grand âge : le droit de la protection, de l’abus de faiblesse… (avec ses multiples outils : le mandat de protection future, la curatelle, la tutelle…), tant les cas de leur mise en œuvre devraient se multiplier.

Nombre de pratiques devront également évoluer, voire émerger. A titre d’illustration, le recueil d’attestation médicale sur la pleine possession de la faculté d’esprit des investisseurs, dès lors qu’ils n’appartiendraient plus, et de beaucoup, à la cible du lectorat de Tintin, devrait se généraliser.

De la dégradation certaine du ratio actifs/retraités découle une interrogation fondamentale sur l’équilibre des retraites par répartition. En réalité, à l’encontre de discours politiques lénifiants, il en découle l’absolue nécessité, pour limiter les déficits de nos régimes de retraite par répartition, de jouer concomitamment sur les trois leviers disponibles : une hausse des cotisations, un recul de l’âge de la retraite et une diminution des prestations.

Pour les métiers de la gestion de patrimoine, l’heureuse nouvelle est la prise de conscience rapide des ayants droit et un besoin croissant, en termes d’épargne longue et de valorisation du capital : le cœur du métier. A titre d’exemple, les jeunes ne s’interrogent plus sur le montant de leur future retraite par répartition, mais sur sa pérennité même. Par suite, la solution passe clairement, dans leur esprit, par la mise en œuvre de solutions de retraite en capitalisation, plus encore pour ceux d’entre eux qui développeront leur carrière successivement dans plusieurs pays. Ainsi pour « certains », l’avenir est-il radieux !

Le vieillissement rapide de la population française permet d’anticiper nombre de phénomènes : l’accroissement des conservatismes, du besoin de protection… Pour les métiers de la gestion de patrimoine, il s’accompagne de certitudes, avec une explosion des dépenses de santé, des besoins de prévoyance et des problématiques de dépendance.

Les assurances de personnes (prévoyance, santé…) apparaissent donc promises à un brillant futur. A cet égard, les conseillers, en complément à une approche longtemps exclusivement dédiée à l’acte d’épargne, devront (ré)apprendre à élargir leur approche commerciale. Ainsi leur reviendra-t-il demain, sans solution de continuité, de traiter de la maladie et de la mort. Le potentiel commercial de ces nouveaux marchés justifie pleinement l’investissement induit.

Dès 2030, l’âge moyen des enfants au décès de leur mère atteindra 57 ans. Les aînés hériteront donc pendant leur phase de retraite, sauf recul encore plus drastique de l’âge de départ.

De successions de plus en plus tardives, voire minorées – par la consommation du capital détenu induite par les besoins de financement d’une phase de dépendance, de moins en moins éventuelle – découlera clairement un cycle de vie patrimoniale entièrement chamboulé. Les actifs pourront, de moins en moins, compter sur leur héritage pour financer leur train de vie à compter de la cessation de leur activité professionnelle. L’hypothèse d’une « génération perdue » est même envisageable que l’on verrait refuser son héritage au profit de ses propres enfants.

Ainsi un besoin accru d’épargne longue apparaît-il clairement. L’activité patrimoniale ne devrait pas en pâtir !

Naturellement, ces évolutions démographiques connaissent leur traduction en termes individuels, à l’image d’une « heureuse » évolution de l’espérance de vie, jusqu’à des âges antérieurement dits avancés.

Ainsi un couple de 60 ans doit-il désormais réfléchir à ses stratégies patrimoniales sur une durée supérieure à 40 ans, avec l’apparition d’un risque nouveau : survivre à son capital. Il en découle l’interdiction, sauf à quelques happy few, de procéder à des donations, au moins en pleine propriété.

