Pacte Dutreil : des commentaires bienvenus

Par : edicom

Par Marie Besche, directeur des ingénieries patrimoniale et sociale de Magnacarta

L’application pratique du dispositif Dutreil, outil de transmission bien connu des professionnels de la gestion de patrimoine, a été largement restreinte par l’instruction du 6 avril 2021, dans laquelle l’administration fiscale, peu soucieuse de rajouter à la loi, avait également dénaturé une partie des textes de loi et ainsi rendu complexe sa mise en œuvre. C’est donc avec ferveur qu’ont été accueillis les nouveaux commentaires apportés au BoFip, le 21 décembre 2021. Cette mise à jour éclaircit certains points et en assouplit d’autres, pour permettre au dispositif de rester viable en pratique.

De manière sommaire, le pacte Dutreil favorise la transmission à titre gratuit d’entreprises, non seulement en diminuant l’assiette imposable au titre des droits de mutation à titre gratuit (abattement de 75 %), mais également en réduisant, dans certains cas, les droits dus (réduction de droits de 50 % si le donateur est âgé de moins de soixante-dix ans au moment de la donation et que celle-ci est effectuée en pleine propriété).

De nombreuses conditions doivent être respectées parmi lesquelles :

- la transmission d’entreprises doit porter sur une société opérationnelle ;

- un engagement collectif de conservation de deux ans doit porter sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote en ce qui concerne les sociétés non cotées ;

- au moment de la transmission, le donataire doit s’engager à conserver les titres qui lui ont été donnés pendant un délai de quatre ans qui débute à compter de l’expiration de l’engagement collectif de conservation ;

- des fonctions de direction doivent être exercées, pendant toute la durée de l’engagement collectif de conservation et les trois années suivant la transmission.

Les clarifications suite aux commentaires

Fonction de direction et pacte signé

Le pacte Dutreil conditionne l’exonération à ce qu’une fonction de direction soit exercée par l’un des signataires de l’engagement collectif ou par l’un des bénéficiaires, pendant la durée de l’engagement collectif (deux ans minimum) et pendant une durée de trois ans à compter de la transmission.

La problématique

L’instruction du 6 avril 2021 indiquait que le donateur ne pouvait remplir cette condition que s’il était encore tenu d’un engagement de conservation et qu’il avait conservé au moins un titre en pleine propriété soumis à un engagement en cours après la transmission. Ainsi, en cas de transmission de l’ensemble des titres, seul le donataire pouvait remplir cette condition.

Ce que disent les nouveaux commentaires(1)

La direction doit être exercée, sur la période courant jusqu’à la transmission, par l’un des signataires de l’engagement collectif et à partir de la transmission, par l’un des signataires ou l’un des donataires. Cette facilité reste acquise quand bien même le signataire aurait transmis l’intégralité de ses titres. Le pacte Dutreil, toutes conditions étant par ailleurs respectées, pourra donc être mis en place alors même que les donataires sont trop jeunes ou pas suffisamment expérimentés pour reprendre les rênes de l’entreprise au terme de l’engagement collectif de conservation.

 

Fonction de direction et pacte réputé acquis

La problématique

Lorsque l’engagement collectif est réputé acquis, c’est au donataire d’exercer, pendant trois ans suivant la date de la transmission, la fonction de direction.

Ce que disent les nouveaux commentaires (2)

En cas d’engagement réputé acquis, le donataire est tenu d’exercer une fonction de direction. Toutefois, cela n’exclut pas qu’un autre associé, y compris le donateur, exerce également une autre fonction de direction. Dans son commentaire, l’administration fiscale vient assouplir sa position en permettant une codirection qui va pouvoir venir faciliter la passation de l’outil professionnel à moyen terme. Néanmoins, l’engagement réputé acquis, fortement convoité du fait qu’il évite le délai de deux ans de l’engagement collectif, ne pourra toujours pas être mis en œuvre lorsque les donataires sont encore mineurs au jour de la transmission (impossibilité d’exercer, pour un mineur, des fonctions de direction) ou inaptes à reprendre l’entreprise.

 

Opérationnalité de l’activité et activité éligibles

Longtemps refusées, les activités de construction-vente et de marchand de biens sont désormais officiellement reconnues comme étant éligibles au dispositif Dutreil(3).

