Donation de bien commun avec réserve d’usufruit : les conséquences juridiques et fiscales

Par : edicom

 Extrait de Fidnet, la solution digitale de Fidroit

Question

Quelles sont les conséquences juridiques et fiscales d’une donation de bien commun avec réserve d’usufruit ?

Réponse

Bien qu’il s’agisse d’une opération fréquente en pratique, la réserve d’usufruit prévue par les époux lors d’une donation de bien commun pose certaines difficultés juridiques et fiscales qu’il faut savoir anticiper.

Nature juridique de l’usufruit réservé 

L’usufruit que se réservent les donateurs sur un bien commun est lui-même commun. En effet, l’usufruit étant constitué par rétention sur un bien commun, il conserve cette qualification juridique.

Une difficulté survient alors : l’usufruit est un droit constitué sur la tête d’une personne or la communauté ne dispose pas de la personnalité juridique. L’usufruit est donc nécessairement constitué sur la tête des époux.

La jurisprudence retient la solution suivante : L’usufruit réservé sur un bien commun est lui-même commun, mais, après la dissolution du régime matrimonial il devient indivis. Chacun des époux détient alors un usufruit indivis constitué sur sa propre tête (C. cass. 1ère civ., 11 mai 2016, n°14-28321).

Au décès de l’un des époux :

- l’usufruit qu’il s’était réservé s’éteint. Sur cette quote-part, les donataires deviennent donc pleins propriétaires (sauf clause de réversion au profit du conjoint) ;

- Mais l’usufruit du survivant intègre l’actif de communauté. Ce qui emporte d’importantes conséquences civiles et fiscales.

Focus Société : En matière de titres sociaux, après la dissolution du régime matrimonial, chacun des époux devient titulaire pour moitié de l’usufruit de la totalité des titres sociaux et non titulaire en totalité de l’usufruit de la moitié des titres. Cette situation est susceptible d’entrainer un blocage de la vie sociale. Pour autant, pour les parts sociales non négociables (SNC, SARL et SC), la distinction du titre et de la finance pourrait être de nature à éviter les problèmes liés à la gestion de la société. En effet, la Cour de cassation énonce que « à la dissolution de la communauté, la qualité d’associé attachée à des parts sociales non négociables dépendant de celle-ci ne tombe pas dans l’indivision qui n’en recueille que la valeur, de sorte que le conjoint associé peut en disposer seul et que ces parts doivent être portées à l’actif de la communauté pour leur valeur au jour du partage ». C. cass. 1ère civ, 22 oct. 2014, n°12-29265

Remarque :
- si le bien commun est donné par un seul des époux avec l’accord de son conjoint (C. civ. art 1422) , l’usufruit réservé par ce dernier s’étendrait alors en totalité à son décès. Un usufruit successif (« réversion d’usufruit ») pourra être prévu pour assurer la protection du conjoint survivant.
- si le bien est un propre de l’époux. L’usufruit réservé est propre et s’éteint au décès de son titulaire. Un usufruit successif (« réversion d’usufruit ») pourra être prévu pour assurer la protection du conjoint survivant.​

Conséquences liquidatives

Lors du premier décès, il y a lieu de liquider la communauté et la succession du prémourant.

L’usufruit constitué sur la tête du défunt s’éteint.

L’usufruit du survivant étant un usufruit commun, il intègre l’actif de communauté et par la suite la succession (la moitié des biens communs tombant en succession).
Il en ressort, en l’absence de tout partage, que le conjoint survivant et les héritiers sont inévitablement usufruitiers indivis sur le bien.  En effet, même si le survivant opte pour la totalité en usufruit au titre de ses droits légaux (C. civ. art 757), l’usufruit du prémourant s’étant éteint pour sa part, les nus propriétaires sont en partie pleins propriétaires.

Fiscalement, la valeur de la moitié de l’usufruit (évaluée selon le barème de l’article 669 du code général des impôts en tenant compte de l’âge du survivant) doit être intégrée à l’actif de succession.
La base taxable peut donc s’en trouver augmentée.

Les solutions à mettre en place

Cette situation doit être évitée dans la mesure où l’indivision est contraignante pour le conjoint survivant (il ne dispose pas de l’intégralité du revenu ou de la jouissance, le partage peut être demandé par un des usufruitiers indivisaires – C. civ. art. 817).

De plus, le traitement fiscal de l’usufruit du conjoint survivant peut considérablement alourdir les droits de succession.

Pour éviter ces difficultés, plusieurs solutions sont envisageables.

Aménager la réserve d’usufruit et l’usufruit successif.

Il est possible de prévoir un terme extinctif à l’usufruit autre que le décès de l’usufruitier. Il peut être prévu que l’usufruit s’éteindra entièrement au premier décès des époux, tandis qu’un usufruit successif sera prévu au profit du conjoint survivant.  
L’usufruit s’éteint au décès du prémourant. Il n’intègre pas, même en partie, l’actif de communauté. La protection du survivant est assurée par l’usufruit successif qui prendra effet à cette même date.
Attention : Ni la loi, ni le BOFiP ne prévoient les modalités fiscales d’une telle donation. Une incertitude existe donc quant à l’assiette à retenir pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit. Par prudence, lors de la donation, il conviendrait d’évaluer l’usufruit en fonction de l’âge du plus âgé des deux époux, l’usufruit s’éteignant au décès du prémourant… Cela aurait pour effet de majorer dans un premier temps le coût de la donation, mais la restitution des droits pourrait être demandée au jour de l’ouverture de l’usufruit successif.
Pour rappel : la nue-propriété est évaluée, pour le calcul des droits, en tenant compte des seuls usufruits ouverts lors de la donation. L’administration prévoit qu’en cas d’usufruit conjoint sans stipulation de parts, on partage fictivement le bien et on applique le barème de l’article 669 du code général des impôts en fonction de l’âge de chacun des usufruitiers. BOI-ENR-DMTG-10-40-10-50 § 50
Dans un second temps, lorsque l’usufruit successif s’ouvre, le nu-propriétaire peut demander le remboursement de l’excédent de droits, comme si l'usufruitier successif avait été usufruitier dès l'acte de donation de la nue-propriété (CGI. art. 1965 B). BOI-DMTG-10-40-10-50 § 60  

Mettre en place un avantage matrimonial

Certains avantages matrimoniaux permettront au survivant de prélever ou de se voir attribuer l’usufruit commun. On peut envisager la mise en place d’un préciput portant sur l’usufruit réservé, une clause de partage inégal portant sur l’usufruit ou encore une clause d’attribution intégrale… Ces avantages matrimoniaux devront être accompagnés de la constitution d’un usufruit successif afin que le survivant bénéficie de la totalité de l’usufruit.

Références

C. cass. 1ère civ., 11 mai 2016, n°14-28321

C. civ. art. 617

C. civ. art. 817

CGI art. 669

  • Mise à jour le : 07/02/2020

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