La seconde nouvelle nécessité consiste à valoriser son épargne au lendemain de son départ à la retraite. Ainsi la détention de fonds en euros, au rendement tendanciel proche de zéro, ne peut-elle demain s’avérer qu’inappropriée. Par suite, le besoin de conseils financiers – en termes de choix de supports d’investissement et d’arbitrages – ne devrait cesser de croître pour le plus grand bien de la gestion de patrimoine…

A 70 ans, pour un couple, l’horizon patrimonial s’élèvera encore à plus de 32 ans. Ainsi, le besoin nouveau d’accroître le pouvoir d’achat de son capital financier jusqu’à un âge avancé constitue-t-il clairement un défi majeur, « et en même temps » un nouvel eldorado pour la gestion d’actifs.

Cette évolution débouchera sur la nécessité d’une pédagogie entièrement nouvelle, vis-à-vis tant des épargnants qu’(éventuellement) des juges de tutelle. La contrainte d’effectuer, jusqu’aux âges les plus avancés, des investissements en actifs réels s’avère, en effet, clairement contre-intuitive et surtout contraire à nos législation et jurisprudence actuelles et sans doute, plus encore, à la culture financière des magistrats.

Quant à l’horizon de vie à prendre en compte pour procéder à toute allocation d’actifs, il convient d’observer qu’il se trouve encore prolongé, dans nombre d’hypothèses, du fait que les héritiers ou bénéficiaires ne se trouvent pas dans l’obligation – au-delà du paiement d’éventuels droits d’enregistrement – de liquider les actifs recueillis. Ainsi, même à 70 ans passés, l’horizon de placement effectif peut-il dépasser 50 ans.

En pratique, la probabilité de disparaître dans l’année reste faible jusqu’à plus de 80 ans, pour naturellement connaître, par la suite, une croissance malheureusement exponentielle.

Pendant l’essentiel de la vie, la couverture de ce risque va donc s’avérer pertinente, relativement peu dispendieuse et autoriser des marges significatives. Une approche viagère de la gestion de patrimoine reste donc à développer à chaque âge de la vie, sur la base de formules viagères revisitées, de nouvelles tontines…

Les enquêtes et analyses sur le comportement des épargnants face aux risques (3) convergent toutes sur les propositions suivantes, et au demeurant assez intuitives : les hommes sont plus tolérants aux risques que les femmes ; les jeunes que leurs aînés. Or, dans le futur, par suite des évolutions observées, le patrimoine sera détenu par des mains de plus en plus âgées et féminines. Aussi en découle-t-il un formidable challenge pédagogique et réglementaire pour nos métiers. Les conseils devront apprendre à vendre le risque.

Au demeurant, une telle approche est faussée. La recherche d’un épargnant ne saurait – quel que soit son âge – correspondre à une prise de risques. Elle pourra exclusivement viser à un rendement accru. La pédagogie développée cherchera donc à expliciter :

- d’une part, le lien entre une prise de risque, sur le court terme, et la génération de valeur sur la durée ;

- d’autre part, les horizons réels d’épargne toujours plus éloignés à appréhender (à l’exception limitée, par essence, de l’épargne de précaution).

A l’âge canonique de 40 ans – permettant « jadis » aux femmes « flétries » d’entrer au service d’un ecclésiastique ! – la probabilité de mourir dans l’année s’avère infime. Ainsi aujourd’hui Honoré de Balzac intitulerait-il son roman « La femme de 70 ans ». Or, des horizons effectifs de placement toujours plus lointains inversent complètement la réalité des risques encourus. Le challenge reste de persuader les épargnants de cette réalité contre-intuitive.

Les taux longs

Après la démographie, les taux longs constituent un deuxième changement majeur de paradigme en cours pour la gestion de patrimoine. Au lendemain d’une crise, les choses reviennent en l’état et le business as usual. Après un changement de paradigme, les choses sont définitivement différentes. Ainsi en est-il avec l’évolution récente des taux longs.

