Réforme du courtage : les fondements de la demande d’abrogation

Par : edicom

Par Safine Hadri, avocat, cabinet DS Avocats (dsavocats.com)

La loi n° 2021-402 du 8 avril 2021 relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage IOBSP est entrée en vigueur dans la majorité de ses dispositions le 1er avril. Dans un courrier du 26 janvier, l’ANCDGP a saisi le Premier ministre d’une demande gracieuse d’abrogation du décret n° 2021-1552 du 1er décembre 2021 relatif aux modalités d’application de cette réforme.

Il est intéressant de revenir sur les arguments fondant cette demande d’abrogation à l’entrée en vigueur de la réforme exigeant, à compter du 1er avril, l’adhésion préalable des intermédiaires en assurances et en opérations de banques et services de paiement (IOBSP) à une association professionnelle représentative agréée, et conditionnant leur demande d’immatriculation au 1er avril 2022 ou de renouvellement d’inscription à l’Orias – au plus tard au premier trimestre 2023 –, et donc l’exercice de leur activité.

A ce titre, le collège de l’ACPR, lors de sa séance du 22 mars 2022, a délivré un agrément à sept associations(1), dont six en qualité d’associations professionnelles de courtiers en banque et assurance, et une association en qualité d’association professionnelle de courtiers en assurance. La demande d’abrogation du décret d’application n° 2021-1552 (décret du 1er décembre 2021) s’inscrit dans l’objectif pragmatique de soumettre au Conseil d’Etat la légalité du dispositif, qui recèle de nombreuses interrogations.

Pour mémoire, le décret du 1er décembre 2021 précise les catégories d’intermédiaires concernées par l’obligation d’adhérer à une association professionnelle, ainsi que les règles relatives à l’agrément et à l’organisation interne des futures associations professionnelles. Il définit également leurs missions, et notamment les modalités de vérification des conditions d’accès à la profession, des conditions de capacité professionnelle et de formation continue des adhérents. Par ailleurs, le décret prévoit la création et les modalités de fonctionnement d’une commission chargée de prononcer des sanctions au sein de chaque association professionnelle.

Or il convient de rappeler que la proposition de loi relative à la réforme du courtage déposée le 14 janvier 2021 a emprunté la procédure accélérée, l’exonérant ainsi d’étude d’impact et d’avis du Conseil d’Etat.

C’est ainsi légitimement que l’ANCDGP souhaite que le texte d’application de la réforme soit soumis au contrôle en excès de pouvoir du Conseil d’Etat, lorsque de fortes suspicions d’illégalité demeurent. Une décision du Conseil d’Etat viendrait clore définitivement tout potentiel débat de quant à la légalité d’une future décision de radiation d’un courtier.

Il est donc intéressant de revenir sur l’origine des questionnements quant à la légalité du dispositif entrepris, ayant fondé la demande d’abrogation formulée par l’ANCDGP.

La contrariété au droit européen identifiée

Le décret du 1er décembre 2021 serait contraire au droit européen en raison de la violation à l’article 12 de la directive (UE) 2016/97 sur la distribution d’assurances (DDA) et de la discrimination à rebours qu’il recèle. L’article 12 de la DDA vise expressément les autorités compétentes « chargées de veiller à la mise en œuvre de la présente directive » et précise qu’« Elles ne sont pas des entreprises d’assurance ou de réassurance ou des associations dont les membres comprennent directement ou indirectement des entreprises d’assurance ou de réassurance ou des intermédiaires d’assurance ou de réassurance ».

Plus encore, l’article 10 de la DDA prévoit que le respect des obligations de formation, d’honorabilité, et de souscription d’assurance RCP par les intermédiaires d’assurances ne peut pas être contrôlé par des associations dont les membres comprennent des intermédiaires d’assurance ou de réassurance. Par conséquent, les futures associations professionnelles agréées instituées par la loi n° 2021-402 ne devraient pas être en mesure de contrôler le respect de ces obligations par leurs membres et leurs personnels, en raison de leur composition. C’est pourtant exactement ce qui est prévu aux termes de l’article 2 du décret du 1er décembre 2021.

