Le conseiller, garde du corps, du cœur et du temps de ses clients
Par Caroline Nicolas, conseil aux familles et aux entreprises, et Pascal Pineau, cofondateur de Métisse Finance
Les fonctions du conseiller renvoient à une diversité de compétences des disciplines du droit, du chiffre, de la banque-finance-assurance, de la gestion de patrimoine, de la gestion de fortune et du Family Office. Les professionnels du conseil patrimonial partagent ainsi une connaissance à la frontière de ces disciplines, chacun restant néanmoins expert de son domaine de pratique.
Très souvent, trop souvent peut-être, les clients ont une vision erronée de leur conseiller. Les perceptions et croyances liées à ses missions et rôles renvoient facilement à une image du conseiller réduite à leurs besoins et usages : « Je te connais par le service que tu me rends. » Les fonctions du conseiller sont pourtant bien plus complexes et renvoient à une diversité de compétences : droit, chiffre, banque-finance-assurance, gestion de patrimoine, gestion de fortune et Family Office.
Une oreille attentive
Cette pluridisciplinarité est nécessaire pour tenir compte de la variété des situations patrimoniales rencontrées par ces professionnels. Comment accompagner un client dans le champ complexe du conseil patrimonial ? Dans cet article, la lumière est mise sur l’humanisme des conseillers patrimoniaux, qui s’exprime dans leurs activités. En effet, tout au long de la vie d’un particulier, d’une famille, d’un entrepreneur qui lui fait confiance, le conseiller accompagne techniquement, mais est aussi une oreille attentive à qui sont confiées des préoccupations existentielles, que ce soit par rapport au temps qui passe, à la famille, à l’entreprise qu’on a créée, reprise de ses parents ou encore développée.
C’est au conseiller de revenir sans cesse sur son cœur de métier et d’aller au-delà de la commande et/ou du besoin exprimé par son client, d’explorer les autres pistes de travail parfois insoupçonnées et pourtant si pertinentes. Le conseil patrimonial consiste d’abord à écouter, une écoute nécessaire pour pouvoir choisir les outils et techniques adaptés à une demande, des besoins et des objectifs. Ensuite, en fonction de la perspective, le professionnel adapte le contenu et/ou le contenant du patrimoine afin de coconstruire une stratégie sur mesure et amenée à perdurer.
Dans sa mission, il va parfois (souvent) au-delà de la première demande. En effet, c’est aussi le rôle de l’expert que de ne pas chercher les clés (et les leviers) uniquement sous le réverbère. Une telle posture demande d’avoir déjà répondu aux problèmes et/ou au projet de son client pour passer le cap de la légitimité et de la crédibilité, ainsi aller encore plus loin, sans réelle invitation et avec le plus souvent des frais sous forme d’honoraires à présenter en plus de ce qui a été prévu.
De même, la stratégie sera plus pertinente et durable si elle colle au parcours de vie et aux valeurs du client. Variables parfois peu visibles, les facteurs psychologiques dans le conseil et l’accompagnement patrimoniaux ne sont donc là pas moins substantiels. Tout n’est pas lisible facilement, et le décodage du conseiller est un art nécessaire pour faire résonner valeurs humaines et valeur du patrimoine.
Plus largement, rien n’est laissé au hasard dans le conseil patrimonial ; une cause (pourquoi) et un but (pour quoi) justifient chaque décision. Et si, en matière patrimoniale, la création et le développement du patrimoine forment les principaux motifs de consultation, les activités du conseiller ne se limitent pas à cela. Sa conscienciosité l’oblige à œuvrer pour la sérénité financière, juridique, psychologique, dès l’audit et tout au long de la vie. Le client n’est pas seul, il est entouré d’interactions affectives (cœur) qui vont biaiser ses jugements, et tout du long de sa vie (temps). En cela, le conseil patrimonial rencontre la psychologie, les deux disciplines partageant en particulier l’ambition d’œuvrer pour la préservation des relations entre les personnes, notamment la qualité des liens familiaux.
Par ailleurs, les temps changent. Le client peut penser autrement pour les siens ; le conseiller s’adapte et devient force de proposition pour les biens. De cette façon, la fonction du conseiller répond à trois dimensions en étant tout à la fois le garde du corps, du cœur et le gardien du temps de son client : garde du corps, en protégeant à 360° les actifs du patrimoine de son client ; garde du cœur, en prenant en compte la dimension émotionnelle des décisions prises au regard des aléas ; et gardien du temps, avec des hommes et des femmes dont la vie s’allonge, et des patrimoines qui doivent traverser les générations.