À la veille des années 1980, la création de l’Afer a marqué une révolution de l’offre de l’assurance-vie. À l’encontre de la pratique antérieure, la nouvelle offre commerciale se caractérisait, en effet, par une liberté entièrement nouvelle – de versements et de rachats – et une transparence jusqu’alors inusitée dans la gestion financière. L’assurance vie est alors devenue le « placement préféré des Français ». Elle rimait avec « nouveaux fonds en euros », par opposition au fonds général des entreprises d’assurance, subtil et obscur mélange d’obligations, d’actions et d’immobilier, voire de placements stratégiques des compagnies. L’allocation, nouvellement dédiée, des actifs détenus dans les « nouveaux fonds en euros » se sera avérée exceptionnellement adaptée à une phase durable de baisse des taux longs. En pratique, cette structure d’actifs (à plus de 92 % de produits de taux) a permis, pendant près de 30 ans, d’offrir aux épargnants une forme de quadrature du cercle patrimonial avec : un rendement élevé (brut et net d’inflation) ; une liquidité constante ; un capital garanti ; une sécurité de place.

Ce miracle n’est qu’apparent. En effet, au lendemain de l’accession au pouvoir de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, sous l’imperium de Paul Volcker à la Fed, les taux longs vont commencer une baisse qui s’avérera continue. Pour l’illustrer, l’OAT à 10 ans passera ainsi de plus de 16 % en 1980 à moins de 0,35 % l’année dernière.

Le miracle des « nouveaux fonds en euros » s’explique, dès lors, aisément.Ces fonds en euros se seront révélés, en effet, exceptionnellement adaptés à une phase de baisse des taux longs, surtout qu’elle aura été continue, profonde et durable.

A l’évidence, cette phase est parvenue à son terme aujourd’hui. Son caractère unique ressort d’ailleurs parfaitement de l’observation de la phase précédente de hausse des taux longs de 1950 à 1980. Ainsi est-il remarquable, à l’observation de l’évolution des taux longs de 1950 à ce jour, de noter le caractère unique d’une phase trentenaire de baisse des taux longs.

Au terme de cette phase révolue, les fonds en euros ne peuvent plus s’avérer durablement créateurs de valeurs pour les épargnants. Désormais, l’augmentation du pouvoir d’achat d’une épargne nécessitera une prise de risque explicite. Ce changement de paradigme devra s’accompagner du retour du conseil, fort heureusement au cœur des métiers du patrimoine.

Demain, nous devons donc inventer un nouveau modèle. Naturellement, toute prétention à énoncer l’évolution future des taux longs devrait s’accompagner d’une domiciliation sur un yacht, battant pavillon des Bahamas.

A défaut, il reste loisible d’observer que seules trois hypothèses, non équiprobables, sont envisageables :

- une nouvelle baisse ;

- une pérennité des taux actuels ;

- une remontée, plus ou moins rapide.

Une nouvelle baisse des taux longs

La baisse des taux actuels signifierait l’apparition de taux négatifs. Dans cette hypothèse, les actuels fonds en euros apporteraient un « certain temps » des satisfactions aux assurés. Ils constitueraient alors comme une oasis de bien-être dans un océan de désespérance.

L’existence de taux négatifs ne saurait être complètement exclue. Ainsi, dans des circonstances démographiques spécifiques qui voient la population se réduire, le Japon a pu connaître une telle situation, ponctuellement assortie de quelques faillites de compagnies d’assurance.

Pour éviter une telle évolution, Mario Draghi a sorti l’arme nucléaire, avec sa politique de quantitative easing (QE) de rachat massif de titres de dette aux acteurs financiers, notamment des bons du Trésor, voire d’obligations d’entreprises, accompagné d’une explosion du bilan de la BCE.

Une stabilité des taux

Aussi, le scénario central – du Trésor français et de la BCE – correspond-il à une stabilité des taux longs au, très bas, niveau actuel. Ce scénario induira, en synthèse, trois conséquences mécaniques :

- un rendement, net de prélèvements obligatoires, symbolique ;

- une lourde problématique associée pour le prélèvement des frais nécessaires aux compagnies, pour quelle valeur ajoutée ;

- un étranglement à (long !) « terme » des compagnies, à un rythme naturellement variable, selon la structure de leur fonds, avec un éventuel effet domino.