A ce titre, certains tentent d’expliquer que l’article 12 de la DDA n’interdirait pas l’émergence d’associations professionnelles représentatives pouvant réaliser un contrôle de premier niveau, comme cela existe déjà pour les conseillers en investissements financiers (CIF). Cependant, la référence aux CIF n’est pas pertinente, dans la mesure où la délégation des pouvoirs de sanction qui les concerne a pour origine l’AMF. Or, l’Autorité des marchés financiers est une autorité administrative indépendante, dont les pouvoirs de contrôle sont régis par les articles L. 621-9 et suivants du CMF, lesquels prévoient expressément la possibilité de délégation de ses pouvoirs de contrôle, notamment à des associations.

L’ACPR n’est plus une autorité administrative indépendante, et aucune disposition légale ne l’autorise, en l’état, à déléguer ses pouvoirs. Par conséquent, le rapprochement de la réforme du courtage de l’assurance et du régime de contrôle applicable aux CIF, n’est pas pertinent.

Le décret du 1er décembre 2021 n’en serait pas moins contraire à la DDA. Il recèlerait, de surcroît, une discrimination à rebours. En effet, il y a discrimination à rebours lorsque le ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne se voit imposer par son droit national un traitement moins favorable que celui dont bénéficient dans cet Etat les ressortissants des autres Etats membres bénéficiaires des règles de l’Union. Ce type de discrimination se retrouve dans les contextes de la libre-circulation des capitaux, de la liberté d’établissement (LE), de libre-circulation des personnes ou encore, plus particulièrement, de la libre prestation des services (LPS).

En l’espèce, l’article L. 513-3 du Code des assurances établit une distinction entre les sociétés de courtage établies et exerçant en France et les sociétés de courtage exerçant en France au titre de la LPS ou de la LE, ces dernières n’ayant qu’une simple faculté d’adhésion aux associations représentatives, alors que les sociétés établies en France en auraient l’obligation. Or cette distinction est susceptible de caractériser une rupture du principe d’égalité, qui ne semble pas être justifiée par une raison d’intérêt général.

Egalement, les établissements financiers et agents généraux ne sont pas tenus à l’obligation d’adhésion auxdites associations professionnelles agréées, alors même qu’en qualité de distributeurs d’assurance, ils sont susceptibles de réaliser une part importante de courtage d’assurance dans leur activité. Sous couvert de la prétendue suffisance des contrôles opérés par les sociétés mandantes, ces derniers se trouvent exclus du dispositif, alors même que les contrôles invoqués ne sont pas opérés sur la part de courtage réalisée par les agents généraux et établissements financiers. La différence de traitement opérée ne serait justifiée par aucune raison d’intérêt général, car sans rapport avec l’objectif de protection du consommateur, dès lors qu’il est avéré qu’une majorité d’agents généraux et d’établissements financiers, exclus de la réforme, exerce le courtage d’assurance auprès d’entreprises d’assurance étrangères agissant en LPS.

A ce titre, il convient de rappeler que la réforme du courtage avait pour objectif affiché la protection du consommateur et la volonté de lutter contre les « faillites de certains courtiers ». La seule motivation derrière cette adhésion obligatoire pour une catégorie de courtiers était de protéger les consommateurs vis-à-vis de sociétés de courtage exerçant sur le territoire français au titre de la LPS.

Or l’alinéa 2 de l’article L.513-3, I, en rendant facultative l’adhésion à une association professionnelle aux sociétés exerçant en France au titre de la LPS, rend nulle cette motivation. Ainsi, le texte régule les acteurs établis en France, qui sont pourtant déjà soumis à un contrôle ex ante des conditions d’accès à la profession par l’Orias et au contrôle a posteriori de l’ACPR, et omet tous les autres acteurs exerçant au titre de la LPS.

Le dispositif envisagé générerait donc une rupture d’égalité entre les courtiers nationaux et ceux établis en LPS, sans rapport avec la finalité envisagée par la réforme, et donc constitutive d’une discrimination à rebours, contraire au droit européen.

