Joseph Châtel (Pierre 1er Gestion) : trouver des produits atypiques et surperformants

Par : Elisa Nolet

Cofondateur de DNCA, à l’origine de plusieurs innovations financières, Joseph Châtel bouscule le monde de l’épargne depuis un quart de siècle. A la tête de Pierre 1er Gestion, il continue à fourmiller d’idées pour le grand bien des investisseurs…

Rencontre avec un visionnaire… Précurseur de la gestion flexible, cofondateur de DNCA, Joseph Châtel fut aussi à l’origine du fameux fonds Eurose, et plus récemment de solutions leveragées pour les particuliers proposées par la société qu’il a cocréée et qu’il préside aujourd’hui : Pierre 1er Gestion. A 63 ans, cet iconoclaste de la finance, comme le définissent ses amis, n’a pas fini de distiller ses idées révolutionnaires sur les marchés financiers…

Après un DESS en Droit des affaires et fiscalité à la Sorbonne, Joseph Châtel démarre sa carrière en 1982 chez Fidal. Conseiller juridique et fiscal, il y devient l’adjoint du directeur et travaille sur d’importants dossiers, réalisant des fusions, des introductions en Bourse… Il se tourne ensuite vers le monde de l’entreprenariat en reprenant deux affaires familiales dans les secteurs de la restauration et du commerce.

Mais rapidement, il souhaite changer de domaine d’activité. En 1996, il rencontre Xavier Delaye, qui vient d’arriver chez Richelieu Finance, et tout va très vite ! Joseph Châtel devient commercial de la société financière et quinze mois plus tard, il en est associé et directeur du développement. Une ascension fulgurante ! Pour dynamiser Richelieu Finance, Joseph Châtel a alors l’idée de créer un produit qui n’existait pas sur le marché : un fonds flexible, qui aurait la particularité de pouvoir être tantôt prudent, tantôt équilibré, tantôt dynamique. Ce fonds, c’est Richelieu Evolution. Il marque le début de la gestion flexible en France.

 

Impulser des stratégies nouvelles

En 2000, une mésentente en interne l’amène à quitter Richelieu Finance pour créer, avec Xavier Delaye et Charles Nouailhetas, DNCA Finance. Des initiales comme acronymes de Delaye, Nouailhetas, Châtel et Associés. Les marchés financiers sont alors secoués par l’éclatement de la bulle Internet ; les cours des valeurs technologiques s’effondrent et provoquent la récession de l’économie dans son ensemble. Dans ce contexte troublé, il importe d’imaginer des solutions simples, capables d’anticiper les mouvements de marché, tout en alliant performance et stabilité. Joseph Châtel imagine alors, avec ses associés, un fonds boursier le plus proche possible d’un fonds en euros, accessible à tous. C’est la naissance d’Eurose, un fonds patrimonial à la gestion discrétionnaire, largement investi en produits obligataires (jusqu’à 100 %). Nous sommes en 2002. Les trois associés fondateurs s’entourent peu à peu d’experts de premier plan, capables d’assumer une gestion de conviction.

En 2006, Joseph Châtel prend la présidence de DNCA. La même année, la Banca Leonardo entre au capital, et avec elle, Gerardo Braggiotti, « le plus grand banquier d’affaires d’Italie !, témoigne Joseph Châtel. Je sentais nécessaire d’impulser une stratégie de diversification, tant au niveau des produits que de la clientèle et de l’implantation géographique. A côté des gestions value et des gestions flexibles, il fallait instaurer une gestion internationale et une gestion de croissance, pour satisfaire les particuliers, leurs prescripteurs CGP et les institutionnels. » DNCA acquiert alors un rayonnement européen, avec une forte présence en Italie, mais également en Suisse, en Belgique et en Allemagne. La société devient la deuxième plus importante maison française indépendante après Carmignac. Elle sera bientôt rachetée par Natixis.