Naturellement, les entreprises d’assurance essayent de se préparer à cette modalité nouvelle du « garrot espagnol », par l’adoption de multiples mesures (baisse drastique des rendements délivrés par les fonds en euros, évolution de leurs dispositions contractuelles, arbitrage vers les UC…).

La phase actuelle de taux bas s’accompagne d’un rendement décroissant des « fonds en euros ». Très légitimement, dans une approche prudentielle, la Banque de France et l’ACPR insistent sur la nécessité d’une décroissance accélérée.

Aussi doit-elle être mise à profit, tant qu’elle dure, pour accompagner les épargnants dans leur prise de conscience d’un nouveau paradigme, où le rendement d’une épargne est clairement conditionné à une prise de risque explicite.

Au demeurant, la minoration du rendement des fonds en euros – tant brut que net d’inflation – est très opportune. Elle est, en effet, clairement de nature à faciliter le basculement d’un nombre croissant d’épargnants vers des actifs exempts de toute garantie en capital – désormais hors de prix et au demeurant de pertinence aux horizons considérés. Naturellement, au moins dans un premier temps, ces actifs devront être gérés dans une logique de préservation du capital. La course au large ne saurait, sans danger, se passer de l’apprentissage du cabotage.

En toute hypothèse, à cet égard également la démographie peut jouer un rôle majeur, avec l’observation de l’importance de la concentration de la détention des actifs en euros dans les mains des assurés les plus âgés, appelés à disparaître à un horizon court. A ce sujet aussi, il s’avérera essentiel de gérer au mieux la schizophrénie consistant à chercher à conserver les actifs réglés, par suite du décès de l’assuré, « et en même temps » de réduire l’exposition au « fonds en euros ». Désormais cette conservation ne devrait plus prendre la forme d’une simple réduction, voire suppression, des frais encourus sur le reversement des capitaux recueillis, pour favoriser leur réinvestissement au sein de nouveaux contrats en « euros ». Elle devra passer par la souscription par les bénéficiaires décès de contrats effectivement investis en unités de compte, correspondant à des actifs réels (actions cotées, private equity…).

Une remontée des taux plus ou moins rapide

Selon l’image du « cygne noir » (4), une remontée rapide des taux n’apparaît pas l’hypothèse la plus probable. Pour l’anticiper, il suffira cependant de simplement imaginer la survenance d’un risque géopolitique en mer de Chine ou dans le détroit d’Ormuz. Selon son rythme, une telle remontée induirait :

- des difficultés « actif/passif » plus ou moins rapides pour les compagnies d’assurance ;

- une possible suspension du droit au rachat des fonds en euros, nouvellement autorisée par la loi Sapin II.

A cet égard, la loi Sapin II doit être analysée comme constitutive de l’adoption pertinente des outils juridiques nécessaire à la gestion d’une crise anticipée. Ainsi, à l’opposé de la crise bancaire de 2008, les pouvoirs publics disposeront demain du dispositif législatif nécessaire pour apporter la réponse aux conséquences mortifères, pour les entreprises d’assurance, d’une remontée (trop) rapide des taux longs.

Le seul regret est d’observer l’adoption d’un tel dispositif comme en catimini, en l’absence de toute pédagogie des pouvoirs publics à l’attention des épargnants.

Des conséquences mécaniques sur la gestion du patrimoine

En pratique, les évolutions démographiques et des taux longs observées – voire anticipées – induisent la fin du « tout » assurance vie en euros et le retour du conseil et, mieux encore, du conseiller.

La fin du « tout » assurance-vie en euros

Dans une phase de taux bas, a fortiori haussier, les fonds en euros ne sont plus à privilégier que par les épargnants :

- à l’horizon de placements courts ;

- à l’aversion au risque élevée, pour des raisons tant objectives (situation de chômage, emploi dans une start-up…) que subjectives (psychologie) ;

- aux anticipations négatives pour les marchés.

