Pacte Dutreil : transmettre son entreprise familiale

Par : edicom

Par Stanislas Vailhen, associé, et Julien Lebel, avocat au sein du cabinet Alerion

La transmission de l’entreprise familiale, quelle qu’en soit la taille, aux nouvelles générations est une étape importante, tant du point de vue de la dynamique famille que de celle de l’entreprise elle-même. Elle nécessite donc d’être bien préparée. Sur le plan fiscal, le dispositif Dutreil, codifié à l’article 787 B du Code général des impôts, peut permettre de réaliser cette transmission dans des conditions privilégiées.

Le régime Dutreil est un dispositif fiscal qui permet, sous certaines conditions, de bénéficier d’avantages fiscaux pour la transmission d’une entreprise par voie de donation ou succession. Il porte la plupart du temps sur les titres d’une société et consiste, en pratique, pour les associés, à prendre collectivement un engagement de conservation des titres, pendant une durée minimale de deux ans. Cet engagement est formalisé par un contrat (pacte Dutreil), qui est soumis à l’enregistrement.

Au moment de la transmission, les bénéficiaires doivent s’engager individuellement à conserver les titres pendant une durée de quatre ans, ce délai ne pouvant commencer à courir qu’une fois le délai de deux ans arrivé à son terme.

Quelles sont les principales conditions ?

Pour pouvoir bénéficier du dispositif, l’entreprise doit exercer une activité « opérationnelle », c’est-à-dire de nature commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale, ce qui exclut principalement les entreprises dont l’activité se limite à gérer des actifs immobiliers ou des placements financiers.

S’agissant des sociétés holdings, la doctrine administrative admet qu’elles puissent bénéficier du dispositif Dutreil, sous réserve toutefois qu’elles soient animatrices de leur groupe. Mais ni la loi ni la doctrine administrative ne donnent de définition précise de la holding animatrice au regard du dispositif Dutreil. Plusieurs jurisprudences récentes viennent néanmoins d’apporter des précisions importantes à ce sujet, ce qui constitue une avancée positive, attendue de longue date (Cass.com 14 octobre 2020, n° 18-17.955 FS-PB : JurisData n° 2020-01636).

Par ailleurs, la société doit, sauf exception, faire l’objet d’un engagement de conservation des titres, qui doit porter au minimum sur 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote lorsqu’il s’agit de titres de sociétés non cotées (et sur au moins 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote s’il s’agit de titres de sociétés cotées).

L’un des signataires de l’engagement collectif doit enfin exercer dans la société son activité professionnelle principale (s’agissant des sociétés non soumises à l’IS) ou exercer un mandat social (s’agissant des sociétés soumises à l’IS).

Quels sont les avantages fiscaux du dispositif ?

Le dispositif Dutreil permet au minimum de bénéficier d’un abattement fiscal de 75 % sur la valeur des titres transmis et, ainsi, de calculer les droits de donation ou de succession sur 25 % de la valeur des titres.

Le dispositif permet par ailleurs de bénéficier d’une réduction de droits de 50 %, lorsque la transmission s’opère par voie de donation en pleine propriété, avant les 70 ans du donateur.

Enfin, le dispositif s’accompagne de facilités de paiement des droits et permet, sous certaines conditions, de bénéficier d’un différé total de paiement pendant une durée de 5 ans, puis d’un étalement des droits sur une durée de dix ans.

Exemple chiffré

Prenons l’exemple d’un chef d’entreprise, père de famille et associé unique d’une société commerciale, âgé de 65 ans, et qui souhaite donner à ses deux enfants 25 % chacun des titres de sa société, valorisée au total pour 10 M€.

Nous partons du postulat, pour les besoins du raisonnement, que les titres constituent des biens propres du donateur (au regard de son régime matrimonial, par exemple), et que la donation porte sur la pleine propriété des titres. Le père n’a jamais consenti de donation à ses enfants par le passé. Valeur des titres donnés : 5 M€, soit 2,5 M€ par enfant.

Montant des droits à payer :

1. Sans application du dispositif Dutreil :

Le montant des droits de donation s’élève à 841 406 € par enfant (hors frais et émoluments du notaire) soit 1 682 812 € au total. Soit environ 33,66 % de la valeur des titres transmis.

2. Avec application du dispositif Dutreil :

Le montant des droits de donation s’élève à 60 987 € par enfant, soit 121 974 € au total. Soit environ 2,44 % des titres transmis.

Dans cet exemple, l’application du dispositif Dutreil a permis de diviser les droits à payer par plus de treize.

Quelles sont les questions à se poser ?

Si, à la simple lecture de l’exemple précédent, l’avantage fiscal du dispositif est manifeste, la réalisation d’une transmission harmonieuse en régime Dutreil nécessite au préalable de se poser un certain nombre de questions.

Ma société est-elle éligible au dispositif ?

La question se pose en particulier pour les holdings de groupe. Mais si la holding n’est pas elle-même qualifiante, certaines de ses filiales peuvent néanmoins remplir les conditions du dispositif. Dans ce cas, l’exonération partielle pourra trouver à s’appliquer, mais elle sera limitée à la fraction de la valeur des titres de la société correspondant à sa participation dans des sociétés elles-mêmes éligibles au dispositif.

Dans le cas des sociétés holdings, le caractère animateur nécessitera d’être vérifié, et des ajustements devront, le cas échéant, être opérés afin de renforcer l’animation, et/ou de la documenter dans la perspective d’un éventuel contrôle.

Quand dois-je initier les démarches ?