La crise financière qui marque la fin des années 2000 entraîne avec elle une baisse inexorable des taux obligataires. Joseph Châtel tente alors d’imposer chez DNCA un nouveau produit dans lequel figurerait de la dette. « Je voulais mettre en place une filiale d’asset management pour créer un produit levaragé. Mais cette idée n’a pas été acceptée », explique-t-il. Il finit par quitter DNCA, mais avec l’autorisation de créer Pierre 1er Gestion, suivi de l’équipe qu’il avait constituée pour ce projet. Deux professionnels de l’immobilier l’accompagnent : Joël Vacher, un ancien entrepreneur, et Christophe Lanson, un ancien banquier.

 

Un fort effet de levier pour les particuliers

La société d’asset management voit le jour en 2015, avec l’ambition de se doter des meilleurs outils, mais aussi de compétences humaines solides, conditions indispensables pour préserver et faire fructifier le capital dans un monde particulièrement complexe et en constante évolution. Gage de leur expertise, les fondateurs sont des investisseurs immobiliers aguerris, s’étant confrontés pour leur propre compte à de multiples problématiques et convaincus que savoir acheter ne suffit pas : il faut aussi être capable de bien structurer et de bien gérer. L’activité de Pierre 1er Gestion recouvre deux métiers connexes : l’investissement, et la création ou la restructuration de portefeuilles immobiliers dédiés. La maison propose des OPPCI généralistes, orientés bureaux et commerces, ou dédiés à une typologie précise d’actifs. Des fonds opportunistes offrant un ratio rendement/risque élevé grâce au concours du levier bancaire.

Cassant les codes, Joseph Châtel continue en effet de tracer sa route comme il l’a toujours fait : en inventant les solutions de demain, quitte à faire tomber des barrières. « J’ai toujours au fond de moi l’idée de créer quelque chose qui n’existe pas, mais que le marché réclame, confie-t-il. Je crois que rien n’est impossible. » Son secret pour trouver une idée ? Raisonner comme s’il était son propre client. Cette fois, il s’interroge : « Pourquoi les clients professionnels auraient-ils accès à des solutions offrant jusqu’à 75 % de levier, mais pas les clients particuliers ? »

Ce constat mène à l’élaboration des solutions développées chez Pierre 1er Gestion. La maison de gestion conçoit des fonds qui offrent aux particuliers éligibles les avantages des solutions professionnelles, et notamment de hauts niveaux de levée de dette bancaire, par le biais des OPPCI. En principe destinés aux clients professionnels, les OPPCI sont en réalité également ouverts à d’autres investisseurs, conformément à l’article L. 214-150 du Code monétaire et financier et au règlement général de l’AMF qui autorise, par son article 423-14, « la souscription ou l’acquisition de parts ou actions des OPPCI aux investisseurs dont la souscription initiale est supérieure ou égale à 100 000 € ». « A condition de respecter cette obligation et de limiter l’investissement à 10 % du patrimoine, les particuliers assimilés professionnels pouvaient donc avoir accès à des solutions offrant jusqu’à 75 % de levier », souligne Joseph Châtel. Deux OPPCI sont donc lancés : BK OPCI, en 2016, un fonds qui investit dans les murs de restaurant Burger King, et PPG Retail, en 2018, qui sélectionne des emplacements commerciaux principalement en périphérie des villes, avec un équilibre alimentaire et non alimentaire. « Le commerce retail est aujourd’hui un peu délaissé à cause du Web, mais c’est toujours un besoin partout, considère Joseph Châtel. Nous faisons du stock-picking pour avoir de bonnes enseignes. » Le fonds compte en particulier Grand Frais, un acteur alimentaire qui a su faire preuve de sa solidité dans la durée.

