Usufruit sur titres de sociétés : qui est associé ?

Par : edicom

Article extrait du mémento Particuliers 2020 paru aux éditions Francis Lefebvre.

La qualité d’associé conditionne un certain nombre de droits et d’obligations. Est-ce le nu-propriétaire ou l’usufruitier qui possède le titre d’associé dans le démembrement de parts sociales ? Eléments de réponse.

L’enjeu de la question est important, parce que la qualité d’associé conditionne un certain nombre de droits et d’obligations, par exemple le droit de demander la nomination ou la révocation d’un commissaire aux comptes, de désigner un expert de gestion ou un mandataire chargé de convoquer l’assemblée générale. Il ne fait aucun doute que le nu-propriétaire a la qualité d’associé.

La question est en revanche discutée s’agissant de l’usufruitier : certains auteurs appellent à la reconnaissance de la qualité d’associé de l’usufruitier, tandis que d’autres – la majorité – rejettent cette idée. Si la Cour de cassation n’a pas encore clairement tranché cette question, la jurisprudence semble toutefois aller vers le refus de la reconnaissance de la qualité d’associé à l’usufruitier. Une cour d’appel a ainsi jugé que l’usufruitier de parts sociales n’a pas la qualité d’associé, quelle que soit l’étendue de son droit de vote (CA Amiens, 3 mai 2005). Le pourvoi contre cette décision a été rejeté par la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 29 novembre 2006, n° 05-17.009 : RJDA 4/07 n° 368), mais l’arrêt de cette dernière ne peut être considéré comme significatif car le pourvoi ne portait pas sur cette question.

Dans une autre espèce, une autre cour d’appel a déduit des dispositions de l’article 1844-5 du Code civil que l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé et qu’en conséquence l’assemblée générale tenue sans l’avoir convoqué n’est pas irrégulière (CA Aix-en-Provence, 22 janvier 2015). Là encore, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel, sans se prononcer explicitement sur la qualité d’associé de l’usufruitier mais, à notre sens, en la lui refusant implicitement mais nécessairement, retenant que l’assemblée générale ayant pour objet des décisions collectives autres que celles qui concernent l’affectation des bénéfices ne saurait être annulée au motif que l’usufruitier des parts n’aurait pas été convoqué pour y participer (Cass. 3e civ., 15 septembre 2016, n° 15-15.172 FS-PB : BDP 6/16 inf. 235). Notons que la loi 2019-744 du 19 juillet 2019 a étendu le droit de participer à toutes les décisions collectives à l’usufruitier de parts sociales sans trancher la question de l’attribution de la qualité d’associé.

Dans un précédent arrêt (Cass. com., 2 février 2008, n° 08-13.185 : BRDA 24/08 n° 1), la Cour de cassation avait pourtant jugé qu’un abus du droit de vote ne pouvait être retenu contre l’usufruitier sans qu’il soit démontré que celui-ci avait fait du droit de vote que lui attribuaient les statuts « un usage contraire à l’intérêt de la société, dans le seul dessein de favoriser ses intérêts personnels au détriment de ceux des autres associés », paraissant ainsi reconnaître incidemment la qualité d’associé à l’usufruitier. Deux autres arrêts rendus le 10 février 2009 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com. n° 07-21.806 et Cass. com. n° 07-21.807) avaient également effectué un rapprochement entre la qualité d’usufruitier et celle d’associé, sans pour autant affirmer qu’un usufruitier est véritablement un associé.

Qui vote aux assemblées ?

La répartition du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire se fait en principe de la façon suivante :

- dans les sociétés dont le capital est divisé en parts sociales (société civile, société en nom collectif ou société à responsabilité limitée notamment), ainsi que dans les sociétés par actions simplifiées (SAS), le droit de vote appartient à l’usufruitier pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, au nu-propriétaire pour toutes les autres décisions (C. civ. art. 1844, al. 3) ;

- dans les sociétés par actions autres que les SAS (société anonyme, notamment), l’usufruitier a le droit de vote dans les assemblées générales ordinaires et le nu-propriétaire dans les assemblées générales extraordinaires (C. com. art. L. 225-110). L’usufruitier aura, par exemple, qualité pour approuver les comptes de l’exercice, tandis que le nu-propriétaire sera compétent pour se prononcer sur la modification des statuts.

