Arrêt Quémener : tous les résultats non distribués doivent être rajoutés pour calculer le prix de revient des titres (Expertise Fidroit)

Par : edicom

Par Fidroit

Il doit être tenu compte de la plus-value exonérée réalisée par la société.

Ce qu’il faut retenir

Pour calculer la plus-value lors d’une cession de parts de sociétés non soumises à l’IS, le prix de revient doit être majoré des bénéfices imposés et minoré des bénéfices distribués. (CE 16 février 2000 n° 133296, SA Établissements Quémener). Une plus-value immobilière réalisée au sein de la société, même exonérée, doit être ajoutée à ce prix de revient. 

En effet, on doit aussi tenir compte des bénéfices non imposés en application d’un avantage fiscal définitif. Tel est le cas de la plus-value immobilière, totalement exonérée en raison des abattements pour durée de détention.
CE, 8 novembre 2017 n°389990

Remarque : l’arrêt Quémener fonctionne dans les deux sens : si la société réalise une perte non comblée par l’associé, alors cette perte diminue le prix de revient des titres de la société.

Conséquences pratiques

Les résultats (revenus et plus-values) constatés par la société et exonérés en application d’un dispositif fiscal de faveur viennent réduire la plus-value imposable à l’occasion de la cession des titres. L’associé cédant conserve donc l’avantage fiscal dont il a bénéficié lors de la cession des actifs sociaux.

Cette règle vise l’ensemble des associés de sociétés non soumises à l’IS, que la cession des titres relève du régime des plus-values professionnelles (CGI, art. 151 nonies) ou des plus-values privées (plus-values de cession de valeurs mobilières ou plus-values immobilières des particuliers). Elle est également transposable aux associés personnes morales relevant de l’IS. 

La décision du Conseil d’Etat, rendue en application d’une disposition abrogée, ne donne toutefois aucune précision quant aux dispositifs concernés. A notre avis, la qualification de « disposition par laquelle la loi accorde un avantage fiscal définitif », qui conditionne l’application du mécanisme tiré de la jurisprudence Quémener, devrait pouvoir être étendue aux exonérations des articles 151 septies, 151 septies B, 238 quindecies, mais également les différents abattements et exonérations applicables aux plus-values privées (CGI, art. 150 VC, 150 U, et 150-0 D ter notamment). Devraient également être concernés les exonérations portant sur les revenus des entreprises situées dans certaines zones (CGI, art. 44 quindecies, 44 octies A, 44 duodecies, pour les ZRR, les ZFU, et les BER).

Notons que l’administration prévoit déjà un tempérament en ce sens pour les articles 151 septies et 238 quindecies du CGI dont le contribuable peut utilement se prévaloir (BOI-BIC-PVMV-40-10-10-30 § 40 et BOI-BIC-PVMV-40-20-50 § 410).

Avis Fidroit : Lorsque les circonstances s’y prêtent, on pourra envisager de céder en priorité les actifs de la société, si ces derniers peuvent bénéficier d’un dispositif de faveur exonérant tout ou partie de la plus-value. Cette exonération sera répercutée, de façon indirecte, pour l’imposition de la plus-value constatée sur les titres. La liquidation de la société ou une réduction de capital, pourra être effectuée dans un second temps.
Compte tenu de cette nouvelle jurisprudence, les contribuables ayant cédé des titres de sociétés non soumises à l’IS pourront demander par voie de réclamation à tenir compte des revenus exonérés pour le calcul de la plus-value (dans le respect des délais légaux). 

Pour aller plus loin

Contexte

La particularité des sociétés non soumises à l’IS réside dans l’imposition des bénéfices au nom des associés quelle que soit l’affectation des résultats (distribution ou mise en réserve). En l’absence de distribution de bénéfices, un risque de double imposition des associés pourrait donc se présenter lors de la cession des parts.
Pour éviter de telles conséquences, un mécanisme de correction d’origine jurisprudentiel a été mis en place. Celui-ci consiste à retenir comme prix de revient des titres pour le calcul de la plus-value, leur valeur d’acquisition :

- majorée de la quote-part des bénéfices de la société de personnes revenant à l’associé et imposés entre ses mains et des pertes comblées par l’associé ;

- et diminuée des déficits que l’associé a déduits, à l'exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal définitif, et des bénéfices ayant donné lieu à une distribution au profit de l’associé.

