Le renforcement de la protection des épargnants

Par : edicom

Par Silvestre Tandeau de Marsac, avocat au barreau de Paris, FTMS Avocats

Véritable serpent de mer, la question des frais, pesant sur les actifs sous gestion et grevant leurs performances au détriment des investisseurs, refait régulièrement surface. S’ensuivent alors de nouveaux débats, souvent passionnés, sur l’opportunité de supprimer certains d’entre eux, tout en préservant quelques exceptions âprement négociées.

L’enjeu est d’importance, puisqu’au-delà de la protection légitime des intérêts des investisseurs, c’est tout le modèle économique de la gestion individuelle et collective qui se trouve remis en cause.

Deux initiatives récentes illustrent la volonté du régulateur et du législateur de réduire l’impact financier négatif de certains frais, tout en préservant, autant que faire se peut, la rémunération tout aussi légitime des acteurs de la gestion d’actifs.

C’est ainsi que pour lutter contre la lourde charge que représentent, pour les épargnants, les commissions de mouvement et le risque inhérent de conflits d’intérêts, un arrêté ministériel du 16 mai 2022 est venu homologuer certaines modifications au règlement général de l’Autorité des marchés financiers.

Ces dernières, effectives à compter du 1er janvier 2026, concernent en particulier les entités impliquées dans la gestion financière d’organisme de placement collectif en valeurs mobilières (OPVCM), pour lesquels la possibilité de bénéficier de commissions de mouvement a été supprimée, ainsi que dans celle des fonds d’investissements alternatifs (FIA), qui ne pourront davantage percevoir ces commissions, sauf pour les actifs immobiliers et non cotés, eu égard au caractère peu liquide des portefeuilles immobiliers.

On relèvera que ces modifications ne concernent ni les dépositaires, ni la gestion sous mandat, ni les filiales agissant comme tables de négociation externalisées.

Comme en écho à cette modification du règlement de l’AMF ouvrant une première brèche dans le front des commissions, les sénateurs Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier ont déposé une proposition de loi « tendant à renforcer la protection des épargnants », le 28 mars 2022. La rue de Vaugirard a été le lieu de vifs débats, avant que cette proposition de loi ne soit finalement adoptée en première lecture le 31 janvier 2023 et transmise à l’Assemblée nationale.

Cette fois, la volonté de réforme va bien au-delà d’une simple suppression de certains frais. L’ambitieuse proposition comporte quatre axes de réflexion, portant sur l’encadrement des mandats d’arbitrage, l’information des épargnants, l’adaptation et le développement des produits d’épargne ainsi que l’accentuation du contrôle des acteurs du marché de l’épargne.

Sans nullement prétendre être exhaustif, on présentera ci-après les principales modifications envisagées.

Sur le mandat d’arbitrage d’assurance-vie

Alors qu’il était suggéré qu’un premier article introduise une interdiction des commissions de mouvement au sein du Code monétaire et financier, les sénateurs ont préféré l’écarter et laisser le règlement général de l’AMF encadrer cette pratique (article 1er [supprimé] de la proposition de loi).

Les discussions se sont ensuite tournées vers le mandat d’arbitrage en matière d’assurance vie, et la proposition faite d’une double définition (article 2 de la proposition de loi) :

- de l’arbitrage d’abord, comme une opération consistant à modifier la répartition des droits exprimés en euros, en unités de compte ou en parts de provision de diversification, au cours de la durée du contrat ou d’une adhésion, à la demande du souscripteur ou de l’adhérent et dès lors que cette faculté est contractuellement prévue ;

- et du mandat d’arbitrage ensuite, comme un contrat par lequel le souscripteur ou l’adhérent à un contrat d’assurance sur la vie ou de capitalisation, agissant en qualité de mandant, confie à une personne physique ou morale la faculté de décider des arbitrages et d’exécuter des opérations d’arbitrage conformément au terme du mandat.

Le mandat doit être écrit et comporter certaines mentions, telles que les droits et obligations des parties, l’orientation de gestion choisie et les supports d’investissement correspondant à cette orientation. Le mandataire doit rendre compte à son mandant au moins une fois par an des arbitrages réalisés. Un décret doit définir les informations transmises à cette occasion et les modalités de résiliation du mandat. Enfin, le mandataire doit être assuré à moins que l’entreprise ou l’intermédiaire le mandatant assume l’entière responsabilité des actes de son mandataire.

Ces modifications du Code des assurances consacrent la possibilité, largement utilisée dans la pratique, pour les établissements d’assurance de déléguer la gestion sous mandat à des prestataires de services d’investissement habilités, à condition que cette faculté de délégation soit expressément prévue par le mandat d’arbitrage et que les opérations de délégation respectent, sous la responsabilité du mandataire, les limites prévues par le mandat.

Cet encadrement réglementaire du mandat d’arbitrage consacre s’inspire largement du droit commun du mandat en matière civile.