Il est possible de déroger aux règles légales de répartition du droit de vote, mais la liberté n’est pas totale.

Sur la forme, dans les sociétés par actions autres que les SAS, cette dérogation doit être prévue dans les statuts. Dans les sociétés dont le capital est divisé en parts sociales et les SAS, elle peut être prévue dans les statuts ou être décidée entre les parties par convention, les statuts ne pouvant pas interdire ou limiter cette convention.

Sur le fond, il n’est pas possible d’attribuer au nu-propriétaire tous les droits de vote : l’usufruitier ne peut pas être privé du droit de voter les décisions concernant l’affectation des bénéfices, ce qui reviendrait à priver l’usufruit de sa substance (en ce sens, Cass. com., 31 mars 2004, n° 624 FS-PB : RJDA 6/04 n° 711).

A l’inverse, rien ne s’oppose à ce que tous les droits de vote soient donnés à l’usufruitier. La jurisprudence ayant consacré cette solution n’y a mis qu’une limite : le nu-propriétaire doit être convoqué à toutes les assemblées, même s’il ne vote pas ; à défaut, les délibérations adoptées seraient nulles (en ce sens, notamment : Cass. com., 4 janvier 1994, n° 31 : RJDA 5/94 n° 526 ; Cass. com., 2 décembre 2008, n° 08-13.185 : RJDA 3/09 n° 231). Notons que cette solution, liée à la qualité d’associé du nu-propriétaire et que la Cour de cassation a refusé d’étendre à l’usufruitier (Cass. 3e civ., 15 septembre 2016, n° 15-15.172 FS-PB : BDP 6/16 inf. 235) s’applique désormais également à l’usufruitier de parts sociales, l’article 1844 du Code civil prévoyant que « si une part est grevée d’un usufruit, le nu-propriétaire et l’usufruitier ont le droit de participer aux décisions collectives », quel que soit le titulaire du droit de vote et sans que les statuts puissent y déroger (C. civ. art. 1844, al. 3 et 4 modifiés par loi 2019-744 du 19 juillet 2019, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 21 juillet 2019). Par ailleurs, à notre avis, les décisions collectives nécessitant l’unanimité des associés devraient en tout état de cause être soumises à l’accord du nu-propriétaire puisque celui-ci a la qualité d’associé. Les engagements d’un associé ne pouvant pas être augmentés sans son accord (C. civ. art. 1836, al. 2), l’accord du nu-propriétaire serait également nécessaire pour toute décision ayant un tel effet.

Qui a droit aux bénéfices ?

L’usufruitier a droit aux bénéfices distribués de l’exercice, quelle que soit leur origine (résultat d’exploitation ou produits d’opérations exceptionnelles). Il n’a en revanche aucun droit sur les bénéfices encore en instance d’affectation ou sur ceux qui ont été mis en réserve. Si des bénéfices mis en réserve sont ensuite distribués, cette distribution revient en principe au nu-propriétaire, qui doit toutefois permettre à l’usufruitier d’exercer son droit de jouissance. Lorsque la distribution est réalisée, comme c’est généralement le cas, par le versement d’une somme d’argent, l’usufruitier dispose d’un quasi-usufruit sur la somme distribuée, à charge pour lui (ou ses héritiers) de restituer un montant équivalent à l’expiration de l’usufruit (en ce sens, Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-16.246 : BDP 6/15 inf. 202 et Cass. com., 24 mai 2016, n° 15-17.788 : BPAT 4/16 inf. 168 ; signalons que la première chambre civile a jugé que les fonds provenant de la distribution de bénéfices mis en réserve, lesquels constituent l’accroissement de l’actif social et reviennent en tant que tel au nu-propriétaire, ne doivent bénéficier qu’à celui-ci, sans évoquer le droit de l’usufruitier à un quasi-usufruit sur ces fonds, mais la question ne lui était en l’espèce pas posée : Cass. 1re civ., 22 juin 2016, n° 15-19.471 et 15-19.516).

En tout état de cause, les statuts peuvent déroger à ces règles, par exemple pour attribuer au nu-propriétaire les distributions prélevées sur des profits exceptionnels ou prévoir qu’en cas d’utilisation de réserves pour maintenir le niveau d’un dividende les sommes distribuées reviennent au seul usufruitier.

