MiCA : les cryptoactifs soumis au règlement européen

Par : edicom

Par Philippe Glaser, avocat associé, TaylorWessing

C’est sans aucun doute un grand pas que vient de franchir l’Union européenne avec l’adoption, le 20 avril dernier, d’un nouveau règlement sur les marchés des cryptoactifs, appelé MiCA (Markets in Crypto-Assets), qui vient fixer des règles communes sur la surveillance, la protection des consommateurs et les garanties environnementales des cryptoactifs, y compris des cryptomonnaies. Il s’appliquera aux émetteurs ainsi qu’aux prestataires.

Le texte, qui a fait l’objet d’un ultime vote du Conseil des affaires économiques et financières de l’Union européenne le 16 mai dernier, a été adopté en même temps que divers amendements sur la régulation des transferts de fonds (Transfer of Funds Regulation ou TFR) qui vient, là encore, poser des règles très strictes afin de favoriser la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Ce règlement, qui complète le règlement MiCA, traite notamment des transferts des cryptoactifs, comme les bitcoins et les jetons de monnaie électronique(1).

Le règlement MiCA, issu d’une proposition du 24 septembre 2020, largement inspiré de la loi française Pacte, est sans doute le premier texte d’une telle envergure à légiférer dans un domaine dont on considérait, jusqu’alors, que seule la loi de la « jungle » prévalait. Dès l’origine, l’objectif du législateur européen a été de réglementer un marché que certains qualifiaient de véritable Far West des cryptomonnaies, où les investisseurs ne disposaient en pratique d’aucun recours sérieux face aux catastrophes, comme celle de FTX. Personne n’a en effet oublié l’accident industriel de FTX, alors deuxième plate-forme mondiale d’échange de cryptomonnaies, qui s’est effondrée en quelques jours avant d’être déclarée en faillite en novembre dernier, laissant derrière elle près de cent mille investisseurs sans recours avec des pertes évaluées à plusieurs dizaines de milliards de dollars US.

L’adoption du règlement MiCA a donc pour objectif de limiter ces situations et de réglementer un marché jusqu’alors totalement libre, le texte précisant que l’absence de règles pourrait, en outre, « considérablement entraver le développement d’un marché pour ces actifs et se traduire par des occasions manquées au niveau des services numériques innovants, des nouveaux instruments de paiement ou des nouvelles sources de financement pour les entreprises de l’Union ».

Le règlement MiCA, à la différence d’une directive, s’appliquera dans l’ensemble des Etats de l’Union européenne sans texte de transcription préalable dès juillet 2024 pour certaines dispositions (mesures relatives aux stablecoins(2)) et au plus tard en janvier 2025 pour les autres.

Dès l’adoption de ce texte, certains ont fait observer qu’il était incomplet puisqu’étaient exclus de son champ d’application les jetons non fongibles (NFT), mais aussi tous les services liés aux cryptoactifs fournis de manière totalement décentralisée, sans intermédiation, ce que l’on appelle la finance décentralisée. Certains, comme la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, ont déjà appelé à un MiCA 2.

Reste qu’en l’état, ce texte vient poser la première pierre d’un édifice structuré qui s’appliquera dans l’ensemble de l’Union européenne.

 

Le modèle français

Le législateur français avait anticipé ce règlement en instaurant le régime des prestataires de service sur actifs numériques (PSAN) avec la loi Pacte du 22 mai 2019 qui avait créé les articles L. 54-10-1 et suivants du Code monétaire et financier (CMF) en prévoyant l’obligation de l’enregistrement ou de l’agrément sur option des prestataires proposant des services d’achat ou de vente d’actifs numériques, d’exploitation d’une plate-forme de négociation ou de conseil notamment.

La loi Pacte était ainsi venue définir les deux principaux types de cryptoactifs, les cryptomonnaies et les jetons dont les définitions sont ainsi codifiées à ce jour dans notre droit. Le Code monétaire et financier définit la cryptomonnaie comme « toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».

Depuis son entrée en vigueur, soixante-quatorze PSAN ont été enregistrés sans qu’aucun n’obtienne à ce jour l’agrément prévu par les textes français. Reste que ce texte protecteur des consommateurs ne permettait pas sur le plan européen de répondre aux exigences de l’ensemble de l’Union.

 

Une réglementation européenne innovante

Le travail du législateur européen est ainsi concrétisé avec l’adoption de ce règlement qui concernera les cryptoactifs qui ne sont pas réglementés par la législation existante sur les services financiers, mais aussi les émetteurs et négociants de ces actifs. A ce stade, les jetons non fongibles (NFT) sont exclus de cette réglementation, mais la Commission européenne a d’ores et déjà été chargée d’explorer le développement de ce nouveau marché et proposera un régime spécifique à ces jetons dans un délai de dix-huit mois à compter de l’entrée en vigueur du texte. De même, les services sur cryptoactifs fournis de manière totalement décentralisée sans intermédiaire ne sont pas concernés par le règlement. Sont aussi exclus les cryptoactifs représentant des services ou des actifs corporels qui sont uniques et non fongibles, tels que les garanties des produits ou les biens immobiliers.

Le législateur français a anticipé l’entrée en vigueur du règlement MiCA en adoptant la loi du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture (dite loi DDADUE) qui précise certaines dispositions étroitement liées au règlement et en anticipant la période transitoire de dix-huit mois après l’entrée en vigueur du texte qui concernera les PSAN actuellement enregistrés.

Cette loi a institué un enregistrement renforcé – obligatoire – à compter du 1er janvier 2024 pour les services suivants : conservation d’actifs pour le compte de tiers, achat-vente contre monnaie ayant cours légal, échange d’actifs numériques et exploitation d’une plate-forme de négociations desdits actifs.