Cette règle, d’abord posée par la jurisprudence Quémener pour le calcul d’une plus-value de cession de parts réalisée par un associé dans un cadre professionnel (CE, 16 février 2000, n° 133296), a par la suite été étendue par la jurisprudence Baradé aux plus-values privées, constatées notamment à l’occasion de la cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière (CE, 9 mars 2005, n° 248825).

Ce mécanisme vise l’imposition des plus-values de cession de titres de sociétés non soumises à l’IS, quelle qu’en soit la forme, dès lors qu’elles bénéficient du régime des sociétés de personnes de plein droit ou sur option.

Le fait générateur d’imposition peut résulter de la cession des titres, de la cessation d’activité de l’associé, ou de leur annulation, à l’occasion d’une dissolution avec ou sans liquidation (BOI-BIC-PVMV-40-30-20 § 20 et § 90).

La majoration du prix de revient des bénéfices non distribués suppose, en principe, une imposition « effective » de ceux-ci entre les mains de l’associé. Cette précision, rappelée à plusieurs reprises par les juges, peut être source de difficultés face à la diversité des situations juridiques et de leur traitement fiscal.

Certaines situations ont déjà fait l’objet de contentieux, permettant ainsi d’en préciser le régime :

- la jurisprudence a notamment indiqué qu’il n’y avait pas lieu de majorer le prix de revient des titres des revenus non imposés en France en application des conventions fiscales (CE 6 juillet 2016 n°377904) ;

- il convient à l’inverse de tenir compte des plus-values placées en report d’imposition, même en l’absence d’imposition effective antérieure à la cession des titres (CAA de Nantes, 12 Octobre 2009, N° 08NT03112).

S’agissant des revenus et plus-values constatées mais non imposées en application de dispositifs d’exonération, la Cour administrative d’appel de Nancy avait estimé que « pour déterminer le montant de la plus-value réalisée lors de la cession de parts d'une société immobilière translucide, il n'y a pas lieu de majorer le prix d'acquisition des parts de la plus-value immobilière réalisée par la société dès lors que celle-ci n'a pas été imposée compte tenu de la durée de détention du bien ». (CAA Nancy 5 mars 2015, n° 14NC00122).

Le contribuable risquait donc de se trouver pénalisé en cas de cession ou de dissolution d’une société non soumise à l’IS consécutive à la constatation de revenus exonérés par la société.

Seuls les tempéraments administratifs intégrés au BOFiP s’agissant des articles 151 septies et 238 quindecies pouvaient lui permettre de se prévaloir du mécanisme correcteur issu de la jurisprudence Quémener.

La décision du Conseil d’Etat du 8 novembre 2017, se prononçant sur la même affaire, retient une position différente.

Faits et procédure

L’associé d’une SCI non soumise à l’IS a demandé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2004 en tant qu'elles proviennent de l'imposition de la plus-value résultant de la dissolution de la société, ainsi que des pénalités correspondantes. 

La demande ayant été rejetée en première instance, un appel a été formé devant la Cour administrative de Nancy, laquelle a annulé le jugement et déchargé le contribuable des suppléments d'impôt en litige. 

L’affaire a fait l’objet d’un premier puis d’un second pourvoi après qu’elle ait fait l’objet d’un renvoi devant la Cour de Nancy.

Arrêt

Le Conseil d’Etat confirme dans un premier temps l’applicabilité de la jurisprudence Quémener au cas des plus-values de cession de titres de société à prépondérance immobilière, puis complète le célèbre « considérant », de la notion de « disposition par laquelle la loi accorde un avantage fiscal définitif » par symétrie avec les déficits : 
« Dans le cas où un associé cède les parts qu'il détient dans une société ou un groupement relevant ou ayant relevé de l'un des régimes prévus aux articles 8, 8 ter, 239 quater B ou 239 quater C du code général des impôts, le résultat de cette opération doit être calculé, pour assurer la neutralité de l'application de la loi fiscale compte tenu du régime spécifique de ces sociétés, en retenant, comme prix d'acquisition de ces parts, leur valeur d'acquisition majorée, d'une part, de la quote-part des bénéfices de cette société ou de ce groupement revenant à l'associé qui a été ajoutée aux revenus imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période d'application de ce régime et, d'autre part, des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société ou le groupement en France et ayant donné lieu de la part de l'associé à un versement en vue de les combler. Le prix d'acquisition des parts doit également être majoré de la quote-part des bénéfices de la société ou du groupement revenant à l'associé, qui n'ont pas fait l'objet d'une imposition effective en application d'une disposition par laquelle le législateur a entendu accorder un avantage fiscal définitif. 
Ce prix d'acquisition doit être par ailleurs minoré, d'une part, des déficits que l'associé a déduits pendant cette même période, à l'exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu octroyer un avantage fiscal définitif, et, d'autre part, des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société ou le groupement et ayant donné lieu à répartition au profit de l'associé ».