L’imposition des distributions

En matière d’impôt sur le revenu, l’usufruitier est imposable sur les dividendes qu’il perçoit lorsque la société est soumise à l’impôt sur les sociétés. Il y a dans cette hypothèse corrélation entre les droits aux bénéfices de l’usufruitier et l’impôt auquel il est soumis. L’impôt est établi dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, selon les règles de droit commun applicables à tout détenteur d’actions (prélèvement forfaitaire unique au taux global de 30 %, dont 12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de prélèvements sociaux, ou, sur option globale exercée pour l’ensemble des revenus et gains financiers, application du barème progressif de l’impôt sur le revenu après abattement de 40 %, auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux au taux de 17,2 %).

La situation est très différente lorsque la société n’est pas soumise à l’impôt sur les sociétés (société soumise au régime fiscal dit « des sociétés de personnes » ; c’est par exemple le cas d’une société en nom collectif qui n’a pas exercé l’option pour l’impôt sur les sociétés). Dans cette hypothèse :

- l’impôt est dû même si le bénéfice n’est pas effectivement distribué. Sur le plan fiscal, la part de bénéfices devant revenir à chacun est en effet considérée comme acquise dès la clôture de l’exercice ;

- l’usufruitier est imposé sur les résultats courants, tandis que le nu-propriétaire est imposé sur les résultats exceptionnels (plus-values de cession d’éléments de l’actif immobilisé notamment). L’impôt est établi dans la catégorie correspondant à la nature de l’activité exercée par la société (bénéfices industriels et commerciaux, par exemple) ;

- s’il y a un déficit, l’administration considère que celui-ci « revient » au nu-propriétaire, et non à l’usufruitier (BOI-BIC-CHAMP-70-20-10-20 n° 150). Cette position critiquable a été censurée par le Conseil d’État, qui juge qu’en vertu de l’article 8 du CGI il revient à l’usufruitier de déduire de ses revenus la part du déficit social correspondant à ses droits, symétriquement à l’imposition entre ses mains du bénéfice social (CE, 8 novembre 2017, n° 399764 : BPAT 6/17 inf. 252 ; dans le même sens, CE, septembre 2018, n° 408029 : BDP 6/18 Inf. 261).

La vente des titres

Ni l’usufruitier ni le nu-propriétaire ne peut vendre seul la pleine propriété des titres. Chacun peut seulement céder son propre droit, l’usufruit pour l’usufruitier, la nue-propriété pour le nu-propriétaire.

Lorsque le droit cédé a été acquis isolément, la plus-value correspond à la différence entre le prix de vente du droit et son prix d’acquisition ou, s’il a été acquis à titre gratuit (par donation ou succession), la valeur retenue pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit (valeur déterminée en fonction du barème fiscal de l’usufruit applicable lors de la mutation).

Lorsque le cédant a détenu la pleine propriété des titres avant leur démembrement, le prix d’acquisition du droit cédé peut être déterminé, au choix du contribuable, par valorisation économique ou en appliquant le barème fiscal prévu à l’article 669 du CGI (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 n° 80). Le calcul est établi en fonction de l’âge de l’usufruitier au jour de la cession des titres et non au jour de l’acquisition des titres par le cédant.

L’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent procéder à la vente conjointe de leurs droits respectifs à un acheteur unique qui va ainsi acquérir la pleine propriété des titres.

Dans ce cas, et sauf accord contraire des intéressés, le prix de vente est réparti entre le nu-propriétaire et l’usufruitier, et chacun est imposable séparément sur la plus-value qu’il réalise. Par exemple, si les titres ont été reçus par la veuve en usufruit et par le fils en nue-propriété au décès de leur mari et père, la plus-value réalisée par chacun est calculée par différence entre la fraction du prix de vente qu’il reçoit et la valeur qui a été prise en compte pour le calcul des droits de succession (majorée des frais de succession : droits de succession, honoraires du notaire, frais d’acte et de déclaration).