Le conseiller, garde du corps, gardien du patrimoine
C’est la fonction la plus connue et sûrement la plus aisée du conseiller : être le garant de la structuration du patrimoine, tant sur la diversification des actifs que sur le mode de détention des biens. Nous y retrouvons la mutualisation des risques et la saisie des opportunités dans le respect de ce qui est tolérable (aversion et appétence) pour son client.
Ici, nous parlons de cohérence entre la prise de risque acceptée et l’exigence de performance selon la phase patrimoniale de son interlocuteur, pour faire simple : création, optimisation, recherche de revenus, transmission. L’idée est de limiter les frottements venant ronger la performance des véhicules retenus issus a minima de l’inflation, des charges induites et des fiscalités. Le conseiller garde l’intégrité du patrimoine de son client, en devient le gardien en maîtrisant ce qui y rentre et ce qui en sort. La gestion des flux (revenus de toute nature) et des sûretés (caution, nantissement, engagement, crédits…), ainsi que le taux de rendement interne (TRI) sont pris en compte pour comprendre la dynamique d’enrichissement ou d’appauvrissement du patrimoine.
Avoir un patrimoine ouvre le champ des possibles, mais encore faut-il en avoir le pouvoir pour les réaliser. Dans ce cadre, le conseiller peut être l’organisateur de la gouvernance du patrimoine à travers les règles civiles et ses montages, les statuts et les clauses… Il permet des droits et en rappelle les devoirs. Cela est nécessairement l’objet d’échanges car il ne s’agit pas que de cadrer l’aujourd’hui mais aussi le demain, avec ou sans son client (décès, incapacité…). Il s’agit aussi de repenser les modalités de la prise de décision : les règles de majorité, les blocages, les clauses de revoyure.
De même, il est nécessaire de penser ce que le client pourrait fuir, ce dont il a peur ou ce qu’il ne voit pas… A ce propos, il peut être plus difficile pour un client de poser sa réflexion patrimoniale sur certains sujets parce que sources d’angoisses existentielles. Parler de décès et d’anticipation de la fin de la vie peut notamment révéler des inquiétudes, réveiller des souvenirs, dont le client (tout comme le conseiller) n’a peut-être pas conscience. Ces résistances voire blocages psychologiques peuvent conduire à ne pas traiter correctement certains aspects patrimoniaux pourtant d’importance comme la préparation et l’organisation de la transmission du patrimoine privé ou professionnel. Ici aussi, le conseiller a un rôle à tenir, en abordant des sujets qui peuvent être délicats, et doit donc être à l’aise avec ces derniers. L’accompagnement patrimonial est bien autant technique qu’émotionnel, dès les premières rencontres.
Le conseiller, garde du cœur, gardien des relations familiales
La gestion de patrimoine, par sa racine latine, reviendrait à la gestion de la filiation : patronymique, pater, père. Inconsciemment ou délibérément, la tradition de laisser quelque chose aux siens est bien ancrée dans notre culture. En matière patrimoniale, nous pouvons bien sûr laisser des biens, mais aussi une éducation, des valeurs, une histoire personnelle ou marquée par et dans la grande histoire. Les moments qui marquent une famille, comme un mariage ou une naissance, ou les événements majeurs d’une entreprise familiale, sont en cela des sources précieuses d’informations sur ce que le client peut vouloir laisser aux siens. De même, ils renseignent le conseiller sur la qualité des relations familiales. Pour ces raisons, ils réclament une attention continue de la part du professionnel qui peut notamment devoir réorganiser la stratégie patrimoniale au regard d’objectifs qui évoluent.
Parmi ces moments, l’ouverture d’une succession est toujours marquante. C’est une épreuve difficile, pour chacun individuellement mais aussi pour la famille, qui peut déstabiliser l’harmonie familiale. Le partage des biens et des pouvoirs d’une succession voit parfois se rejouer ou cristalliser des souvenirs (douloureux) et des émotions (ambivalentes). Ce moment mène fréquemment à des interprétations, sources de conflits. Il n’est d’ailleurs pas rare que dans ces situations, le conflit semble d’abord ne concerner que deux personnes, du moins en apparence, avant d’impliquer toute la famille. Les souffrances cherchent à être réconfortées, les points de vue peuvent différer, et les souvenirs se confronter au passé et aux non-dits.