Parallèlement à ces activités d’investissement, Pierre 1er Gestion met son savoir-faire au service de foncières, de Family Offices et de clients privés pour restructurer en profondeur leurs portefeuilles immobiliers. « Grâce à notre accompagnement, nos clients vont optimiser leur fiscalité, améliorer la liquidité de leurs fonds propres, augmenter leur capacité de développement et s’ouvrir de nouvelles possibilités de financement », explique Joseph Châtel. Des projets ambitieux, sereinement orchestrés par le directeur général de Pierre 1er Gestion, Joël Vacher, en relation étroite avec les clients, pour une parfaite prise en compte de leurs problématiques.

 

Ne jamais vendre en période de crise !

Sérénité, c’est d’ailleurs le mot qui caractérise Joseph Châtel en pleine crise sanitaire de Covid-19. « C’est la quatrième grande crise que je traverse, explique-t-il. Le secret des crises, c’est de fermer les yeux et d’attendre que ça passe. Il ne faut pas trop s’angoisser. Il y aura certainement une baisse de la valorisation des actifs. C’est, bien sûr, embêtant pour des fonds leveragés, mais c’est forcément temporaire, pour plusieurs raisons. D’abord pour une raison financière : il y aura une énorme croissance de la masse monétaire ; même l’Allemagne veut éviter l’asphyxie ! Donc les taux d’intérêts vont baisser ou, a minima, ne bougeront pas. Il n’y a donc aucune de remontée des taux en perspective. Et puis nous avons la chance d’être dans un pays européen. Les taux d’épargne vont plus vite que le taux de croissance du pays. Les Français se constitueront certainement une trésorerie de sécurité pendant quelques mois avant de se décider à investir, mais cela ne durera pas. Je constate d’expérience que les flux reviennent assez rapidement. Alors les liquidités augmentent et les prix repartent à la hausse. »

Pas d’inquiétude donc, chez Pierre 1er Gestion. Les investissements sont définis avant la collecte. La maison de gestion a ainsi pu investir avant le début de la crise sanitaire l’ensemble de la collecte réalisée fin 2019, sans pâtir d’un marché désormais à l’arrêt. « A la sortie du confinement, nous ne pourrons certainement proposer des parts qu’au compte-gouttes. Mais même s’il y a une baisse de la valorisation des actifs, elle sera momentanée », rassure Joseph Châtel.

Pour traverser la crise, le président de Pierre 1er Gestion compte sur la qualité des actifs détenus, et encourage les comportements raisonnés : « C’est bien connu : l’épargnant n’achète et ne vend jamais au meilleur prix. Donc, en Bourse comme dans l’immobilier, la durée est l’élément essentiel de la performance. Or il faut compter cinq à dix ans minimum de détention pour obtenir cette performance. La diversification est également un critère très important de résistance d’un portefeuille. Celui qui méconnaît ces règles s’expose à des déconvenues. Dans la période que nous traversons, les CGP doivent transmettre ce message à leurs clients : il ne faut jamais vendre en période de crise ! L’exemple d’Eurose est, à cet égard, parlant. Lors de la crise de 2008, le fonds a perdu 7 % en un an. Mais j’avais remarqué des choses anormales dans les cours et j’ai incité les clients à ne pas vendre. L’année suivante, le fonds a fait + 16,8 % ! Ceux qui avaient conservé m’ont remercié… Il faut également se forcer à racheter une fois qu’on est sorti de la crise, même si l’on a beaucoup perdu pendant cette période. Peu d’investisseurs sont capables de trouver le bon moment pour acheter. Il sera peut-être intéressant d’investir en juillet ; il faudra regarder les valeurs liquidatives des fonds au 30 juin. »

Connaissant la difficulté des épargnants à acheter en période de baisse, Joseph Châtel anticipe toutefois une collecte délicate en septembre, même soutenue par des prix d’entrée attractifs. Mais là encore, l’expérience des crises passées le rassure. En 2011 et 2012, la décollecte de début d’année enregistrée par Eurose a été compensée par la collecte de sortie de crise. Un bilan neutre donc ces années-là. Et en 2013, le fonds a collecté 2 milliards !