La contrariété au droit national identifiée

Par ailleurs, le décret du 1er décembre 2021 recèlerait plusieurs atteintes aux droits fondamentaux, tels que la liberté d’entreprendre, la liberté syndicale et d’association, ainsi qu’aux principes d’égalité devant la loi et non bis in idem [« nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits », ndlr].

En effet, la liberté d’entreprendre comprend non seulement la liberté d’accéder à une profession ou à une activité économique, mais également la liberté dans l’exercice de cette profession ou de cette activité. Or le dispositif prévoit l’obligation d’adhésion à une association professionnelle représentative agréée. Il recèlerait ainsi une limitation disproportionnée de la liberté d’entreprendre par rapport à l’objectif d’intérêt général de protection du consommateur poursuivi, et en tout état de cause intrinsèquement inatteignable du fait de l’absence de soumission des acteurs agissant en LPS et LE au dispositif.

Les libertés syndicales et d’association seraient également affectées dès lors que l’obligation d’adhésion à l’association professionnelle agréée, d’origine légale, ignorerait l’étendue de la liberté d’association, qui comprend également la liberté de ne pas adhérer à une association.

Seule la loi peut imposer, dans des contextes précis, une telle obligation d’adhérer, qui doit être justifiée par un motif intérêt général. Dans la mesure où les missions confiées à ces associations pourraient être réalisées aussi bien par l’Orias que par les syndicats existant, un tel motif d’intérêt général peut être raisonnablement mis en cause.

S’agissant des principes d’indépendance et d’impartialité, ils seraient également contraints, par l’entrée en vigueur de la réforme. En effet, l’article 12 de la DDA prévoit que les autorités compétentes chargées de veiller à sa mise en œuvre ne sont pas des « associations dont les membres comprennent directement ou indirectement des entreprises d’assurance ou de réassurance ou des intermédiaires d’assurance ou de réassurance ». L’objectif de cette disposition, rappelé dans les débats parlementaires européens, était « d’éviter les conflits d’intérêts entre les intermédiaires d’assurance et leurs autorités de surveillance, et à renforcer ainsi la qualité du service fourni et l’efficacité du marché ».

Or la réforme du courtage confie aux associations professionnelles la possibilité de prononcer des sanctions à l’encontre de leurs membres, tandis que le décret du 1er décembre 2021 organise la constitution dans chaque association d’une commission chargée de prononcer les sanctions et en définit les modalités de fonctionnement. L’article R.513-20 précise que cette commission devra comporter, au moins, « un représentant de l’assemblée générale » et « un représentant du conseil d’administration » de l’association.

En confiant aux associations professionnelles représentatives un pouvoir disciplinaire sur leurs membres, le décret du 1er décembre 2021 permet à des courtiers d’assurance et leurs mandataires de sanctionner d’autres courtiers d’assurance et d’autres mandataires, en contradiction avec la volonté des parlementaires européens de limiter leur interférence et le risque de conflit d’intérêts.

De même, le principe d’égalité devant la loi serait altéré, dès lors que le décret du 1er décembre 2021 institue un article R.513-2, aux termes duquel une différence de traitement est établie entre les courtiers d’assurance ou de réassurances et leurs mandataires d’une part (dont l’immatriculation sur un registre unique des intermédiaires, et donc l’exercice professionnel, sont conditionnés à l’adhésion à une association professionnelle), et les autres intermédiaires d’assurance, qui « ne sont pas [soumis] à l’obligation d’adhésion à une association professionnelle agréée (…) y compris, le cas échéant, lorsqu’[ils] exercent le courtage d’assurance à titre de mandataire d’intermédiaire d’assurance ».

Or, cette différence de traitement ne saurait être justifiée par la protection du consommateur, dans la mesure où les intermédiaires d’assurance qui exercent le courtage d’assurance à titre accessoire, autres que les courtiers d’assurance et leurs mandataires, ne sont pas soumis à une obligation d’adhérer à une association professionnelle. Enfin, la contrariété au principe non bis in idem serait également opposable au décret du 1er décembre 2021.