Sur l’information des épargnants et le développement des produits d’épargne

La loi Pacte avait impulsé un mouvement de renforcement de la transparence des frais sur les contrats d’assurance-vie, en introduisant dans son article 72 des exigences de transparence accrues quant aux frais et performance relatifs aux contrats d’assurance sur la vie.

Le rapport d’information sur la protection des épargnants de Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier n’a pas manqué de souligner la particulière complexité de la structure des coûts pour les souscripteurs d’un contrat d’assurance-vie, à raison du cumul des frais afférents à la gestion du contrat par l’assureur, avec ceux propres aux supports d’investissement en unité de comptes choisi lors de la souscription. En dépit des aménagements de la loi Pacte, des lacunes persistent et les dispositions éparses, adoptées à différents niveaux normatifs, se sont révélées insuffisantes à les combler.

Si l’Accord de la Place du 2 février 2022 a étendu l’accès à l’information sur les frais à l’ensemble des épargnants via la publication par les banques et assurances d’un tableau récapitulatif standard des frais prélevés sur les contrats d’assurance vie et plans épargne-retraite, ce dispositif, outre qu’il ne présente qu’une valeur de soft law, c’est-à-dire non contraignante juridiquement, ne fait nullement mention ni des frais totaux, ni des effets de ces frais sur le rendement de l’investissement, et pas davantage de ce rendement lui-même.

S’inspirant de l’approche dite «value for money», l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles a pris l’initiative de publier, le 31 octobre 2022, un cadre conceptuel destiné à être utilisé pour mesurer l’intérêt financier des produits d’épargne. En effet, les informations qui font aujourd’hui défaut aux épargnants peuvent s’avérer des plus nécessaires, notamment dans la mesure et l’évaluation de l’opportunité d’investir dans un produit d’épargne, par la confrontation du prix de ce produit à la performance qui pourrait raisonnablement en être attendue, tout en le comparant à d’autres produits analogues.

C’est dans ces circonstances que la « petite loi » transmise à l’Assemblée nationale a prévu l’obligation de mettre en ligne un tableau recensant les frais grevant les produits d’assurance-vie et d’épargne-retraite (article 4 de la proposition de loi).

Pour permettre le suivi de l’évolution de ces frais, les entreprises d’assurance seraient alors tenues de publier annuellement, sur leur site Internet, et pour une période minimale de cinq ans, un tableau représentant les frais attachés aux contrats d’assurance-vie et aux plans d’épargne-retraite qu’elles offrent de commercialiser. Cette obligation de publication faite aux entreprises d’assurance couvrirait «le rendement garanti moyen, le taux moyen de frais prélevé par l’entreprise, le rendement net moyen servi à l’assuré, le taux des taxes et des prélèvements sociaux, et le taux moyen de la participation aux bénéfices attribués pour chacun de ses contrats d’assurance-vie ou de capitalisation, ainsi que l’éligibilité de ces contrats aux affaires nouvelles».

Ces mêmes établissements seraient tenus de publier une information détaillée précisant, pour chaque unité de compte, la performance brute de frais, la performance nette de frais et les frais prélevés, avec mention des éventuelles rétrocessions de commission perçues au titre de la gestion financière des actifs représentatifs des engagements exprimés en unités de compte par l’entreprise d’assurance, par ses gestionnaires délégués, y compris sous la forme d’un organisme de placement collectif, ou par le dépositaire des actifs du contrat.

L’adoption de ce dispositif est censée permettre un meilleur suivi de l’évolution des pratiques tarifaires en matière d’assurance-vie et plan épargne-retraite. Il est par ailleurs proposé que le Comité consultatif du secteur financier (CCSF), institution collégiale liée à la Banque de France abritant déjà l’observatoire des tarifs bancaire depuis 2010, se voit attribuer la mission de suivre cette évolution. Dans un souci d’harmonisation, le législateur entend étendre ces obligations nouvelles en matière d’information aux mutuelles et unions régies par le Code de la mutualité.

On relèvera que ces informations ne seraient pas seulement dues lors de la phase précontractuelle (article 7 bis [nouveau] de la proposition de loi).

L’article 7 de la petite loi met expressément à la charge des intermédiaires et des assureurs un devoir de conseil tout au long de la vie du contrat, à l’égard de toute opération susceptible d’affecter le contrat de façon significative de sorte que les souscripteurs ou adhérents puissent bénéficier de conseils cohérents, avec leurs exigences et besoins au moment de chacune des opérations qu’ils concluront dans le cadre du contrat.

En outre, il n’existe actuellement pas de disposition spécifique permettant de sanctionner les manquements des assureurs, mutuelles, institutions de prévoyance et union à raison d’une mauvaise exécution de la prestation au cours du contrat. Ces obligations ne sont en effet mobilisables que lorsque le risque se réalise ou que le contrat arrive à son terme.