Pour BK OPCI, les prévisions tablaient sur une valeur liquidative de la part à 130 €. Aujourd’hui, la valeur liquidative atteint 176 €. « Même en cas de perte de 20 %, le fonds sera encore au-dessus de nos prévisions, constate Joseph Châtel. Ceux qui sont rentrés très récemment devront bien sûr attendre un peu pour retrouver de la performance. Mais, même s’il faut rester prudent, je pense que cela remontera dans une période assez brève. » Quant au fonds PPG Retail, il bénéficie de la résilience propre à l’alimentaire. Pour l’heure, les prix n’enregistrent pas de baisse visible. « Mais même s’ils diminuaient sur la moitié du portefeuille, le fonds resterait solide, estime Joseph Châtel. Savoir que je suis le plus gros investisseurs des deux fonds est rassurant pour les clients : si je me trompe, je me trompe pour moi aussi. »

 

Projets en cours dans le Private Equity

Et justement, pour éviter de se tromper, Joseph Châtel s’entoure d’hommes de grande compétence. « Je suis certes un bon visionnaire, capable d’imaginer des solutions qui seront adaptées dans trois ans, mais je ne suis pas un grand analytique et je n’ai pas de certitudes, glisse Joseph Châtel. Je m’associe donc avec des gens qui ont une complémentarité de talent. Joël Vacher [directeur général de Pierre 1er Gestion, ndlr] est un très grand gérant immobilier. Il applique aux clients ce qu’il sait faire et qu’il a fait pour lui-même auparavant. J’aime le travail d’équipe. Et si trois ou quatre personnes disent non à mon idée, je suis contrarié deux jours et je passe à autre chose ! »

Des idées, des projets, Joseph Châtel n’en manque pas. Pierre 1er Gestion a reçu une extension d’agrément pour pouvoir se lancer dans le Private Equity avec l’achat de murs et fonds hôteliers. Un secteur que le dirigeant connaît déjà, puisqu’il s’est associé en 2017 avec Philippe Starck pour fonder la Maison Heler, nouvelle marque hôtelière de prestige dont il est également le président. Pour Pierre 1er Gestion, l’objectif est de constituer un portefeuille d’hôtellerie de premier niveau, type Formule 1, et de les développer en y intégrant une partie de logement social, sur 15 % de la surface environ. Une façon de donner du sens à l’investissement, tout en sécurisant les loyers par le biais d’une clientèle pérenne et d’un taux d’occupation maximum.

Le fonds prendra la forme d’un fonds professionnel spécialisé (SPF), suivi par un nouveau gérant, fin connaisseur du sujet. « Les petites maisons doivent trouver des produits atypiques, pas trop gros et surperformants, estime Joseph Châtel. Sur cette solution hôtelière, nous avons des prévisions de performance à deux chiffres autour de 10 à 12 %. »

Entrepreneur passionné, Joseph Châtel ne se cantonne pas à l’univers de la gestion d’actifs. En 2008, il accompagne la création de March La.b, une marque de montres françaises à l’élégance brute, lancée par son ami Alain Marhic et dont il devient le Business Angel. Le succès est encore une fois au rendez-vous, les points de vente se multiplient à travers le monde, avec des boutiques en propre à Paris et à Londres. Le raffinement tout en simplicité de ces montres d’inspiration vintage séduisent jusqu’au président de la République, Emmanuel Macron !

Le vœu formulé par ce grand patron de la finance ? « J’aimerais que la France puisse encore donner à tous la possibilité de prendre l’ascenseur social. Vous savez, je viens d’un milieu commerçant et cultivé, mais pas particulièrement fortuné. J’ai travaillé à quinze ans, j’ai payé mes études… J’ai l’impression qu’il était plus facile de réussir lorsque j’avais vingt ans. »

Et il aurait été dommage que la finance se prive d’un créatif comme lui. Car Joseph Châtel n’a pas fini de bousculer le monde des affaires avec ses idées nouvelles.

De futurs projets sont en germe… Rendez-vous est pris !

  • Mise à jour le : 13/05/2020

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