Pour mémoire, la société doit exercer une activité opérationnelle (commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole) à titre prépondérant et de manière continue pendant toute la durée des engagements de conservation collectif et individuel.

Depuis le 23 janvier 2020, le caractère prépondérant de l’activité doit être recherché à partir d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice. La disparition des critères précis et opposables à l’administration fiscale, ouvre la porte à des incertitudes sur l’application du dispositif, le faisceau d’indices étant, par définition, plus subjectif.

Toutefois, le BoFip a réintégré dans sa base(4), à titre de règle pratique, les anciens critères de prépondérance :

- le chiffre d’affaires de l’activité représente au moins 50 % du chiffre d’affaires total ;

- et la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50 % de la valeur vénale de l’actif brut total(5).

La nouvelle version du BoFip précise qu’en cas de pluriactivités par une société, il en sera tenu compte dans leur ensemble pour apprécier l’éligibilité de la société.

 

Schéma de Family by Out (OBO)

Les titres soumis à engagement peuvent être apportés à une holding pendant l’engagement collectif ou pendant l’engagement individuel sans remise en cause du pacte Dutreil.

 

La problématique

Certaines conditions devant être respectées par la holding étaient strictes parmi lesquelles :

- la holding devait être détenue, pour 75 % du capital et des droits de vote, pendant l’engagement collectif de conservation, par les personnes soumises à l’engagement collectif et pendant l’engagement individuel, par les seules personnes soumises à cet engagement. Ce seuil était apprécié engagement par engagement. ;

- la valeur réelle de l’actif brut de la holding bénéficiaire de l’apport devait être composée à plus de 50 % des titres de la société mais seuls les titres soumis à engagement étaient pris en compte pour ce seuil.

 

Ce que disent les nouveaux commentaires(6)

Désormais, le seuil de 75 % est apprécié en tenant compte de l’ensemble des titres de la société, que ces titres soient soumis ou non à un même engagement. Le seuil de 50 % quant à lui, est désormais apprécié en prenant en compte les titres soumis à engagement et ceux non soumis à engagement. Les autres conditions tenant notamment aux fonctions de direction et à la conservation des titres restent identiques.

Transmission de titres de holding non-animatrice

Les nouveaux commentaires assouplissent les possibilités de transmission de titres de holding non-animatrice, en assouplissant deux éléments. Dans un premier temps, l’administration n’exige plus que l’auteur de la transmission soit, lui aussi, partie à l’engagement. Les associés physiques d’une telle société devant simplement détenir, depuis la conclusion de l’engagement collectif de conservation sur la société-cible, les titres de la société interposée pour lesquels ils souhaitent bénéficier de l’exonération partielle. Dans un second temps, l’administration admet que le maintien du niveau de participations à chaque niveau d’interposition s’apprécie désormais en titre et non plus en pourcentage de détention. Ainsi, si le taux de participation indirecte dans la société cible diminue en raison d’une augmentation de capital, cet événement ne fera plus obstacle au bénéfice de l’exonération partielle, sous réserve que les associés conservent un nombre de titres au moins égal à celui qu’ils possédaient au moment de la signature et que les seuils de conservation continuent à être respectés.

En conclusion

A l’heure où les débats sur la fiscalité des donations et des successions ressurgissent en France(7), nous ne pouvons que nous réjouir de cette nouvelle version du BoFip, l’accompagnement des clients dans ce dispositif s’en trouvant facilité. Pour autant, n’oublions pas que les nombreuses conditions d’applications doivent toutes être parfaitement maîtrisées pour que le conseil soit adapté. On ne pourra concevoir l’inscription de ce dispositif que dans une démarche conforme à l’esprit du texte, ainsi que l’accompagnement du client dans le temps pour qu’il puisse produire ses pleins effets.

 

1. BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 390.

2. BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 395.

3. BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 15.

4. BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 20.

5. Il convient, sur ce point, d’être vigilant quant à la trésorerie excédentaire qui pourrait mettre en échec l’application du dispositif.

6. BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 81 et § 86.

7. En ce sens, lire le rapport « Repenser l’héritage », édité par le Conseil d’analyse économique (décembre 2021).

  • Mise à jour le : 21/04/2022

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