Bruno Chrétien (IPS) : « Nous assistons à une tentative de nationalisation de la protection sociale »
L’Institut de la protection sociale a dressé le bilan de la politique sociale menée sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Interview de Bruno Chrétien, président de l’IPS.
Profession CGP : Quel bilan pouvez-vous tirer du quinquennat d’Emmanuel Macron en matière de retraite et de protection sociale ?
Bruno Chrétien : Si l’on revient sur les promesses de campagne, il y a un certain nombre de réformes qui ont été menées et d’autres non. Parmi les faits marquants et qui vont dans le bon sens, nous trouvons notamment la mise en place de la loi Pacte, un texte bien ficelé et plutôt malin. D’autres promesses de campagne ont été mises en œuvre de façon positive, comme la réduction du coût du travail via un allégement de cotisations patronales sur les bas salaires, l’amélioration du pouvoir d’achat de tous les travailleurs via la suppression de la part salariale de la cotisation maladie qui a été compensée par une hausse de la CSG, l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires ou encore l’augmentation du minimum vieillesse de cent euros par mois… A l’inverse, le président Macron n’a pas enclenché sa réforme des retraites et le report de l’âge de départ, ce qui étaient pourtant des engagements phares de son programme. Mais globalement, nous avons assisté à une tentative de nationalisation de la protection sociale des Français, progressive, selon la technique du grignotage, dans la lignée de la philosophie qu’avait développée Alain Juppé en 1995. L’objectif de cette nationalisation étant de permettre à l’Etat de centraliser le pilotage de toutes ces activités. Ce mouvement est d’ailleurs paradoxal, quand on sait l’image plutôt libérale qu’ont les Français d’Emmanuel Macron.
Pourriez-vous nous donner quelques exemples de ce mouvement de fond ?
Les plus beaux exemples en sont le projet de grande Sécurité sociale, dont le nom séduisant masque l’étatisation quasi complète de l’assurance-maladie, et le projet de retraite universelle écartant les partenaires sociaux dans la gestion des régimes de retraite. Un autre exemple, effectif celui-ci, est le transfert du pilotage de l’assurance-chômage aux services de l’Etat. On peut également citer la réforme des indemnités journalières des professions libérales qui leur permet d’en bénéficier pendant les quatre-vingt-dix premiers jours d’arrêt de travail. Or, sa gestion est assurée par les Urssaf et la CNAM, et retire ainsi des marges de manœuvre aux caisses professionnelles. Rappelons que cette mesure a été mise en place dans la précipitation et qu’il reste encore à parfaire, tant le dispositif est complexe techniquement. Car ce dernier participe à un regroupement à venir des caisses professionnelles au sein du régime général piloté par l’Etat.
Peut-on se féliciter de ce « plus d’Etat » ?
L’Institut de la protection sociale ne le pense pas. Nous avons affaire à un Etat le plus souvent défaillant. Par exemple, on constate que le secteur médical est en pleine crise ; et que dire de la gestion calamiteuse de l’approvisionnement en masques au début de la crise sanitaire… Pourquoi mettre encore plus d’Etat alors qu’il échoue dans de nombreux domaines ? A l’IPS, nous nous interrogeons également sur le caractère démocratique de ces réformes. En effet, les partenaires sociaux sont souvent et de plus en plus écartés des débats, alors que la combinaison des approches est toujours une bonne chose. Comme l’analysait Montesquieu, c’est le partage du pouvoir qui fait l’équilibre. Il existe également un risque en termes de sécurité. Par exemple, transférer le versement des cotisations à un seul organisme fragilise notre modèle en cas de cyberattaque d’un hacker ou d’un Etat mafieux. En termes d’égalité entre citoyens, on peut également s’interroger. Par exemple, pour les non-cadres, beaucoup moins couverts que les cadres, avec un écart qui peut aller d’un à quatre ! Nous sommes ici pleinement dans un sujet de protection sociale, et ce décalage de traitement n’est justifié d’aucune façon.
Pour quelles raisons les pouvoirs et régimes ont-ils été concentrés ?
La première est administrative : gérer un régime plutôt que plusieurs dizaines est plus simple pour la direction de la Sécurité sociale. Et les membres de l’administration considèrent qu’ils savent mieux faire que les autres… La seconde raison est politique : malheureusement la protection sociale est le désert du politique qui confie cette mission à l’administration… Il existe également une défiance, propre à notre culture, entre les acteurs du privé et du public.
La mise en place de la retraite universelle semble bien complexe…
Tout à fait. Dans son programme de campagne, Emmanuel Macron souhaitait « mettre fin aux injustices de notre système de retraite », tout en y intégrant les régimes complémentaires. Il s’agit d’ailleurs d’une vieille idée portée par la direction de la Sécurité sociale. Portée par Jean-Paul Delevoye, la réforme n’a finalement pas été mise en place. Face à la contestation du secteur public et des professions libérales, un texte mal ficelé a été présenté, avec notamment de nombreuses mesures techniques sans le moindre chiffrage ce qui, outre les grèves nationales, a fini de discréditer le texte. Malgré l’adoption de la loi via le 49.3, le premier confinement a fini par stopper la réforme. Bien que le président Macron souhaite relancer cette réforme, elle ne sera pas mise en œuvre sous ce quinquennat.
En revanche, la loi Pacte est une franche réussite…
Tout à fait, elle a apporté d’importants changements sur l’épargne-retraite et l’épargne salariale, avec une mesure phare : la possibilité de récupérer son épargne sous la forme d’un capital et plus uniquement sous la forme d’une rente viagère. Si le dispositif est complexe, avec plusieurs compartiments par exemple, il est désormais plus cohérent. Aujourd’hui, dans le cadre du surplus d’épargne accumulé par les Français, le PER est un vrai succès commercial, aussi bien pour les produits individuels que collectifs.
Et quel bilan tirez-vous des actions mises en place pour les travailleurs indépendants ?
Les réformes pour les indépendants s’avèrent au final en trompe-l’œil. La promesse était de simplifier la vie des entrepreneurs et la réalisation est plutôt réussie. Le RSI a purement et simplement disparu en étant absorbé par le régime général. Toutefois, les indépendants bénéficient d’une organisation dédiée limitée, et le pilotage s’opère par le conseil de protection sociale des travailleurs indépendants qui n’a guère de possibilités d’action. Leur accès à l’assurance-chômage a été mis en place également. En revanche, comme nous l’avons vu plus tôt, le dispositif des indemnités journalières des professions libérales a été créé, mais suscite de fortes interrogations. Enfin, d’ici à l’élection présidentielle, le président de la République a annoncé sa volonté de lancer son plan Indépendant, avec quelques petites mesures sur le plan de la protection sociale. Par exemple, on y trouve la création d’un statut unique et protecteur pour l’entrepreneur individuel, une protection revue pour les conjoints collaborateur ou encore la possibilité de moduler les cotisations et contributions sociales en temps réel… Un dispositif d’assurance volontaire contre le risque des accidents du travail et des maladies professionnelles, dont le taux de cotisation serait réduit de 30 %, a également été annoncé, mais a peu de sens.
Un laboratoire d’idées
Créé en juin 2011, l’Institut de la protection sociale (IPS) constitue un laboratoire et un réservoir d’idées. Son but est de promouvoir collectivement, particulièrement auprès des pouvoirs publics, les réflexions d’experts concernant la définition et la mise en œuvre d’une législation efficace au niveau des systèmes de prévoyance-retraite de la population active. Constitué principalement d’experts financiers, juridiques et fiscaux, l’IPS a pour vocation d’être un interlocuteur de premier plan au sein des débats de fond qui concernent les réformes en cours.
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