Eloge du capital patient

Par : edicom

Par Mathieu Vaissié, PhD, directeur de la recherche chez Ginjer AM, chercheur associé à l’EDHEC Risk Institute

Gesticuler sur les marchés est l’une des principales sources de destruction de performance. Aux investisseurs de bien mesurer leur profil de risque pour définir leur allocation stratégique, nécessairement évolutive, et maintenir leurs positions pour atteindre leurs objectifs de performance.

Le saviez-vous ? Il suffit d’enlever (comprendre ne pas être exposé) chaque année les trois meilleurs jours de Bourse seulement pour que la performance annuelle moyenne des actions européennes s’évapore complètement (les cinq meilleurs jours si l’on considère les principaux indices internationaux). Et le risque de passer à côté de ces quelques jours si importants pour les investisseurs est d’autant plus élevé qu’ils sont généralement précédés par des phases de capitulations, c’est-à-dire des journées où les investisseurs, pris de panique, sont massivement sortis des marchés (i.e., tendance baissière et en accélération, explosion de la volatilité implicite, des volumes traités sur les produits dérivés, faible discrimination, etc.).

Rien de nouveau me direz-vous. Nous savons depuis les travaux de M. Barber et T. Odean, publiés en 1999 dans la célèbre American Economic Review (“Do Investors Trade Too Much”), et dans le prestigieux Journal of Finance (“Trading is Hazardous to your Wealth: The Common Stock Investment Performance of Individual Investors”), que plus les investisseurs sont actifs, et plus ils ont tendance à détruire de la valeur, avant même de prendre en compte les frais de transactions ! De nombreuses études similaires ont depuis été menées sur une grande variété de profils d’investisseurs, y compris parmi les plus sophistiqués (e.g., Hedge Funds), et la plupart arrivent au même résultat. Les gesticulations des investisseurs (trop gourmands) sont généralement contre-productives.

Cela nous ramène à l’un des paradoxes de notre époque.

Pourquoi tant d’hyperactivité

Nous avons coutume de dire que le taux sans risque détermine le coût de l’argent. Plus fondamentalement, il nous renseigne sur le taux de préférence au présent des agents dans le système. Plus il est élevé, plus le processus de sélection des actifs doit être sélectif pour espérer générer un excès de rendement, et surtout, plus le point d’attention des investisseurs doit se porter sur le présent. A l’inverse, plus le taux sans risque est faible, plus l’investisseur peut allouer du capital à des projets dont le potentiel est hypothétique ; plus il aura la possibilité de se projeter dans le futur et valoriser le « goodwill ». Nous sommes aujourd’hui dans une situation extrême, puisque les taux sont nuls… voire négatifs !

Et pourtant, jamais les investisseurs, qu’ils soient particuliers ou institutionnels, ne semblent avoir eu autant besoin de se prémunir contre les affres de l’incertitude, privilégiant de façon ostensible des produits peu volatils (au risque de s’exposer à des risques extrêmes par nature moins visibles, comme la liquidité) avec un retour sur investissement sinon immédiat du moins suffisamment rapide (et si possible assorti d’une garantie) pour ne pas laisser le doute s’immiscer.

Conséquence directe : jamais les investisseurs, y compris ceux qui sont censés avoir des passifs très longs, ne semblent avoir eu des horizons d’investissement aussi courts. A titre indicatif, la durée de détention moyenne des actions cotées sur le NYSE est passée de huit ans dans les années soixante, à seulement huit mois aujourd’hui…

Certes, il y a des raisons à cette hyperactivité que la théorie classique qualifierait de rationnelles, comme des besoins éventuels de liquidités, ou le cas échéant, des techniques d’optimisation fiscale (e.g., cristalliser des moins-values latentes en fin d’année pour compenser des gains réalisés par ailleurs). Si les transactions sont réalisées dans le cadre d’une relation d’agence (e.g., client/gestionnaire de fonds), il peut également y avoir des pratiques dites de « window-dressing » (e.g., habillage de portefeuille en fin de trimestre), ou plus généralement, la volonté de la part de l’agent (i.e., gestionnaire de fonds) d’envoyer un signal (ndla : « tu s’occupes de rien, je s’occupe de tout ! ») au principal (i.e., client).

Plus obscure, l’agent peut avoir intérêt à traiter le plus d’ordres possibles, pour maximiser les commissions dites de mouvements (i.e., les frais qu’il prélève à chaque opération)… Mais, il y a surtout des raisons qui ont trait aux biais cognitifs et comportementaux popularisés par les prix Nobel D. Kahneman (2002), R. Shiller (2013) ou encore R. Thaler (2017). On peut notamment citer le biais d’excès de confiance et ses nombreuses manifestations (e.g., surestimation de soi, excès de précision, illusion de contrôle), ou encore l’effet de disposition, l’effet de cascade, etc. C’est d’ailleurs sur ces différents biais que jouent les plates-formes de trading dites de « nouvelle génération », pour déchaîner les « esprits animaux » des investisseurs.

