L’innovation au menu de l’alimentation durable

Par : edicom

Par Arnaud Demes, spécialiste produits chez CPR AM

Produire plus, mieux et durablement… Tel est le défi auquel la planète est confrontée pour nourrir une population toujours grandissante, tout en limitant l’impact environnemental. De ce fait, l’alimentation a été identifiée comme l’une des priorités de l’Onu parmi les dix-sept Objectifs de développement durable (ODD). L’ODD 2 zéro faim, qui lui est consacré, a pour but d’« éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable ».

La production alimentaire est au croisement de grandes tendances contemporaines qui transforment la demande et exercent une pression sur l’offre. Cette pression est à la fois quantitative, par une augmentation de la consommation à l’échelle mondiale et la forte progression des revenus dans les pays émergents, et qualitative, par l’évolution des habitudes alimentaires. En outre, les réponses doivent impérativement se conjuguer aux contraintes sur les ressources naturelles de plus en plus limitées et au contexte de réchauffement climatique. Certaines données sont éloquentes sur la pression que fait peser la chaîne alimentaire sur la planète. Elle contribue à hauteur de 20 à 30 % des émissions de gaz à effet de serre, l’agriculture représente, à elle seule, 70 % de la demande en eau, et 91 % des emballages en plastique ne sont pas recyclés. Or la hausse des températures ou encore l’intensité croissante des évènements atmosphériques extrêmes sont autant de facteurs qui nuisent aux rendements agricoles. Dans le même temps, si les tendances récentes se poursuivent, le nombre de personnes touchées par la faim dépasserait 840 millions, d’ici à 2030. Par ailleurs, les consommateurs deviennent de véritables acteurs et exigent une alimentation de meilleure qualité, issue d’un processus de production transparent, socialement équitable et respectueux de l’environnement.

Fait maison, agriculture biologique et de saison, produits locaux, juste rémunération des agriculteurs… Autant de tendances qui se développent et qui ont été accélérées par la crise sanitaire. Dans ce contexte, de nombreuses innovations voient le jour tout au long de la chaîne de valeur alimentaire afin de répondre à la demande croissante, tout en soutenant une transition vers des modes de production et de consommation durables. Alliant intelligence artificielle, biotechnologie et robotique, les nouvelles technologies jouent un rôle majeur et pourraient bien complètement révolutionner l’ensemble du secteur alimentaire. En aval de la chaîne, des sociétés imaginent le futur durable de l’emballage et la réduction du gaspillage.

« Food science » : la science au service de l’alimentation

Considérée comme avant-gardiste, voire futuriste, la food science se situe en amont de la chaîne de valeur alimentaire, et regroupe l’ensemble des initiatives scientifiques, technologiques et entrepreneuriales innovantes liées à l’alimentation. On retrouve parmi ces innovations, les fermes verticales, la viande cultivée en laboratoire ou viande artificielle ou encore les protéines alternatives végétales ou à base d’insectes.

Les fermes verticales sont un exemple de technologie au service de l’autonomie alimentaire. Les cultures sont placées sur des étagères hors sol et superposées les unes sur les autres. Tous les facteurs sont rigoureusement pensés pour que les plantes se développent de manière idéale. Un éclairage à base de LED réplique l’exposition au soleil et des systèmes informatisés de chauffage simulent le climat optimal.

Deux solutions d’agriculture verticale existent à ce jour, l’hydroponie et l’aéroponie. En hydroponie, les racines baignent dans une solution riche en nutriments, alors qu’en aéroponie de la brume est directement pulvérisée sur les racines. Cette méthode horticole cherche à maximiser l’utilisation de l’espace et le rendement, tout en minimisant l’impact environnemental. Economes en eau et sans pesticides, les fermes verticales affichent un rendement pouvant être plus de cent fois supérieur à celui de l’agriculture traditionnelle. Une solution certes énergivore qui, théoriquement, pourrait permettre de produire mieux, n’importe où, notamment plus proche des lieux de consommation. C’est avec cette promesse que la start-up californienne Plenty propose une solution digne des fermes du futur, alliant intelligence artificielle et robotique pour produire plus, tout en réduisant les consommations d’eau de 95 %.

Autre exemple de food science, et parmi les plus avant-gardistes : la viande de culture en laboratoire avec des techniques de bio-ingénierie. Elle se présente comme une solution à l’industrialisation croissante des élevages, à l’heure où la consommation de viande fait l’objet de controverses, questionnée sur son impact climatique et sanitaire. Des cellules souches animales de graisse, de tissus conjonctifs et de muscles sont prélevées par une biopsie indolore et sont incubées dans un milieu de croissance. Elles s’y multiplient, puis sont assemblées en un morceau de viande conventionnelle, reproduisant le processus naturel biologique qui se déroule dans l’organisme des animaux.

C’est en 2013 que le premier burger « in vitro » conçu par un scientifique néerlandais a vu le jour. Depuis, de nombreuses start-up se sont positionnées sur ce créneau prometteur. C’est le cas, par exemple, de l’américaine Eat Just, première au monde à avoir reçu, fin 2020, à Singapour, l’autorisation de commercialiser des morceaux de poulet fabriqués artificiellement, actuellement vendus dans des restaurants.

Une solution révolutionnaire et durable qui, bien qu’elle reste encore controversée et coûteuse, pourrait devenir de plus en plus présente dans nos vies quotidiennes.

Le recours aux outils technologiques pour une agriculture de précision

Restons en amont de la chaîne de valeur de l’alimentation, avec l’agriculture de précision qui utilise la robotique, l’intelligence artificielle et les objets connectés afin d’améliorer les performances des exploitations agricoles. C’est également dans l’objectif de produire plus, mieux et avec moins que cette démarche a vu le jour.