Ainsi, une formidable opportunité se présente de procéder à l’arbitrage de plus de 1 500 milliards de fonds en euros vers des UC. En effet, même pour les épargnants les plus âgés, cet arbitrage s’avérera à privilégier dans nombre de cas, au regard de la réalité de leur horizon de placement et de la nécessité nouvelle de valoriser leur épargne, aux horizons considérés.

En réalité, il convient de procéder à une véritable révolution copernicienne. En effet, au lendemain de l’adoption de la loi Sapin, les fonds en euros ne sont explicitement plus synonymes de garantie, et encore moins de rendements significatifs. Inversement, la durée réelle des horizons de placement (10, 15, 20 ans…) efface, pour l’essentiel, les risques apparents inhérents à tout investissement en UC. Naturellement, de cette nécessité absolue de mettre un terme à la monoculture des fonds en euros découlent diverses problématiques lourdes :

- de formation des conseillers, en particulier, financière ;

- d’une pédagogie renouvelée, entre autres, sur la réalité nouvelle de la notion de risque ;

- de timing avec les marchés, appelé par la nécessité nouvelle de procéder à l’arbitrage périodique des actifs détenus ;

- de nécessaire proactivité et de la disposition et parfaite maîtrise des outils informatiques pour ce faire ;

- d’une réglementation « contraire » ;

- d’un enjeu de responsabilité, avec une dommageable asymétrie. Un conseil financier pertinent appelle, à peine, des remerciements. Inversement, une baisse de valeur – fut-elle très temporaire et sans correspondance avec l’horizon initialement défini du placement – pourra déboucher sur une mise en cause de la responsabilité professionnelle. A cet égard, la traçabilité et la justification écrite du Conseil constitueront naturellement une impérative nécessité.

Autant de challenges à relever.

A cet égard, il est réconfortant d’observer l’exemple d’une transformation réalisée : un changement radical du mix de production sur le marché japonais, par suite des contraintes induites par les taux et les évolutions démographiques. Ainsi l’anticipation des évolutions démographiques et des taux est-elle de nature à autoriser l’optimisme. Elle s’accompagne d’une certitude : “After all… tomorrow is another day”.

Quant à l’assurance-vie en euros, elle a longtemps répondu à nombre de besoins patrimoniaux des résidents français (à court, moyen et long terme).

Demain, au marché d’inventer les nouveaux usages de l’assurance-vie : en y instillant de la prévoyance (vie entière et mixte renouvelée…) ; en faisant réellement « vivre » les contrats (avec des arbitrages multipliés, toujours en suspension de prélèvements obligatoires) ; en écartant ses limites (au bénéfice d’un usage expert de ses dimensions civiles).

En pratique, les taux bas ont au moins quatre effets négatifs. Ils minorent la rémunération des épargnants, réduisent les marges, accroissent le risque de pertes en cas de remontée des taux, induisent une pression accrue sur la valeur ajoutée ressentie par les épargnants (contra Tracker).

La souscription d’actifs à forts potentiels, seuls créateurs de valeur sur la durée dans un monde de plus en plus « schumpetérien » – jusqu’à un nouveau président clairement adepte des enseignements du maître d’Harvard –, est, à l’évidence, conditionnée à la présence et à l’expertise de conseillers. Elles seules pourront déboucher sur la souscription créatrice de valeur sur la durée d’actions cotées, de fonds de private equity, d’immobilier locatif en défiscalisation, d’immobilier d’usage (contra les mouvements de taux)…

Naturellement, ces placements appellent un conseil à forte valeur ajoutée, tant initial qu’au cours de leur vie. Or, un tel conseil, a fortiori continu, est seul de nature à justifier d’une rémunération sur les encours (5)…

Le retour du conseil (et du conseiller)

Dans la phase précédente de baisse, continue et durable, des taux longs, les fonds en euros ont pu répondre, concomitamment, aux besoins des épargnants en termes de placements à court, moyen et long terme. Le rôle du conseil s’en trouvait appauvri.