Cette même loi autorise le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures permettant d’assurer une cohérence des textes français avec le règlement MiCA.

Bien sûr, des textes européens seront adoptés afin d’appliquer ces nouvelles dispositions en suite de consultations publiques qui seront menées par l’autorité bancaire européenne (EBA) et par l’autorité européenne des marchés financiers (ESMA).

En adoptant ce texte, le Parlement européen a donné un cadre réglementaire aux cryptoactifs, aux émetteurs de ces actifs et aux prestataires de service sur cryptoactifs qui apparaissent ainsi dans le paysage européen.

 

Les principaux apports de MiCA

Le règlement MiCA crée un nouveau statut, celui de Crypto-Asset Service Provider (CASP), qui se substituera, en France, aux prestataires de service sur actifs numériques (PSAN) et dont le rôle sera déterminant. Un agrément européen sera exigé pour ces prestataires qui devront répondre à des exigences strictes en matière de gouvernance, de gestion des risques et de surveillance.

Seront soumis à cet agrément obligatoire les prestataires rendant les services suivants sur cryptoactifs : conservation et administration, exploitation d’une plate-forme, échange, exécution d’ordres, placement, réception-transmission d’ordres (RTO), fourniture de conseils, gestion de portefeuille de cryptoactifs et fourniture de services de transfert de cryptoactifs pour le compte de clients. Ce statut – PSCA en France, c’est-à-dire prestataire sur cryptoactifs – sera encadré par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF).

Point important dans ce nouveau dispositif, les CASP seront responsables en cas de pertes lors d’attaques cyber ou d’erreurs internes concernant les cryptomonnaies de leurs clients. Les abus de marché, notamment les manipulations de marché, seront, à l’avenir, eux aussi sanctionnés selon le règlement.

Autant dire que cette disposition protectrice des intérêts des investisseurs devrait générer un contentieux non négligeable. En outre, le règlement a prévu pour les acteurs du marché (émetteurs ou intermédiaires) des obligations déclaratives concernant leur empreinte environnementale et climatique. A ce titre, des normes seront élaborées par l’Autorité européenne des marchés financiers sur le contenu, les méthodes et la présentation des informations concernant les incidences environnementales. Les émetteurs de cryptoactifs, c’est-à-dire les émetteurs de jetons (ICO pour Initial Coin Offering), mais également les émetteurs de stablecoins seront aussi soumis à cette réglementation.

S’agissant de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, les prestataires de services sur cryptoactifs seront amenés à effectuer des vérifications particulièrement pointues dans le cadre des opérations de transfert. L’objectif est de pouvoir tracer les transactions et de bloquer celles considérées comme suspectes. Ainsi, la Travel Rule ou règle du voyage recommandée par le GAFI (Groupe d’action financière, organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme) est retenue afin que les informations relatives à l’initiateur de l’opération et à son bénéficiaire voyagent avec la transaction et soient conservées.

En pratique, les CASP initiateurs de l’opération devront identifier le client avec l’ensemble des informations nominatives nécessaires ainsi que le bénéficiaire du transfert de sorte que l’opacité des opérations réalisées par le biais des plates-formes devrait totalement disparaître. Ces informations nominatives seront transférées en même temps que la transaction dès qu’elles seront supérieures à 1 000 euros.

Faute d’obtenir ces informations, le prestataire ne pourra procéder au transfert des cryptoactifs. Cependant, l’ensemble des transactions entre particuliers qui ne seront pas réalisées par ces prestataires ne seront pas soumises aux obligations de vérification des donneurs d’ordre et bénéficiaires.

Bien évidemment, ce corpus de règles n’empêchera pas les fraudes, notamment d’entreprises basées en dehors de l’Union européenne. Mais ce serait un tort de minimiser l’apport d’un texte fondateur qui permettra à un marché encore peu connu du grand public de se structurer et de protéger les investissements à venir.

1. Un jeton de monnaie électronique est « un type de cryptoactif qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie officielle ».

2. Un stablecoin est défini comme « un type de cryptoactif qui n’est pas un jeton de monnaie électronique et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à une autre valeur ou un autre droit ou à une combinaison de ceux-ci, y compris une ou plusieurs monnaies officielles ».

 

Un écosystème régulé et classifié

Le règlement MiCA classe les cryptoactifs «en trois types d’actifs. Le premier type comprend des cryptoactifs qui visent à stabiliser leur valeur en se référant à une seule monnaie officielle. La fonction de ces cryptoactifs est très semblable à celle de la monnaie électronique, telle qu’elle est définie dans la directive 2009/110/CE. A l’instar de la monnaie électronique, ces cryptoactifs constituent des substituts électroniques des pièces et des billets de banque et sont susceptibles d’être utilisés pour effectuer des paiements. Ces cryptoactifs devraient être définis dans le présent règlement comme des “jetons de monnaie électronique”. Le second type de cryptoactifs concerne les “jetons se référant à un ou des actifs”, qui visent à stabiliser leur valeur en se référant à une autre valeur ou à un autre droit, ou à une combinaison de ceux-ci, y compris une ou plusieurs monnaies officielles. Ce deuxième type couvre tous les autres cryptoactifs, autres que les jetons de monnaie électronique, dont la valeur est adossée à des actifs, afin d’éviter tout contournement et de faire en sorte que le présent règlement résiste à l’épreuve du temps. Enfin, le troisième type est constitué de cryptoactifs autres que les jetons se référant à un ou des actifs et les jetons de monnaie électronique, et englobe un large éventail de cryptoactifs, dont les jetons utilitaires ».

  • Mise à jour le : 27/06/2023

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