Expatrié, qui es-tu et où vas-tu ?

Par : Dominique De Noronha

Selon Olivier Grenon-Andrieu, P-DG du groupe Equance, le nombre d’expatriés français est chaque année plus élevé, comme en témoigne les 1,8 % d’augmentation d’inscrits aux registres consulaires en 2015. Toutefois, le nombre total d’expatriés supplémentaires est probablement supérieur, car tous, à commencer par ceux qui restent vivre en Union européenne, ne s’inscrivent pas sur ces listes. Si 1,7 million de Français sont ainsi recensés, le nombre total d’expatriés est estimé entre 2 et 2,5 millions de personnes. Alors où sont les expatriés et qui sont-ils ?

Les cinq premiers pays d’accueil d’une communauté française, selon le registre mondial des Français expatriés, sont la Suisse, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne, qui accueillent chacun une communauté supérieure à 110 000 Français, et concentrent, à eux cinq, près de 40 % des Français établis à l’étranger. Les cinq suivants (Espagne, Canada, Israël, Maroc et Italie) accueillent chacun plus de 46 000 Français chacun.

La grande majorité de nos compatriotes expatriés vit en Europe, dans des pays proches de la France. Près de 51 % résideraient, en effet, en Europe de l’Ouest et de l’Est, selon les données du ministère des Affaires étrangères. Ces chiffres sont probablement sous-estimés car nos expatriés n’ont aucune obligation de se déclarer et n’y voient guère d’intérêt.

Certaines des personnes qui ont participé à cette étude et qui ne se sont pas inscrites au registre mondial des Français expatriés l’expliquent par le fait qu’elles habitent dans une ville étrangère à seulement deux ou trois heures de la France.

Un élément qui ressort clairement de l’étude réalisée par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris est que le projet d’intégration européen s’accompagne depuis de nombreuses années d’une migration accrue des Français dans l’espace communautaire, favorisant l’émergence d’un sentiment d’appartenance à une communauté plus vaste que la communauté nationale. Il est probable que ce mouvement continuera à s’amplifier dans les années et décennies à venir.

En termes d’importance, l’Amérique du Nord regroupe la deuxième communauté française expatriée. Près de 13 % des inscrits au registre se trouvent ainsi dans cette zone, soit 212 815 nationaux (4,4 % de plus que l’an passé) qui se répartissent entre les Etats-Unis (61 % des inscrits de cette zone) et le Canada.

Une augmentation des flux migratoires

Le nombre exact et officiel d’expatriés sera probablement affiné l’année prochaine, car une des raisons d’inscription sur les registres consulaires est l’échéance électorale… Une deuxième cause de cette inscription, visible dans les statistiques du ministère, est celle des risques liés au pays dans lequel la personne s’expatrie : l’augmentation fulgurante du nombre d’expatriés dans certains pays (pays du Maghreb ou encore le Mali) peut s’expliquer ainsi. Pays par pays, les statistiques de 2015 montrent que la majorité des expatriés reste en Union européenne.

Mais la distance géographique n’est plus une limite : les données liées à l’expatriation au Canada (plus de 90 000 Français expatriés en augmentation de 6 % par rapport à 2014), aux Etats-Unis (135 000 expatriés, + 4 %) ou la Nouvelle-Zélande (4 400 expatriés,  +9 %) en sont la preuve.

Il s’agit donc d’une part de pays proches culturellement où on peut faire valoir sa formation, ses stages ou ses études. Et il s’agit clairement, à cet égard, d’une mobilité économique, avec une claire attirance pour les pays permettant de satisfaire les besoins professionnels.

D’autre part, on voit l’émergence de nouveaux pays, également éloignés de la métropole, comme la Corée (+ 11 %), Cuba (+ 21 %) ou encore la Birmanie (+ 7 %). A l’instar des pays du continent africain, ces Etats éprouvent de la croissance économique et attirent les expatriés. Une dernière cause visible est liée à des aspects purement fiscaux, comme le Portugal (15 000 Français résidents) ou la Suisse (175 700 expatriés, en augmentation de 5 %) qui reste le premier pays attirant nos compatriotes. Parmi ces derniers d’ailleurs, 80 % rentreront en France tôt ou tard.