À l’avenir, la valorisation du pouvoir d’achat d’une épargne induira la nécessité d’une prise de risque énoncée et d’une multiplication des arbitrages pour adapter les actifs détenus : d’une part, aux évolutions personnelles de l’épargnant, connues de son seul conseiller ; d’autre part, aux changements de phase économique et, par suite, des marchés financiers.

Ces contraintes nouvelles débouchent clairement sur le retour du conseil et, mieux encore, du conseiller, au bénéfice de sa connaissance exclusive des caractéristiques personnelles et horizons de placement de chaque épargnant.

Ainsi, les évolutions démographiques en cours et des taux longs appellent un renouveau du conseil. Les conseillers voient leur rôle formidablement revalorisé dans les quatre phases de valeurs ajoutées apportées aux épargnants :

- la mise à jour de leurs besoins ;

- l’accompagnement juridique et fiscal, propre à accroître la probabilité de l’atteinte de leurs objectifs énoncés ;

- la commercialisation des produits et services durablement adaptés à leur morphologie patrimoniale ;

- le choix initial et l’arbitrage continu des supports financiers de leur investissement, en conformité avec leurs horizons de placement et leur sensibilité aux risques.

Ainsi un avenir financier et économique incertain appelle-t-il la présence continue de conseillers patrimoniaux. Pour illustrer cette assertion, il suffit d’observer qu’au cours des prochaines années – à l’encontre de l’évolution des taux longs au cours des trente-cinq dernières – l’économie devrait connaître de multiples phases et autant de ruptures.

L’essentiel est d’observer l’existence, quelle que soit la phase économique traversée, de classes d’actifs propres à générer de la valeur.

Ainsi dans la phase d’hyper-inflation traversée par la République de Weimar, les détenteurs d’actifs réels – actions ou immobilier – ont pu préserver leur patrimoine, tandis que les détenteurs d’obligations ou de simples liquidités se trouvaient ruinés…

Chacune des phases de marché et, surtout, leur succession constituera autant d’opportunités de conseil, à forte valeur ajoutée pour commercialiser des actifs propres à créer pour les épargnants de la valeur. L’épargnant aura donc un besoin toujours accru de conseils.

Par ailleurs, les épargnants n’ont pas une claire conscience des évolutions démographiques en cours. Elles appelleront donc de la part de leur conseiller une pédagogie renouvelée. Elles déboucheront surtout sur la pertinence d’une approche « viagère » de la gestion de patrimoine. Une telle approche pourra être développée à chaque âge, avec une mise en œuvre experte des multiples outils (usufruit, tontine, instillation effective de garantie de prévoyance, rentes viagères, transmission intergénérationnelle…).

A titre de simple exemple, la prise de conscience, à 60 ans, des années restant à vivre, dans une approche naturellement exclusivement actuarielle – en attendant un éventuel nouveau bond du potentiel de prédiction médicale du « digital » – débouche sur une évolution drastique du conseil (en termes de choix financier, de capacité à donner de son vivant…). Une bonne appréhension de la longévité à chaque âge – à l’exemple susvisé de la soixantaine – autorise seule une approche « éclairée » des 3e et 4e âges des détenteurs du capital.

Dans cette phase nouvelle de taux, le législateur et les autorités de contrôle se trouvent dans une situation « légitimement schizophrénique », écartelés entre :

- un souci naturel de protection des consommateurs – en termes d’appréhension de leurs risques à court terme, d’intelligibilité des nouveaux placements, objectivement plus complexes à appréhender… ;

- le frein induit à la diversification du stock actuel des placements en euros, pouvant déboucher, à terme, sur une crise systémique.

La problématique induite consiste classiquement à tenter de transformer cette contrainte en opportunité. A cet égard, le couple infernal – digital, réglementation – pourrait s’avérer exceptionnellement bénéfique.