La réponse à cette question ne tient évidemment pas qu’à des considérations fiscales. Elle implique notamment une réflexion familiale, mais également une réflexion financière quant à l’évolution attendue de la valeur des titres, au regard des perspectives économiques. Si la pandémie a entraîné une perte importante d’activité, la période pourra se révéler en revanche propice pour commencer une réflexion sur le sujet.

Sur le plan fiscal, il existe un intérêt certain à anticiper la transmission. En effet, le calcul des droits de donation ou de succession tient compte des précédentes transmissions réalisées au cours des quinze années précédentes (règle dite du rapport fiscal des donations antérieures). Comme indiqué ci-avant, la réalisation d’une donation en pleine propriété avant ses soixante-dix ans permettra de bénéficier d’un avantage fiscal supplémentaire (réduction de droits de 50 %). De la même manière, en cas de transmission démembrée (donation de la nue-propriété des titres, en s’en réservant l’usufruit), la valeur de la nue-propriété transmise sera déterminée sur la base d’un barème fiscal, en fonction de l’âge de l’usufruitier. Elle sera donc d’autant moins élevée que les donateurs (usufruitiers) seront jeunes.

Si la donation porte sur les titres d’une société de personnes (c’est-à-dire dont les résultats sont fiscalisés à l’IR entre les mains de ses associés personnes physiques), le bénéfice du régime Dutreil impliquera que le donateur ou l’un des donataires exerce dans la société son activité professionnelle principale, ce qui ne sera pas toujours possible, cette condition étant plus contraignante que le simple exercice d’un mandat social, seul requis pour les sociétés soumises à l’IS. Si l’on anticipe que cette condition ne pourra pas être respectée par les héritiers compte tenu par exemple de contraintes professionnelles ou de leur lieu de résidence, il est important d’anticiper la transmission des titres par voie de donation, le donateur continuant alors à exercer son activité professionnelle principale dans la société de personnes pendant au moins trois ans après la donation, afin de respecter les conditions du d de l’article 787 B du CGI.

En tout état de cause, la rédaction d’un pacte Dutreil deux ans au moins avant la réalisation de la donation permettra de purger la période d’engagement collectif, et de faire courir immédiatement la période d’engagement individuel, d’une durée de quatre ans. Il est donc toujours préférable d’anticiper le sujet très en amont.

Dois-je privilégier des donations en pleine propriété ou en démembrement ?

Tout dépend notamment, de ce point de vue, si l’objectif est d’anticiper la transmission, tout en conservant les revenus de la société, ce que seule une donation en démembrement permettra.

Il pourra également être intéressant, dans certains cas de panacher les deux, en transmettant une partie des titres en pleine propriété et une partie en démembrement, ce qui permettra de transmettre à terme (lorsque les engagements de conservation auront été purgés) de la trésorerie aux enfants faiblement fiscalisée, par l’annulation de tout ou partie de leurs titres.

Comment conserver un équilibre entre mes enfants ?

La transmission peut naturellement être égalitaire entre les enfants, qui peuvent recevoir un volant de titres identique. Mais cela n’est pas toujours possible (lorsque la société exerce une activité réglementée, par exemple), ou n’est pas forcément souhaité, en particulier si seuls certains des enfants ont vocation à travailler au sein de l’entreprise. Dans ce cas, la donation pourra inclure d’autres actifs afin d’équilibrer la donation entre les membres de la fratrie. Mais il sera également possible de faire financier le déséquilibre entre les enfants par celui qui aura reçu le volant de titres le plus important, qui se traduira en pratique par le versement d’une soulte au profit de ses frère(s) et/ou sœur(s).

Le financement de cette soulte sera le plus souvent réalisé par la réalisation d’une opération de LBO familial (Leverage Buy Out), ou FBO (Family Buy-Out), consistant à apporter les titres reçus dans le cadre de la donation, assortie de la soulte, à une société holding. Le dispositif Dutreil a été récemment aménagé afin de faciliter la mise en œuvre de ce type d’opérations.

Autres points de vigilance

D’autres points d’attention devront également être pris en compte.

A titre d’illustration, en cas de donation en démembrement, il conviendra d’aménager la rédaction des statuts. Ces derniers devront obligatoirement limiter les droits de vote de l’usufruitier, qui ne pourront s’exercer que pour la décision d’affectation des résultats de l’exercice. Les clauses relatives à la répartition des droits financiers entre le nu-propriétaire et l’usufruitier nécessiteront également une attention particulière.

Autre illustration : dans certains cas, il sera possible de se dispenser de formaliser un pacte Dutreil, et d’appliquer le régime du pacte dit réputé acquis. Mais il faut s’assurer du respect des conditions spécifiques, et avoir conscience de ses conséquences (notamment sur l’exercice des mandats sociaux). Il est important, par ailleurs, d’envisager la question de la transmission de manière globale, et d’y inclure une réflexion quant au régime matrimonial des époux, et la protection à terme du conjoint survivant.

Au-delà de ces considérations techniques, qui nécessitent d’être bien appréhendées, la transmission de l’entreprise familiale doit être bien préparée, pour que le passage d’une génération à l’autre puisse s’opérer dans de bonnes conditions, qui n’obèrent pas la pérennité de l’entreprise, et ne bouleversent pas l’équilibre du groupe familial.

Afin de réaliser cette transmission de manière harmonieuse, il est important de ne pas traiter ce sujet dans la précipitation et, lorsque cela est possible, de ne pas attendre l’ouverture de la succession pour commencer la réflexion, de manière à pouvoir profiter dans les meilleures conditions des opportunités offertes sur le plan fiscal.

  • Mise à jour le : 23/04/2021

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