Le décret contreviendrait au principe non bis in idem qui découle notamment du principe de légalité des délits et des peines, dans la mesure où les associations agréées sont susceptibles de prononcer des sanctions de même nature et sur le même fondement que celles pouvant être imposées par l’ACPR. Ainsi, les soupçons d’illégalité de la réforme du courtage sont nombreux, et a minima suffisants pour avoir encouragé la demande d’abrogation du décret par l’ANCDGP. Pourquoi ? Par précaution, et pour poser les questions de légalité en amont, car le dispositif n’a jamais été soumis au Conseil d’Etat.

L’ANCDGP a en mémoire, comme d’autres, un contentieux où l’association CNCGP avait été condamnée à des dommages et intérêts importants, en raison de l’illégalité de la radiation prononcée contre un CIF, devant alors seule supporter la condamnation, alors même que ses pouvoirs (dont la sanction) étaient parfaitement légaux.

En cas de silence du Premier ministre sur la demande gracieuse d’abrogation, s’ouvrira alors un nouveau délai de deux mois pour l’introduction d’un recours contentieux contre le décret devant le Conseil d’Etat. Les différents arguments seront soumis au contrôle de légalité du juge qui tranchera définitivement toutes les questions de légalité soulevées par l’ANCDGP, dont le souhait demeure celui de la défense des intérêts supérieurs de ses adhérents, sans aucune volonté polémique.

Le passé a démontré qu’il était bon de questionner les réformes entreprises, surtout lorsqu’elles recèlent de nombreux sujets de légalité, et qu’elles viennent alimenter un millefeuille administratif pourtant suffisamment fourni.

 

1. Chambre nationale des conseils experts financiers assurance ; Compagnie intermédiation en assurance ; Votrasso ; Anacofi Courtage ; Endya ; Association française des intermédiaires en bancassurance et la Chambre nationale des conseils en gestion de patrimoine.

 

L’ANCDGP poursuit son action

« Compte tenu des vives réactions relayées par la presse, consécutivement à la demande gracieuse d’abrogation du décret d’application n° 2021-1552 du 1er décembre 2021 relatif aux modalités d’application de la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement, l’ANCDGP a adressé deux courriers à Monsieur le Premier ministre, ainsi qu’à l’ACPR, le 25 mars dernier, rappelle Philippe Loizelet, président de l’ANCDGP. L’objectif de ces courriers a été de clarifier la démarche de l’ANCDGP, laquelle, sans aucune polémique, a toujours été favorable à une réforme pour l’intermédiation d’assurance et des opérations de banques et services de paiement, aux fins d’encadrement et de structuration de la profession, dans l’intérêt supérieur et final des consommateurs. C’est ainsi que l’ANCDGP a engagé les procédures nécessaires à l’examen de la légalité de la réforme du courtage en amont, et afin qu’elle ne souffre d’aucune remise en question judiciaire en raison des potentielles illégalités des procédures qu’elle organise. L’ANCDGP n’oublie pas le précédent de l’association de CIF, la CNCGP, condamnée à payer 2,1 millions d’euros de dommages et 130 000 euros d’article 700, suite à l’invalidation de la radiation d’un de ses confrères (Cass. civ., 3 février 2016). La demande gracieuse d’abrogation du décret du 1er décembre 2021 a été formulée par l’ANCDGP en raison des insuffisances juridiques effectivement constatées au sein du dispositif légal envisagé. Cette demande visait, selon l’usage, à ouvrir une fenêtre d’échanges et de dialogues avec le gouvernement. Depuis la date du 28 mars 2022, le silence de Monsieur le Premier ministre équivaut à une décision implicite de rejet de la demande gracieuse d’abrogation du décret d’application du 1er décembre 2021, et ouvre un nouveau délai de deux mois aux fins d’introduction d’un recours contentieux, expirant le 29 mai 2022. Par conséquent, l’ANCDGP confirme qu’elle entend introduire un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat contre cette décision implicite de rejet de la demande d’abrogation du décret, mais précise également qu’elle étudie la faisabilité et l’articulation d’une QPC dans ce cadre. »

  • Mise à jour le : 22/04/2022

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