Quels que soient la durée d’expatriation et le pays, ceux-ci sont amenés à s’inquiéter de leur patrimoine, structuré de facto internationalement, ainsi que des règlements et conventions en matière de liens civils (mariage) et de successions…

Des profils en mutation

De manière générale, la population a rajeuni avec la présence, hors de France, d’étudiants et de jeunes travailleurs qui restent sur place après leurs études. Ces expatriés n’ont pas ou peu de liens avec la France, se marient et font carrière à l’étranger. Ils vivent avec des problématiques binationales… en s’éloignant un peu plus de la France au fil des ans. C’est une ambiance générale qui créée cet éloignement avec, notamment, l’étiolement de la sécurité personnelle en France (sécurité policière, mais également sécurité sociale) qui était un des principaux moteurs de retour.

Malgré le rajeunissement de la population expatriée, un nouveau profil émerge : des personnes dans la quarantaine ou la cinquantaine qui cherchent à postuler à l’étranger et partent avec leur famille. Ainsi, les moins de 18 ans représentent 25 % des Français inscrits au registre consulaire, tandis que la moitié des inscrits se situent dans la tranche des actifs de 26 à 60 ans. Alors qu’il y a encore quelques années, la plupart des candidats au départ partaient en contrats expatriés avec leur entreprise, en gardant de forts liens juridiques avec leur entreprise et la France, ils ne représentent plus aujourd’hui qu’un tiers des partants.

Il est à parier que cette donnée est amenée à se réduire encore un peu plus… En effet, les entreprises cherchent désormais des alternatives locales pour embaucher des expatriés français : une filiale locale prenant en charge pour un coût inférieur à la prise en charge de l’expatrié par la maison-mère française, par exemple. Ou encore des jeunes partis en VIE (volontariat international en entreprise) qui transforment leurs missions en contrat local.

Le dernier profil, très différent, est celui des retraités s’expatriant à la fin de leur vie active : les plus de 60 ans représentent 15,13 % des inscrits aux registres consulaires. Il est à noter que plus de 63 % des inscrits aux registres consulaires le sont depuis plus de cinq ans et 9,6 %, depuis moins d’un an. Ces données montrent et prouvent que les expatriés partent pour un vrai projet de vie et pas seulement en transition. L’expatriation ne fait plus appel à un déracinement, mais crée des citoyens du monde, ambassadeurs de la France. Cette nouvelle donne induit une problématique pour l’Etat français : il ne récolte pas le fruit des dépenses liées aux études et à la formation de ces travailleurs.

Une population mixte, active et diplômée

Plutôt actifs et diplômés, les expatriés français partent souvent en famille pour des raisons professionnelles et choisissent en premier lieu l’Europe et l’Asie. En termes d’investissement, la pierre reste leur valeur refuge et nombreux sont ceux qui souhaitent acheter un bien immobilier dans leur pays d’origine.


L’étude My Expat 2016 révèle notamment que 52 % des expatriés français à l’étranger ont entre 35 et 60 ans, les jeunes hommes français entre 18 et 24 ans sont, quant à eux, sous-représentés. Autant de femmes (49 %) que d’hommes (51 %) s’expatrient et un tiers travaillent pour une entreprise en tant qu’employé local. Une majorité d’entre eux est constituée de couples mariés (56 %) avec enfants (63 %).

Pourquoi partent-ils ? 31 % partent pour des raisons professionnelles. Tandis que le goût pour une nouvelle culture (32 %), le désir de changer de vie (31 %) et le désir d’aventure (27 %) comptent également parmi les principales raisons invoquées.

Bon à savoir : 58 % des expatriés sont des récidivistes de l’expatriation ! 39 % des personnes interrogées sont expatriées depuis plus de dix ans, mais 54 % souhaitent revenir s’installer en France.
Enfin, 67 % des expatriés sont titulaires a minima d’un Bac + 4 et travaillent dans les secteurs de l’enseignement, le commerce, la communication, les nouvelles technologies ou encore la banque et les assurances. Aisés, 54 % des expatriés gagnent plus de 26 000 euros et 30 % ont un revenu annuel compris entre 26 000 et 71 000 euros. 


