Des films de légende

Par : Dominique De Noronha

De « 1492 », la fresque sur la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, au retentissant « La Môme » en passant la comédie « Fatal » de Michael Young, la société de production Légende engrange les succès cinématographiques. Rencontre avec Alain Goldman, son fondateur et producteur inspiré et intuitif. 


Je ne sacralise pas le cinéma, je ne suis pas cinéphile », lance Alain Goldman. Quand un producteur de cinéma, dont la société réussit à produire (et avec succès) plus de 80 % des films qui lui sont présentés, affirme cela, on a forcément envie d’en savoir plus. Quand en plus, il précise immédiatement que son grand-père représentait Universal en France avant la Seconde Guerre, et que son père était représentant et distributeur en France de quatre majors américaines, on devient franchement intrigué. « J’ai toujours baigné dans l’univers du cinéma, mais en tant qu’enfant juif dans les années soixante, j’ai grandi avec la terrible souffrance de la Shoah. Et dès mes dix-huit ans, je n’ai eu qu’un but : vivre en Israël pour combattre l’antisémitisme, pour aider ce peuple ». Le voilà donc parti, avec livres et bagages, faire des études de finances et d’économie dans l’Etat hébraïque. Jusqu’au jour où il rencontre Rose Bosch, jeune et jolie reporter, française et chrétienne. 
Un coup de foudre plus tard, retour en France et un job chez MK 2, la société de Marin Karmitz qui fait du… cinéma. Il en devient le directeur de la diffusion et reconnaît avoir tout appris de cette filière sauf… la production. Et de nouveau Rose, entre-temps devenue Madame Goldman, va faire basculer le destin. Partant en Espagne pour un reportage sur les chercheurs de galions enfouis, elle constate que l’année 1992 marquera le 500e anniversaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. Alain et elle décident alors d’en faire un film : Légende Production est née et 1492 devient le premier film d’une longue série, qui se poursuit encore aujourd’hui. 

 

Faire un film et le faire bien 

Quand je lui demande ce qu’est un bon producteur, la réponse est nette : « faire que le film se fasse et se fasse bien. Il faut avant tout une histoire. S’il n’y a pas d’histoire, il n’y a pas de film. Mais il faut également un point de vue, une vision d’auteur. Faire un film sur un personnage célèbre, un fait historique connu, bénéficier de la notoriété d’un événement ne suffit pas. Il faut un parti pris, traité par un auteur compris de tous, de la qualité et du bon goût. Je n’accepterai jamais de tirer vers le bas, c’est un profond mépris du public ».

 

Le cœur, le ventre, pas la tête 

Quant au choix de produire ou non un film qui lui est proposé, Alain Goldman affirme utiliser son cœur, son ventre et pas du tout sa tête dans son processus de décision. Il revendique une envie, un attrait, un ressenti et refuse tout rapport cérébral avec le sujet. Et comme il sait que tout peut se prêter à devenir une histoire racontée sur grand écran, il produit le film écrit par sa femme sur la rafle du Vel’ d’Hiv’, ce sinistre matin du 16 juillet 1942, qui a conduit tant d’enfants et d’adultes juifs au point de non-retour, au comble de l’horreur. La Rafle devient un énorme succès cinématographique, unanimement salué par la critique, à sa sortie en 2010. La même envie et le même ressenti lui avaient déjà permis en 2007, de transformer un simple texto du réalisateur et scénariste, Olivier Dahan, – « film romanesque. International et Français. Histoire d’une artiste. Emouvant, joyeux, sombre. Bref, un grand film sur Piaf » – en La Môme (2007), un incroyable succès mondial pour lequel Marion Cotillard avait raflé toutes les récompenses : César, Oscar, Bafta, Golden Globe. 