Contrairement à ce que pourrait le laisser penser la théorie financière, les primes de risques ne délivrent pas de la performance aux investisseurs de façon uniforme dans le temps. Couper son exposition aux actifs risqués sur quelques jours seulement peut, comme nous l’avons vu plus haut, avoir un impact disproportionné sur la performance globale du portefeuille.

Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui, avec le rôle croissant joué, dans les marchés de capitaux modernes, par les produits synthétiques (e.g., Futures, options, CDS, ETFs, etc.) et autres stratégies modélisées (e.g., Vol Cap, Vol Target, Risk Parity, produits structurés, etc.).

D’où la nécessité pour les investisseurs, qui cherchent à se prémunir contre l’effet dit des « portes de saloon », d’intégrer dans leurs cadres analytiques ces nouvelles forces mécaniques qui polluent chaque jour un peu plus les marchés financiers, et que nous appelons, chez Ginjer, les interactions, du fait des liens qu’elles créent entre les différents actifs. Ce faisant, il devient possible, malgré le chant incessant des sirènes, de tenir dans la durée des positions, même lorsqu’elles sont non-consensuelles.

Et, comme l’ont montré M. Cremers et A. Pareek dans leur article intitulé “Patient Capital Outperformance: The Investment Skill of High Active Share Managers who Trade Infrequently”, publié dans le très prisé Journal of Financial Economics, pour générer une performance supérieure à celle du marché, il faut non seulement s’en écarter (i.e., niveau élevé d’Active Share car, sans surprise, si l’on détient les mêmes positions que les autres, on obtient les mêmes performances…), mais aussi et surtout, tenir les positions dans la durée (i.e., tout vient à point à qui sait attendre).

Déterminer son profil de risque

La décision la plus importante pour un investisseur, celle dont dépendra en grande partie le comportement de son portefeuille, consiste à déterminer sa capacité à prendre des risques, et donc à s’exposer de façon plus ou moins significative au marché.

Quel budget de risque ? Nous savons, en effet, depuis 1991, et l’article de C. Hensel, D. Ezra et J. Ilkiw, publié dans le Financial Analysts Journal (“The Importance of the Asset Allocation Decision”), que cette décision est plus importante encore que celle de l’allocation stratégique. Dans une étude plus récente, datée de 2010, toujours publiée dans le Financial Analysts Journal (“The Equal Importance of Asset Allocation and Active Management”), J. Xiong, R. Ibbotson, T. Idzorek et P. Cheng ont montré que le choix de s’exposer au marché explique, en moyenne, 80 % du comportement du portefeuille d’un investisseur.

Quelle volatilité, en particulier à la baisse (i.e., « downside deviation »), quelle perte maximale (i.e., « Value-at-Risk »), quelle distance maximale entre pics et creux (i.e., « drawdown »), quelle durée de recouvrement après un creux, etc., l’investisseur est-il prêt à accepter ?

Cette première étape définit en quelque sorte le profil rendement-risque auquel peut s’attendre sur le long-terme un investisseur « non-informé ». Le numérateur (i.e., la performance) est le plus souvent estimé en calculant la moyenne arithmétique des rendements historiques des différents indices représentatifs de l’univers d’investissement de l’investisseur, que l’on aura bien évidemment pris soin de diluer de telle sorte à ce que le niveau de risque soit cohérent avec celui accepté par l’investisseur (i.e., le dénominateur).         

Une allocation stratégique évolutive

La deuxième décision la plus importante pour un investisseur, est bien évidemment celle de l’allocation stratégique. Le cap à suivre.

Notons, à ce titre, que du fait de la complexité des marchés de capitaux modernes, l’allocation stratégique ne peut plus se limiter à un simple programme, c’est-à-dire à des niveaux prédéfinis d’exposition(s) aux différentes classes d’actifs (que lesdites expositions soient fixes ou conditionnées au régime de marché), qu’il faudrait appliquer, coûte que coûte. Surtout si les paramètres utilisés pour obtenir ces poids « stratégiques » sont calibrés sur des données historiques. Cela reviendrait à accepter de prendre place à bord d’une voiture qui évoluerait tambour battant sur une route de montagne, et dont le chauffeur aurait les yeux rivés sur le rétroviseur. Sensations fortes garanties !

E. Morin l’explique lorsqu’il évoque son « écologie de l’action » sous incertitude, « la stratégie s’oppose au programme ». Elle intègre la complexité de l’environnement et suppose l’aléa, le hasard ; elle est consciente des dérives et des transformations que peut connaître l’écosystème. Le programme, à l’inverse, n’oblige pas à être vigilant, à innover. Et E. Morin d’ajouter que dans un monde en perpétuelle évolution, « une vision simplifiée, statique, linéaire, a toutes les chances d’être mutilante ». L’allocation stratégique ne peut donc en aucun cas être figée dans le temps.