Constatant que les abattements pour durée de détention prévus à l’article 150 M du CGI, constituent un avantage fiscal définitif accordé par le législateur qui ne pouvait être repris à l'occasion de la répartition, entre les associés, de l'actif social de la société dissoute, le Conseil d’Etat décide qu’il y a lieu de tenir compte des plus-values immobilières exonérées pour l’imposition du gain constaté sur les titres à l’occasion de la dissolution.

Analyse

Sans être exhaustive quant aux avantages fiscaux définitifs accordés par le législateur, cette décision nous semble cohérente par son respect du principe de neutralité fiscale du régime des sociétés de personnes. Le contribuable est traité de manière identique qu’il y ait ou non l’interposition d’une société semi-transparente.

Les commentaires de l’administration ou de nouvelles prises de position de la jurisprudence pourront utilement apporter des précisions sur les dispositifs d’exonération concernés par cette règle. 

Certaines problématiques restent néanmoins en suspens.

Quémener et démembrement 

Cette décision ne permet pas de tirer de conséquences nouvelles sur la prise en compte des revenus et plus-values imposés, ou, exonérés en application d’un avantage fiscal définitif, en présence d’un démembrement de propriété. On ne peut en effet pas considérer que l’usufruitier ou le nu-propriétaire bénéficie d’un avantage fiscal lorsqu’il n’est pas le redevable de l’impôt.

En tout cas, la notion de « quote-part des bénéfices de la société ou du groupement revenant à l'associé » dont les termes ont été conservés par le Conseil d’Etat dans sa décision du 8 novembre dernier, continue d’interroger sur l’application de la jurisprudence Quémener aux titulaires de droit démembrés. Il semble, compte tenu de la formulation, que seul le redevable de l’imposition effective ou théorique (en présence d’une exonération) ait la faculté de majorer son prix de revient des revenus et plus-values déjà constatés par la société. La répartition des bénéfices prévue dans les statuts a donc une importance capitale. 

Notons que cette situation n’est pas toujours favorable. Le nu-propriétaire risque en effet être lourdement imposé sur la plus-value de cession de son droit démembré, ou des titres (après reconstitution de la pleine-propriété) car il n’aura pas la possibilité de tenir compte des résultats mis en réserves et pourtant imposés chez l’usufruitier. 

L’usufruitier, à l’inverse, pourra tenir compte de l’ensemble des résultats mis en réserves pour lesquels il a fait l’objet d’une imposition, alors même que son droit d’usufruit ne sera revalorisé qu’à proportion de la valeur de l’usufruit. 

Quémener et conventions fiscales bilatérales

La décision commentée n’apporte pas non plus de précision nouvelle sur les exonérations résultant des conventions fiscales bilatérales. Il convient donc de s’en tenir à la position retenue en 2016 (CE 6 juillet 2016 n°377904). 

Relevons toutefois que cette dernière, loin de respecter la logique de neutralité fiscale nous semble en contradiction avec les principes du droit de l’Union Européenne récemment rappelés par une décision de la CJUE en date du 22 mars 2018 (aff. jtes C-327/16 et C-421/16).

A la lecture des principes européens, en particulier la liberté d’établissement, un contribuable doit être traité de la même manière quel que soit le lieu d’imposition des revenus. Aussi, même si les revenus et plus-values de la société n’ont pas fait l’objet d’une imposition effective en France, de tels revenus devraient pouvoir majorer le prix de revient des titres en cas de cession ou de dissolution ultérieure de la société. 

Remarque : Si la jurisprudence du Conseil d’Etat devait évoluer sur ce point à la lumière de la jurisprudence de l’Union Européenne, il conviendrait à notre avis de retenir un traitement identique quel que soit le lieu d’imposition des revenus en cause (Etats membres ou Etats tiers), à défaut de quoi ce serait cette fois la conformité de la jurisprudence Quémener à la Constitution qui pourrait être menacée.

 

  • Mise à jour le : 24/05/2018

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