Le digital offre, en effet, d’une part, une capacité entièrement nouvelle de stocker une masse quasi infinie d’informations (directement recueillies des consommateurs ou captées sur la toile) ; d’autre part, au bénéfice du développement des algorithmes, une capacité (également) entièrement nouvelle de les traiter.

« Et en même temps », la réglementation favorise, de facto, le recueil d’informations sur les épargnants, antérieurement le fait de la seule banque privée.

Ainsi, le bon usage du couple digital-réglementation offre des opportunités entièrement nouvelles de connaissance initiale et continue du client à chaque acte de gestion et d’inputs pertinents, générateurs d’actions commerciales à forte valeur ajoutée. Des militaires considéreraient que, ce faisant, la gestion de patrimoine passe du « carpet bombing » à la « frappe laser », au plus grand profit des épargnants et plus encore des conseillers qui sauront disposer et maîtriser les évolutions technologiques et les nouveaux outils disponibles (des logiciels patrimoniaux aux robo-advisors).

A cet égard, la croissance de l’investissement dans les FinTechs – en premier lieu spécialisées dans la banque et l’assurance – vaut promesse d’extraordinaires et rapides (r)évolutions.

Un conseil financier renouvelé

Dans le même temps, le conseil financier valorisera les conseillers les plus proactifs. Leur talent, leur imagination et leur créativité sont au pouvoir pour suggérer, suivre et arbitrer : des actifs à fort potentiel (actions, private equity…) ; des actifs décorrélés (à l’étranger, hors zone euros) ; des actifs diversifiés (biens réels,…)… assortis d’effets de levier. Dans une phase de taux bas, le crédit constitue, à l’évidence, une superbe opportunité en termes de création de valeur.

Cette proactivité conduira à un suivi nouveau et continu des épargnants, et, par suite, justifiera pleinement une prise de marge et la perception d’un encours.

Un conseil juridique et fiscal enrichi

Les évolutions démographiques susvisées débouchent clairement sur une multiplication des besoins de conseils juridiques :

- une hausse des besoins en termes de protection des personnes (tutelle, curatelle, contrat de protection future, habilitation familiale,…) ;

- une explosion des contentieux pour abus de faiblesse, en droit des successions (pour détournement).

Autant d’opportunités de conseils, à forte valeur ajoutée, justifiant une prise d’honoraires.

Conclusion

En premières conclusions, dans une phase entièrement nouvelle de taux bas et de vieillissement des détenteurs du capital, l’absence de prise de risques énoncée induit, à terme pour l’épargnant, une perte certaine ; les actifs dits à risques sont seuls créateurs de valeurs (et de marges), sur la durée.

Ainsi vivons nous une véritable révolution copernicienne, où sur la durée effective de placement des épargnants les actions offrent une véritable sécurité que les fonds en euros ne garantissent plus. « Et en même temps », le conseil est devenu un must.

Avec le digital et la réglementation, les conseillers disposent, fort heureusement, de moyens entièrement nouveaux de l’assurer pleinement et continûment. Aussi, jamais l’avenir du conseil patrimonial n’aura été aussi riche d’opportunités.

 

1. Conformément à la logique du colloque de Fidroit, pour son 20e anniversaire, « Comment s’adapter ces 20 prochaines années ? », du 27 juin 2017, avec une conférence de l’auteur « Pour quelle raison votre métier va-t-il évoluer ».

2. Cf. Théorie générale de la population, Alfred Sauvy, chez PUF (1952).

3. V. les enquêtes Pater, la loterie de Barsky… in L. Arrondel et A. Masson, Mesures des préférences des épargnants : Économie et statistiques n° 467-468, 2014.

4. Le cygne noir : La puissance de l'imprévisible, Nassim Nicholas Taleb, Les Belles Lettres, 2012.

5. Cf. La nouvelle régulation des marchés financiers, MIF2.

 

  • Mise à jour le : 23/10/2017

Vos réactions