Ceci étant dit, nous l’avons déjà évoqué, gesticuler nuit gravement à la performance. Il ne s’agit donc clairement pas d’abandonner toute structure dans le processus d’investissement et de se laisser porter par les flots. Non, le bruit quotidien ne saurait en aucun cas être un bon guide pour nous amener à bon port. Il s’agit, au contraire, de définir ce que E. Morin appelle des « fragments d’actions programmées », dont l’objectif est de maximiser ses chances d’atteindre ses objectifs de long-terme, étant donné les informations disponibles à la date T, et de permettre à l’investisseur de se concentrer sur le plus important : l’inattendu. L’idée n’étant pas, à ce stade, pour l’investisseur de prédire l’avenir (i.e., « forecasting »), mais bien d’observer activement ce qui se passe aujourd’hui (i.e., « nowcasting »).

L’allocation stratégique se doit, par conséquent, d’être flexible, mais seulement par morceaux. Elle doit pouvoir s’adapter si la structure du marché change de façon significative ; mais tenir le cap tant qu’il ne s’agit que de simples soubresauts. Et cette adaptation doit être le fruit de l’un de ces « fragments d’actions programmées » mentionnés précédemment, sauf à ce qu’une nouvelle information pertinente vienne à la connaissance de l’investisseur, qui devrait alors intervenir, à la manière du système 2 lorsqu’il ne parvient pas à donner du sens à une décision prise par le système 1 (pour plus de détails sur la façon dont notre cerveau opère, se référer au best-seller de D. Kahneman : « Système 1/Système 2 : Les deux vitesses de la pensée »).

Le voyage ne peut être un long fleuve tranquille, mais les mouvements à la baisse sont tellement brutaux dans les marchés de capitaux modernes, et les rebonds qui suivent tellement rapides (2016 et 2020 en sont deux très bons exemples), que les investisseurs qui ne peuvent tenir le cap dans la tempête cristallisent une bonne partie des pertes et passent ensuite à côté d’une bonne partie des gains ; ce qui, au-delà de la question de cohérence et donc de lisibilité de la gestion, pose un problème évident de performance dans la durée.

Notons que certains investisseurs ont pu atténuer les remous des marchés en désensibilisant leurs portefeuilles ; ils commencent à prendre la pleine mesure du coût d’opportunité qu’implique une telle décision en voyant, depuis le quai, le train quitter la gare. D’autres ont également pu masquer la volatilité des actifs cotés en se reportant sur des actifs non côtés (e.g., Private Equity, Private Debt, infrastructure).

Les déboires des dizaines de fonds qui ont dû geler la liquidité de leurs fonds et/ou créer des « side pockets » en 2019 et 2020 ont montré qu’il ne s’agissait pas d’un « repas gratuit » (ce fameux « free lunch »).

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, comme le disait A. Lavoisier. Cela vaut d’ailleurs aussi pour les structures plus complexes, comme les produits structurés qui, s’ils adressent certains biais cognitifs ayant généralement tendance à freiner la prise de risque (e.g., aversion à la perte, aversion à l’incertitude, etc.), ne font pas plus disparaître les risques que les alchimistes ne transforment le plomb en or.

Non. Il n’y a pas de secret. Pas de formule magique. Pas de martingale, si ce n’est peut-être la patience, comme le suggère W. Buffett dans l’une de ses citations les plus connues : « The stock market is a device for transferring money from the impatient to the patient ». Le plus grand atout pour un investisseur semble en effet être de pouvoir se projeter dans la durée, quand tous les autres se perdent dans l’instantanéité.

Chi va piano, va sano e va lontano.

 

Un fonds qui vient de fêter son 10e anniversaire

Ginjer Actifs 360 est l’unique stratégie de Ginjer AM. Fonds européen diversifié flexible, l’exposition agrégée du fonds Ginjer Actifs 360 aux actions européennes est ainsi passée progressivement de 0 % à son lancement, en novembre 2011, à près de 90 % aujourd’hui. Et la part des titres vifs au sein de la poche actions a, petit à petit, été portée de 0 à 100 % actuellement. L’ambition de dissocier la peur du risque a été confrontée aux évènements de marchés de la dernière décennie, comme le Brexit, Trump, les craintes sur la croissance chinoise ou encore la pandémie. Pour le moment, l’analyse des risques de Ginjer a toujours permis de garder un cap, avec toute la cohérence et la transparence qui caractérisent la société qui fête ses dix ans cette année. Acheter de la volatilité dans un univers de taux bas administrés aura été très rémunérateur et aura permis au fonds Ginjer Actifs 360 de figurer en tête des classements sur toutes les périodes.

  • Mise à jour le : 24/01/2022

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