 

Quadruple casquette 

Pour Alain Goldman, un producteur passe par quatre étapes successives et change autant de fois de casquette. En premier, porter celle du « quasi-auteur » : « je dois laisser exprimer ma sensibilité, porter un choix sur le sujet et en juger. C’est en ce sens que je suis quasi-auteur ». Ensuite, devenir promoteur : « j’ai le script et je calcule la mise en place du film : jours de tournage, équipes et équipements nécessaires, calage des lumières et des sons, choix et construction des décors, pour tout faire entrer dans le budget. Chaque film a un prix. Il faut ensuite lever les fonds pour le réaliser, monter les tours de table, convaincre les distributeurs, les chaînes de télévision, les réseaux de soft money… » Et pas de droit à l’erreur possible, car jusqu’à ce moment, c’est l’argent de la production qui est engagé. Ce qui explique qu’Alain Goldman est très sélectif et que 80 % de ses films « sortent ».
Vient alors le moment d’enfiler la casquette la plus délicate : celle du gestionnaire (« humain », précise-t-il). « On fait le film, on le monte, on le bruite, il faut gérer les personnes, comprendre, aider à la création, mener la barque, jouer au grand frère. Bref, organiser la folie ! » Arrive enfin la dernière casquette, celle du marketeur : « il faut orchestrer la sortie du film, choisir la date, assurer la promotion, installer la campagne d’affichage, créer la bande-annonce, aller dans les émissions de radio et de télévision ». On l’a compris, le producteur est dépositaire de tout ce qu’il faut faire. 

 

Une filière en forte croissance 

Le cinéma se porte bien en France. En 1992, au moment où Canal+ décolle et que les cassettes VHS envahissent nos salons, il y a 120 millions de spectateurs qui vont au cinéma en France. En 2014, à l’heure où un Occidental passe trois à quatre heures par jour devant des images, des écrans, ce sont plus de 190 millions de personnes qui vont dans les salles obscures. « Le cinéma et la consommation d’images explosent, relève Alain Goldman. La filière cinématographique se porte très bien en France. Le pays est reconnu par sa qualité culturelle et la production est considérée comme la meilleure d’Europe. Nous devons être fiers de nos films, ce sont à chaque fois de belles aventures. »

 

Des fonds pour la croissance 

Et il faut les continuer, ces belles aventures ! Alors, Alain Goldman décide de prendre 50 % de la société Adama, qui a produit Les Gamins (2013) et qui devient une filiale de Légende. Les développements ne s’arrêtent pas là, et Légende pose un pied sur le sol américain avec une filiale américaine chargée de produire, en anglais, des films pour le cinéma et la télévision. C’est ainsi que sont en projet la vie d’Armstrong et HHhH (d’après le roman de Laurent Binet, Goncourt du premier roman 2010) pour le cinéma, et des séries pour la télévision telles que Brothers (qui raconte la vie des frères Warner), la traque d’Eichmann, etc.
« Il faut financer tous ces développements, lance le producteur, nous recherchons des fonds propres. Grâce à mes études en finances, je comprends ce qui peut freiner la confiance en notre métier. Nous nous sommes tout de suite entendus avec Guillaume-Olivier Doré, président-fondateur d’OTC Agregator (une société de capital-risque et de LBO, ndlr). Légende intègre le FIP Grand Angle, qui reçoit, pour la première fois en ce domaine, l’agrément de l’AMF, ce qui est très important à nos yeux. Nous y voyons plus de vingt ans de sérieux et de professionnalisme reconnus, la réussite de l’éclectisme qui donne du relief à nos productions, et cela nous conforte que nous sommes en relation gagnant-gagnant avec les investisseurs. Nous allons ainsi pouvoir nous déployer et continuer d’investir. »

 

Des projets plein les bobines 

Alain Goldman est intarissable sur ses projets en cours, qu’il présente avec grand enthousiasme : d’abord La French, avec Jean Dujardin, qui doit sortir le 3 décembre 2014 et qui retrace l’histoire du juge Michel, pourfendeur du grand banditisme marseillais, La Der des Ders avec Jean Dujardin également, les Very Bad Blagues (ou la Seconde Guerre mondiale vue comme une folle histoire), le prochain Michael Young (encore en ébauche, mais comédie hilarante en vue), la véritable histoire de Robin des Bois avec sa filiale Adama, une future parodie de Zorro (avec encore Jean Dujardin), le duo Eric et Ramzy avant la tour Montparnasse.
La Légende est bien vivante !  
 

  • Mise à jour le : 25/08/2014

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