Apport d’usufruit temporaire à une société à l’IS pour neutraliser des revenus fonciers : abus or not abus ?

Par : edicom

Extrait de Fidnet, la solution digitale d'Harvest

L’apport de l’usufruit de parts de SCI à une « société d’usufruit » à l’IS est délicat en l’absence d’activité économique de la société usufruitière (CAA Lyon, 9 février 2023).

Ce qu'il faut retenir

Lorsqu’on cède un usufruit temporaire à une société à l’IS aux fins de neutraliser des revenus fonciers, il faut que cette société exerce une réelle activité économique et ne soit pas une simple « coquille usufruitière ». Cette société doit avoir une « substance » économique réelle ; à défaut, le schéma peut être requalifié sur le terrain de l’abus de droit.
CAA Lyon, 9 février2023, n° 21LY01699

Avis Fidroit : Si la cession d’usufruit d'immeubles (ou de parts d’une SCI qui détient ces mêmes immeubles) à la société d’exploitation qui les utilise permet d’apporter une série d’arguments pour justifier l’opération, la cession d’immeubles de placement ou d’immeubles d’habitation à des sociétés IS créées pour l’occasion apparaît plus critiquable et plus fragile. Objectivement, les cessions d’usufruit temporaire sont des solutions « fiscalement » sensibles. La réforme de l’article 13, 5° du CGI applicable depuis le 14 novembre 2012 visait spécifiquement à les rendre inefficaces, en imposant le prix de cession en revenus fonciers. Les cessions d’usufruit à durée fixe sur des parts de SCI endettées visent à contourner les contraintes du 13, 5°. Il faut donc être vigilant pour en sécuriser autant que faire se peut les paramètres, notamment les modalités de valorisation de cet usufruit temporaire et la nature de la société usufruitière. 

Conséquences pratiques

La caractérisation de l'abus de droit

L’apport (ou la vente) de l’usufruit de biens immobiliers ou de parts sociales de SCI à l’IR à une société à l’IS pour atténuer l’imposition personnelle des associés atteint ses limites au regard de l'abus de droit.

Remarque : Le schéma remis en cause porte sur la cession (vente ou apport) de l’usufruit de parts d’une SCI à l’IR à une société à l’IS, laissant les associés nus-propriétaires des parts de cette SCI. L’idée est d’être provisoirement imposés à l’IS (pendant la durée de l’usufruit à durée fixe) et à l’extinction de ce même usufruit de revenir au régime des plus-values immobilières des particuliers, pour les associés alors pleins propriétaires des parts sociales. Dans l’intervalle, la société usufruitière des parts sociales de la SCI est imposable sur les résultats de la SCI, selon les règles applicables en matière d’IS (déduction des charges, amortissements…) et non selon les règles d’imposition des revenus fonciers. CGI art. 238 bis K
Au terme du démembrement temporaire, les associés nus-propriétaires récupèrent la pleine propriété des parts sociales sans imposition. Ils bénéficient du régime des plus-values immobilières des particuliers en cas de cession des parts de la SCI, avec une durée de détention depuis la création de la société. Idem en cas de cession de l’immeuble détenu par la SCI depuis l’origine.

Cet arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon illustre la fragilité des « sociétés d’usufruit », constituées spécifiquement pour ces opérations de démembrement. 

En l’absence de substance économique, l’administration se réserve le droit de requalifier l’opération sur le terrain de l’abus de droit en démontrant notamment son caractère artificiel et fictif, ayant comme but principal ou exclusif celui d’atténuer la charge fiscale des associés (échapper à la fiscalité des revenus fonciers).

Enjeux de la requalification

La qualification en abus de droit (outre les pénalités de 40 ou 80 %) permet à l’administration fiscale d’opérer des redressements sur deux plans.

L'imposition des revenus perçus par la société à l'IS

Dans le cas où la fictivité de l’opération est caractérisée, les revenus non perçus par les nus-propriétaires font l’objet d’un redressement. Ils sont alors rétroactivement imposés à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux au titre des revenus fonciers (avec pénalités de retard voire majoration).

La réintégration des biens immobiliers dans l'assiette IFI ?

Lorsque la société à l’IS est usufruitière des parts de la SCI à l’IR (et la personne physique nue-propriétaire de ces mêmes parts), l’associé n’est imposable que sur la valeur des parts de la société à l’IS qu’il détient, valorisées en fonction de la valeur vénale de l’usufruit. En cas de requalification, il se retrouvera taxable à l’IFI sur la pleine propriété des parts de la SCI.