Le risque de tensions est plus grand quand la succession n’a pas été anticipée et préparée du vivant. On redoute généralement le conflit, mais il est quelques fois inévitable et n’est pas toujours néfaste. Un conflit déclaré, « visible », permet aux personnes impliquées de s’exprimer, s’expliquer parfois, dire leurs besoins, autant d’opportunités pour le conseiller formé et préparé d’interagir en neutralité et de conduire une gestion efficace des désaccords. Ici, tout particulièrement, le conseiller peut, par ses connaissances sur les volontés du client, sur l’histoire des relations et sur la famille, par les traces qu’il a conservés des entretiens (mémoire écrite), reposer le cadre et l’esprit des décisions (non) prises. Cette gestion est même essentielle pour que le conseiller puisse mener à bien ses missions ; elle se fait souvent en curatif, une fois le conflit ouvert, mais la prévention (et non l’évitement) demeure une approche judicieuse. Prévenir contribue à préserver l’authenticité des échanges, le fonctionnement des relations, l’expression et la régulation des émotions et limite le risque de résistances manifestées à l’endroit d’une stratégie.
Associées parfois au conflit, les périodes d’ouverture d’une succession ou plus largement, de transmission du patrimoine (privé ou professionnel, comme une entreprise) peuvent être propices à la révélation de secrets de famille. Il est évident que le conseiller ne peut pas deviner ce qu’on lui cache avec parfois beaucoup de détermination ; s’il peut être l’oreille, le témoin, le complice, il est parfois l’ignorant, comme d’autres, d’un secret de famille. La révélation d’un secret à des moments aussi chargés émotionnellement pour la famille que sont les successions peut être fracassante pour la qualité des lieux familiaux, tout comme la cohérence d’une stratégie patrimoniale, les outils choisis pouvant même finir par poursuivre l’inverse des objectifs posés initialement. Les professionnels qui choisissent d’exprimer leurs talents dans le conseil patrimonial ne partagent pas seulement la particularité de composer avec la plus intime des angoisses humaines, parfois aussi avec le plus secret (le plus caché) d’un parcours de vie, et ce, chaque jour, tout en gardant avec et pour eux la rigueur technique permettant d’ajuster les stratégies pour qu’elles poursuivent les objectifs fixés.
Relations familiales houleuses ou apaisées, il demeure qu’on ne peut pas déshériter ses enfants. Cette quasi-obligation plane, encadrée par le Code civil, évasée par le Code des assurances et travaillée par des pratiques d’exceptions. Les relations familiales sont aussi le reflet de la notion même de famille. Pour en saisir les contours, placer les facteurs juridiques, financiers et psychologiques, non pas les uns à côté des autres mais ensemble, est probablement un angle de lecture éclairant la complexité de la famille sur le plan patrimonial. Elle suit les époques, les avancées sociales et sociétales. Elle est tout ou n’est rien (de semblable à une autre), mais définit toujours un peu ce que nous sommes. Elle fait résonner en chacun de nous des émotions variées et intenses, peut déclencher des réactions épidermiques, empêche parfois de raisonner.
Dans tous les cas, celle qu’on ne choisit pas, celle qu’on choisit ou celle qui nous choisit, est d’abord vécue à travers son influence sur l’expérience du bonheur, la recherche de sérénité ou l’épanouissement personnel. Il arrive que l’unité, la vision partagée et l’apaisement ne soient pas toujours inclus dans le cahier des charges du conseiller. Ce qui est dommage et dommageable car toutes les familles sont susceptibles de vivre des tensions et voir leurs liens être mis à l’épreuve à l’occasion d’un moment aussi douloureux que la perte d’un être aimé. Pour peu que le client le laisse entrer sur le versant psychologique de son histoire et de sa vie, le conseiller, sans jugement de valeur ni induction, est un expert qui doit savoir traiter méthodiquement les objectifs et les craintes mais aussi considérer les souffrances et les fiertés de son client pour bien paramétrer les éléments contractuels des décisions prises et à prendre.
Le conseiller rencontre parfois d’autres acteurs de la vie familiale : les nouveaux, choisis par certains, intégrés ou non mais susceptibles d’interagir et d’impacter les décisions : que penser quand un gendre est qualifié de pièce rapportée plutôt que de valeur ajoutée ? Finalement, qui est de la famille ? Qui prend part aux échanges, qui est invité pour décider et qui est écarté ? Les entreprises familiales, parce qu’elles imbriquent des sphères personnelles, familiales et professionnelles, risquent tout particulièrement d’être exposées à des conflits plus ou moins complexes lorsque vient le moment (ou seulement le projet) de la transmission. Cette réalité est d’autant plus probable que les conjoints sont souvent ici directement intégrés dans la décision car la vie de leur cellule familiale va être impactée. Qui va reprendre l’entreprise familiale ?… A ce moment particulier, le conseiller doit être un pédagogue, expliquant en droit et en pratique les enjeux et les effets de telles modalités. Il doit œuvrer pour la compréhension des points de vue, sans oublier qui est son client (qui paye) et jusqu’où il peut aller (conflit d’intérêts et cadre légal). Incessamment, le patrimoine, l’argent, les biens, convoquent l’émotionnel de chacun à des degrés différents selon sa culture, ses origines, son expérience, sa personnalité ou encore ses valeurs.