Des abus, mis en lumière par l’ACPR, ont alors pu être commis par certains assureurs dans le cadre du versement des prestations en assurance-vie, à l’égard par exemple des modalités de calcul et d’attribution de la participation aux bénéfices.

Ces considérations ont conduit à rappeler l’obligation pour l’assureur ou la mutuelle d’exécuter les contrats conformément aux engagements pris à l’égard des assurés, souscripteurs ou adhérents, de sorte que les éventuels manquements des acteurs des secteurs bancaires, mutuels et assurances tout au long de l’exécution du contrat, et non plus seulement à son échéance, pourront être sanctionnés (article 7 ter [nouveau] de la proposition de loi).

Dans un autre registre, les épargnants se verront également reconnaître un véritable droit à l’erreur qui leur permettrait de régulariser leur situation, sous deux mois, dans le cas où ils auraient fait l’acquisition d’actions inéligibles au plan d’épargne en action (PEA). Le cas échéant, l’épargnant pourra retirer ses titres du plan ou les céder, sans remettre en cause les avantages fiscaux inhérents au PEA (article 5 de la proposition de loi).

Par ailleurs, les PEA pourraient bénéficier aux fonds communs de placement à risque, sous réserve qu’ils respectent, à l’issue d’un délai de cinq ans, la condition d’une constitution d’a minima 75 % de leur actif en actions et titres de sociétés (article 5 bis (nouveau) de la proposition de loi).

D’autres dispositions visent à imposer aux distributeurs d’assurance-vie et aux gestionnaires de plan d’épargne-retraite de présenter, lors de la souscription, une liste des fonds indiciels cotés disponibles, ces derniers étant censés être moins chargés en frais. Toutefois, l’entrée en vigueur de cette mesure est retardée jusqu’au 1er janvier 2025 pour permettre aux professionnels de s’y adapter.

Toujours dans l’esprit de renforcer la protection des épargnants, les parlementaires ont encore souhaité accroître les obligations pesant sur les sociétés d’assurance, en proposant qu’il soit prévu un droit de transfert interne des contrats d’assurance-vie, avec limitation des frais et sans possibilité pour l’assureur de s’y opposer (article 7 de la proposition de loi).

Dans un but affiché de susciter une plus grande concurrence entre les entreprises d’assurance, une portabilité externe serait reconnue au contrat, avec maintien de l’antériorité fiscale dès lors que le contrat aura bien été conclu plus de huit ans auparavant.

Cependant, l’assureur pourra, au cours du délai de deux mois durant lequel il doit procéder aux opérations de rachat à la suite d’une demande de transfert, proposer des options de transfert interne du contrat d’assurance-vie (article 8 de la proposition de loi).

Sur l’accentuation du contrôle des acteurs du marché de l’épargne

A propos du contrôle des acteurs du marché, il faudra principalement retenir que le collège de l’AMF, outre la possibilité de sanctionner les offres au public trompeuses pour les épargnants portant sur des parts sociales de sociétés commerciales, s’est vu attribuer la possibilité d’assortir ses injonctions d’astreintes (article 13 [nouveau]).

La petite loi propose enfin divers renforcements, portant sur les exigences en matière de lutte contre le blanchiment et financement du terrorisme, de publicité et d’information précontractuelle dans le cadre des dispositifs à avantages fiscaux locatifs, sur les prérogatives confiées aux agents de la DGCCRF – dont le montant des amendes qu’elle peut éventuellement prononcer augmenterait de concert –, ou encore sur le devoir de signalement des commissaires aux comptes (article 12 de la proposition de loi).

Finalement, les parlementaires ont tiré les conséquences de la décision « Société Novaxia développement et autres », rendue sur QPC par le Conseil constitutionnel le 28 janvier 2022, sous le numéro 2021-965, supprimant le délit d’entrave à l’occasion des enquêtes et contrôles de l’AMF. Mais au lieu de supprimer le manquement d’entrave, ils ont proposé l’ajout de «la communication de renseignements que la personne sait inexacts» à la liste des comportements qualifiables de manquement d’entrave et pouvant être sanctionnés par l’AMF (article 16 [nouveau] de la proposition de loi). Ce faisant, ils ont fait le choix de supprimer, non pas le délit, mais le manquement d’entrave.

Les modifications envisagées par la petite loi adoptée par le Sénat sont en réalité ambitieuses. Elles vont bien au-delà de la volonté affichée de mieux maîtriser, dans l’intérêt des épargnants, les frais pesants sur les actifs sous gestion ou ceux grevant les performances des contrats d’assurance-vie et de leurs supports en unités de compte.

Les conséquences et la portée de certaines mesures – telles que la transférabilité externe, la proposition systématique d’ETF ou encore le maintien du manquement d’entrave – mériteraient d’être soigneusement débattues en commissions et devant l’Assemblée nationale, au risque de voir adoptée une loi dont l’application sera périlleuse.

  • Mise à jour le : 04/05/2023

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