Notez que lorsque des usufruitiers constituent des sociétés d'usufruit et se retrouvent ainsi taxés à l’IFI sur la valeur des parts représentatives du seul usufruit, ils sont d’ores et déjà dans le giron de l’abus de droit selon le BOFiP.
BOI-PAT-IFI-20-20-30-10 § 270

Remarque : Lorsqu’un immeuble est détenu en démembrement de sorte que la société à l’IS est usufruitière de l’immeuble directement et que la nue-propriété de l’immeuble est détenue par la SCI à l’IR dont les associés personnes physiques sont pleins propriétaires, les associés sont imposés sur la valeur en pleine propriété de l’immeuble.

Les précautions à prendre

Afin de limiter le risque d’abus de droit fiscal, il est préférable de limiter ces opérations aux parts de SCI détenant un immeuble d’exploitation et de céder l’usufruit au profit de la société qui utilise cet actif ; cette société est par définition pourvue d’une substance économique.

A défaut d’immeuble d’exploitation, il faut intégrer les éléments suivants :

- la société usufruitière doit avoir une substance qui puisse se démontrer par d’autres opérations significatives ;

- elle doit régulièrement tenir ses assemblées générales, sa comptabilité, disposer d’une trésorerie, d’un compte bancaire, etc. ;

- elle doit répondre à des préoccupations familiales ou patrimoniales (donation-partage à venir par exemple) ;

- le capital de la société usufruitière doit être détenu par des associés significativement différents des nus-propriétaires.

Séance du comité de l'abus de droit du 12 mai 2016
Séance du comité de l'abus de droit du 23 juin 2016

Pour aller plus loin

Contexte

Pour rappel, l’abus de droit à but exclusivement fiscal se caractérise par la fictivité de l’opération réalisée ou par son motif qui ne peut être que d’éluder ou d’atténuer la charge fiscale de celui qui l’a mise en place.
LPF art. L. 64 al. 1

L’abus de droit à but principalement fiscal (mini-abus de droit) est caractérisé quant à lui par la réalisation d’une opération guidée par le motif principal d’éluder ou d’atténuer la charge fiscale de celui qui l’a mise en place.
LPF art. L. 64 A al. 1

La décision de la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit dans la lignée d’autres affaires sur lesquelles s’était précédemment positionné le comité d’abus de droit fiscal pour caractériser des sociétés dépourvues de substance économique (en 2015 et 2016).

Faits et procédure

Les associés d’une SCI à l’IR font apport de l’usufruit temporaire de leurs parts sociales à une société civile à l’IS pour une durée de 10 ans. L’administration a considéré que l’opération « consistait en l’interposition d’une société dépourvue de consistance économique » poursuivant un but exclusivement fiscal : celui d’échapper à l’imposition des revenus fonciers entre les mains des associés. 

L’administration qualifie l’apport de "montage juridique et économique artificiel". Pour démontrer l’absence de substance économique de la SC à l’IS, l’administration relève :

- que la société n’a réalisé aucune transaction financière depuis sa création, alors que son objet social est la gestion d’un portefeuille de participations incluant toute opération financière ;

- que la simple production d’attestations afin de démontrer que des recherches d’investissement ont été menées bien qu’elles n’aient pas abouti ne suffit pas à démontrer l’intention d’exercer une réelle activité de gestion, quand ces attestations ne permettent pas d’établir avec certitude que les négociations ont été entamées pour le compte de la SC à l’IS et ne sont pas suffisamment circonstanciées ;

- que la société ne disposait pas de compte bancaire ;

- et qu’aucune comptabilité ni assemblée générale n’avait été tenue depuis la création de la société.

Arrêt

La cour administrative d’appel de Lyon s’aligne sur la décision de l’administration fiscale et confirme l’abus de droit dans la mesure où la société créée est dépourvue de substance économique et que sa création ne répond pas à un motif économique, financier ou patrimonial. 

Analyse

Le schéma d’apport d’un droit en usufruit à une société à l’IS afin de bénéficier d’un régime fiscal plus favorable durant le démembrement de propriété avait connu un premier frein lors de la création du 5° de l’article 13 du code général des impôts en novembre 2012. En effet, l’article 13, 5 ° du CGI prévoit que la première cession à titre onéreux (vente ou apport) d’un droit d’usufruit temporaire est imposée comme un revenu (et non comme une plus-value), ce qui a généralement pour conséquence d’alourdir la taxation. Au vu de l’homogénéité des décisions rendues sur des schémas mis en place par constitution d’une société à l’IS « artificielle », souvent constituée concomitamment au démembrement de propriété, il semblerait que l’étau se resserre autour de ces opérations poursuivant un objectif principalement, voire exclusivement fiscal. Si ces schémas d’apport se multiplient, l’ultime recours du législateur ne serait-il pas de taxer la réunion de l’usufruit à durée fixe et de la nue-propriété entre les mains des associés ?

  • Mise à jour le : 21/04/2023

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