Le conseiller, gardien du temps, garde à l’esprit les aspects de durabilité
Avec quatre générations qui vivent ensemble, à défaut de cohabiter dans le même espace, le cycle de la transmission est profondément transformé. De cette nouvelle réalité naît la nécessité pour le conseiller de considérer une double perspective : d’une part, celle portant sur l’anticipation, toujours, dès que possible et le plus largement possible ; d’autre part, celle portant sur la projection, quand cela est possible.
Anticiper et projeter ne relèvent pas toujours des mêmes enjeux : on anticipe de transmettre le plus et le mieux possible, on projette de vivre longtemps, le plus heureux et confortablement possible. Quelle que soit la stratégie, elle restera néanmoins limitée à la surprise de la vie. La double perspective anticiper/projeter, qui doit guider le conseiller dans son accompagnement n’empêchera, bien évidemment, pas les imprévus. Ces surprises se présenteront et mèneront à reconsidérer la stratégie patrimoniale, voire les objectifs. Le conseiller travaille avec minutie avec les probabilités des aléas sur un temps long, mais doit rester profondément humain dans l’instant.
Des personnes âgées d’hier, nous parlons aujourd’hui du grand âge et de la vulnérabilité (qui d’ailleurs n’est pas directement liée à l’âge). Nos anciens, en établissements spécialisés, voient leur patrimoine tous les mois s’amenuiser : ils dépensent en un mois ce qu’ils n’ont jamais gagné en un mois. La redistribution n’aura pas lieu, pas autant que prévu, et pas tout de suite. Le patrimoine, tant par son niveau (en montant) que sa qualité (des biens) se dégrade. Le conseiller doit revoir sa copie et penser en temps plus long, le client se doit d’être moins gourmand (en phase de consommation) ou plus contributeur (dans sa phase d’épargne). Il s’agit pour le conseiller de protéger le client dans son niveau de vie (survivre, vivre, bien vivre), ses projets et sa dignité, puis de penser aux siens, si le patrimoine le peut. Bel objectif qui pourrait réunir tous les acteurs.
En effet, quand le patrimoine le permet, il reste possible pour le conseiller de proposer de fédérer l’ensemble de la famille à la protection du patrimoine sur un temps long, très long, transgénérationnel. Encore faut-il que chacun des acteurs accepte de se projeter ensemble, d’avoir une vision commune, de créer de la richesse sans vouloir plumer la poule aux œufs d’or (en ne prenant pas les fruits de la richesse trop tôt) et de bâtir, ensuite, des ressources au service de la famille. C’est l’étape de l’affectio familiae, la volonté de rester ensemble, pour traverser le temps. De cette coopération générationnelle naît le sentiment de réussir ensemble un autre héritage, plus immatériel, dont le conseiller est indirectement l’artisan. Dans cette perspective, le conseiller, en interprofessionnalité avec d’autres professionnels aux expertises complémentaires, peut devenir ce coordinateur de générations et maître d’œuvre du patrimoine privé et professionnel.
Le conseiller, un expert à la fois sur le plan des techniques patrimoniales et sur le plan émotionnel
Le conseiller catalyse et met en œuvre les potentiels de dynamiques, de création de richesses et de valeurs compatibles avec chacun. En fonction de sa personnalité, de sa lecture de ses missions et rôles, de son domaine de pratique, considérer pour un conseiller plusieurs facteurs psychologiques avec méthode et pragmatisme, contribue probablement beaucoup à la teneur de son accompagnement. La psychologie est même sa discipline alliée, la clé de voûte dans nombre de décisions et de stratégies patrimoniales.
Le conseiller joue aussi un rôle symbolique très fort à des moments fondateurs, sinon charnières, de la vie d’une personne, d’une famille, d’un chef d’entreprise : il est le chef d’orchestre pour la coordination et le premier violon pour sa compétence en gestion de patrimoine. Il veille au tout et à tous, à chaque instant et ce, durablement. Avec cette recherche d’équilibre constant à 360°, l’image du conseiller « placements » laisse la place au conseiller en gestion de patrimoine, voire de Family Officer dans certains cas, aux côtés de son, de ses clients, tel un gardien du corps, du cœur et du temps.
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