Une convention entre l’usufruitier et le nu-propriétaire peut prévoir que le prix de la vente conjointe de leurs droits ne sera pas réparti entre eux, mais servira à acquérir d’autres titres sur lesquels l’usufruit sera reporté. Dans ce cas, c’est le nu-propriétaire seul qui sera imposable (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60

n° 100). Précisons que le seul fait de déposer le prix de vente sur un compte ouvert au nom de l’usufruitier et des nus-propriétaires n’établit pas le report du démembrement, en l’absence d’acte ayant date certaine le corroborant (CE, 30 décembre 2009, n° 307165 : RJF 3/10 n° 226). Pour échapper à l’impôt sur la plus-value, l’usufruitier de titres cédés pour un prix commun doit justifier d’une convention de remploi avec report du démembrement antérieure ou concomitante à la cession ; cette convention ne peut résulter des seules modalités de remploi du prix (CE, 28 janvier 2019, n° 407305 : BPAT 2/19 inf. 63).

Toujours par convention, il est possible de prévoir que seul l’usufruitier touchera le prix de vente dans le cadre d’un quasi-usufruit. Dans ce cas, c’est l’usufruitier qui sera seul imposable.

Lorsque l’imposition est ainsi établie au nom du seul nu-propriétaire ou du seul usufruitier, il n’est bien sûr calculé qu’une seule plus-value. Lorsque les titres ont été reçus simultanément par l’usufruitier et le nu-propriétaire suite à une transmission à titre gratuit (donation ou succession), cette plus-value est égale à la différence entre le prix de vente et la valeur globale des titres retenue pour le calcul des droits de mutation (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 n° 120).

Pour l’application de la règle générale de calcul des plus-values selon laquelle la valeur d’acquisition peut être majorée du montant des frais d’acquisition, le redevable de l’impôt est en droit de se prévaloir de l’ensemble des frais et taxes qui ont grevé l’acquisition, tant de la nue-propriété que de l’usufruit (CE, 11 mai 2017, n° 402479 : BDP 3/17 inf. 117 ; solution rendue dans une espèce où le nu-propriétaire était seul redevable de l’impôt sur la plus-value, le démembrement ayant été reporté sur les biens acquis en remploi, et transposable selon nous au cas où la plus-value est imposable au nom du seul usufruitier, lorsque le prix de vente des titres est attribué à celui-ci dans le cadre d’un quasi-usufruit).

Si le nu-propriétaire ou l’usufruitier au nom duquel la plus-value est imposable a disposé de la pleine propriété des titres avant leur démembrement, le prix de revient à retenir est le prix ou la valeur d’acquisition initiale de la pleine propriété des titres, majoré de l’accroissement de valeur du droit transmis constaté entre la date d’acquisition initiale de la pleine propriété et la date de transmission du droit (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 n° 150). Si c’est la nue-propriété qui a été transmise lors du démembrement, le prix de revient est égal au prix ou à la valeur d’acquisition initiale de la pleine propriété (PP), majoré de l’accroissement de la valeur de la nue-propriété (NP) constaté entre la date de l’acquisition initiale de la pleine propriété (PP) et la date de transmission de la nue-propriété (NP).

Si l’usufruit a été transmis lors du démembrement, le prix de revient est égal au prix ou à la valeur d’acquisition initiale de la pleine propriété (PP), majoré de l’accroissement de la valeur de l’usufruit (US) constaté entre la date de l’acquisition initiale de la pleine propriété (PP) et la date de transmission de l’usufruit (US).

La vente des titres peut également intervenir après l’extinction de l’usufruit. Les règles de calcul de la plus-value dépendent alors de la façon dont les droits d’usufruit et de nue-propriété ont été acquis. Dans l’hypothèse la plus courante où la nue-propriété a été reçue par donation (ou par succession) et l’usufruit au décès de l’usufruitier, il est en principe fait abstraction de la valeur de l’usufruit, celui-ci ayant été reçu pour une valeur nulle.

Le prix de revient à retenir pour le calcul de la plus-value correspond donc à la valeur de la nue-propriété retenue lors de la donation (ou succession), majorée des droits de donation ou de succession eux-mêmes, des honoraires du notaire et des frais d’acte et de déclaration (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 n° 200).

Par exception, lorsque l’usufruit qui s’éteint avait été transmis à l’usufruitier par donation ou succession en même temps que la nue-propriété au nu-propriétaire, le prix de revient des titres est calculé à partir de la somme des valeurs déclarées pour chacun des droits lors de la donation (ou succession) qui est à l’origine du démembrement de propriété (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 n° 210).

  • Mise à jour le : 06/05/2020

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