L’agriculture de précision a ainsi recours à des moyens d’observation, tels que les satellites et les drones couplés à des systèmes d’aide à la décision pour optimiser et ainsi améliorer les rendements agricoles.

Citons la société américaine John Deere, spécialiste de la fabrication de matériel agricole, qui investit massivement depuis plus de vingt ans dans les technologies de l’agriculture de précision dans le but d’automatiser l’activité agricole, et de la rendre plus précise et durable. Ses équipements intelligents ciblent les cultures à la plante ou à la rangée, et permettent aux agriculteurs de produire plus avec moins en réduisant l’usage de pesticides, d’herbicides et d’engrais ainsi que les sillons dans les champs. C’est dans ce cadre que John Deere a procédé à l’acquisition de Blue River Technology, qui figure parmi les pionniers de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le domaine agricole.

Blue River Technology a mis au point une technologie capable de distinguer précisément les mauvaises herbes des plantes cultivées afin de limiter l’usage des herbicides. Elle s’appuie sur des algorithmes d’apprentissage automatique nourris de millions d’images capturées par des caméras haute résolution et utilise des technologies similaires à celles des voitures autonomes pour reconnaître les cultures. Une fois les mauvaises herbes identifiées, leur emplacement est cartographié et le robot ne pulvérise que les endroits concernés, le tout en quelques millisecondes. Cette approche permet aux agriculteurs de réaliser des économies et promeut des pratiques agricoles plus durables, moins dépensières en ressources. En effet, ce dispositif réduit le volume des produits chimiques utilisés de 90 % par rapport aux approches conventionnelles. Elle compte aussi mieux exploiter les informations récoltées par les caméras afin de permettre aux agriculteurs d’améliorer leurs décisions d’« irrigation ou de choix de graines ».

Solutions de recyclage et d’antigaspillage, piliers de l’économie circulaire

A ce jour, 6 milliards de tonnes de déchets plastiques se sont accumulées sur la terre et se retrouvent dans les décharges aussi bien que dans les océans. Une tendance qui n’est pas près de dégonfler et qui pourrait bien doubler d’ici trente ans. En effet, l’urbanisation croissante pousse les consommateurs à rechercher plus de flexibilité dans leurs options d’alimentation : plats à emporter, livraison de repas à domicile, kits de préparation de repas…

La récente crise sanitaire mondiale est venue renforcer ces tendances. En raison de la mise en place de mesures strictes de confinement, de nombreux foyers ont eu recours à ces différentes options pour leurs repas quotidiens exclusivement pris à la maison. L’emballage devient alors un sujet sensible puisque l’accélération et l’installation dans la durée de ces nouveaux modes de consommation vont de pair avec un risque accru de suremballage et de pollution plastique.

Prenons l’exemple de l’entreprise irlandaise Smurfit Kappa, présente sur toute la chaîne de valeur du papier, de l’exploitation forestière à la production d’emballages. Son modèle repose sur une approche circulaire et propose des solutions d’emballage conçues à partir de matériaux renouvelables, recyclables et biodégradables. Tous les emballages papier sont fabriqués à partir de fibres de bois, dont 75 % proviennent de sources recyclées et seulement 25 % de bois frais.

En 2019, Smurfit Kappa a lancé l’initiative Better Planet Packging, un regroupement de technologies, idées et innovations ayant pour but la réduction des déchets liés à l’emballage. Au travers de ce projet, Smurfit Kappa vise à accompagner ses partenaires et clients dans leurs projets d’emballages durables. Par exemple, en 2020, Patani Global Food, un fournisseur de produits surgelés, a fait appel à Smurfit Kappa dans sa quête d’un emballage alternatif aux boîtes en polystyrène expansé (EPS) pour ses exportations aux Caraïbes. En effet, dans le cadre de la lutte contre la pollution plastique des océans, sept pays de l’île ont interdit le plastique à usage unique. C’est ainsi que le ThermoBox, un emballage à base de carton ondulé 100 % recyclable avec des propriétés isolantes très performantes, a vu le jour. En matière de lutte contre le gaspillage, la société française AEM Softs a déployé une solution mobile innovatrice d’étiquetage antigaspillage, qui permet de ré-étiqueter avec une offre promotionnelle les produits alimentaires en fin de vie directement en rayon. Tout en réduisant le gaspillage alimentaire, ce système assure à la fois un déstockage efficace et une amélioration de l’image de l’enseigne auprès de ses clients.

L’investissement, un levier puissant de changement

La finance a un rôle à jouer dans le développement de telles innovations et les investissements massifs qu’implique la transition vers des modèles plus vertueux. L’investissement à impact est l’une des voies les plus pertinentes. Par exemple, CPR AM gère le fonds CPR Invest–Food For Generations, qui investit dans l’ensemble de la chaîne de valeur alimentaire. Dès son lancement en 2017, des objectifs de suivi, d’amélioration et de transparence ont été introduits dans sa gestion autour de trois critères d’impact : réduire les intensités carbone et eau du portefeuille par rapport à son univers d’investissement, très consommateur en ressources naturelles, et maintenir un taux de recyclage des déchets à un niveau élevé. Ces critères sont calculés et publiés à une fréquence mensuelle. Le suivi régulier de l’impact généré par le portefeuille est clé pour améliorer la contribution positive des investissements dans le temps. L’engagement et le dialogue avec les entreprises sont aussi des clés pour accompagner ces dernières dans l’amélioration de leurs pratiques ; le rôle des investisseurs prend alors tout son sens.

  • Mise à jour le : 25/10/2021

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