Des activités variées

Les Français de l’étranger travaillent pour 27 % d’entre eux dans les services au sens large (services aux entreprises et aux particuliers, commerce, tourisme, restauration, services récréatifs). Les autres secteurs de prédilection des expatriés français sont l’éducation (14 %), ainsi que l’industrie au sens large (biens d’équipement, biens de consommation courante, biens intermédiaires, automobile et industrie agricole et alimentaire) qui représentent 13 % de la population expatriée. L’administration (9 %), les organisations internationales (8 %) et les activités financières (7 %) représentent les autres principaux débouchés professionnels pour les Français à l’étranger.

L’Europe et l’Asie : deux continents de prédilection

L’Europe demeure la destination préférée des expatriés français dans le monde (32 %), suivie par l’Asie (26 %). Contrairement à l’étude My Expat parue en 2013, l’attrait vers le continent américain est en net recul (18 % en 2016, contre 29 % en 2013) tandis que l’Afrique attire beaucoup plus de sondés qu’il y a trois ans (12 % en 2016).

Fort de leur expérience, les expatriés français indiquent que la France reste plus attrayante que leur pays d’expatriation dans les domaines de la santé, des transports en commun, de l’alimentation et de l’éducation, tandis que le pays d’adoption dispose de plus d’avantages en matière de fiscalité, de qualité de vie, de sécurité ou encore de divertissement.

Des séjours de plus en plus longs

L’analyse des données montre que les Français de l’étranger restent de plus en plus longtemps dans leur pays d’accueil et que leurs intentions de retour ne sont plus aussi marquées qu’auparavant. La raison principale de cet allongement des séjours à l’étranger serait, d’abord, la diminution du volume des missions de détachement qui avaient souvent des durées de moins de trois ans.

Trois facteurs, liés au statut des expatriés, peuvent expliquer cet allongement des séjours des expatriés :

- une réduction, du fait de la conjoncture économique, des postes d’expatriés ou des personnels en détachement offerts par les entreprises ou d’autres types d’organisations ;

- une augmentation du nombre de Français de l’étranger travaillant sous contrat local. De fait, les personnes non rattachées à une structure française par un contrat d’expatriation ou de détachement n’ont pas d’horizon de temps défini dans le pays d’accueil et leurs intentions de retour sont naturellement moins précises ;

- une part croissante de créateurs d’entreprise parmi les Français de l’étranger. En 2013, près de deux sur dix sont des créateurs d’entreprise, contre seulement un sur dix en 2003.

Ces changements de statut de l’expatrié français induisent naturellement un attachement plus fort à son pays d’accueil en particulier lorsque l’on réussit dans son projet entrepreneurial.

Selon la maison des Français de l’étranger en 2013, l’autre facteur d’allongement des séjours à l’étranger réside dans le fait que les couples de Français à l’étranger sont de plus en plus bi-actifs, ce qui serait le cas pour 69 % d’entre eux. Dans ce contexte, la décision de retour en France n’est plus seulement dépendante de la situation professionnelle d’un membre du couple, mais bien de deux personnes. La conjonction d’intérêts professionnels n’étant pas toujours évidente, le retour en France est encore plus aléatoire dans le cas des couples que dans le cas des célibataires. Par ailleurs, les couples mixtes sont de plus en plus fréquents. Un nombre croissant de Français fonde leur famille à l’étranger, ce qui a pour conséquence de les enraciner plus durablement dans le pays hôte. Cela est également valable dans le cas où le conjoint est français, comme lorsque ce dernier est de nationalité étrangère. De fait, le nombre de couples mixtes croît de plus en plus, que ce soit à l’issue d’un échange universitaire ou durant une expérience d’expatriation d’un étranger en France.

Hypothétique retour

Même si les horizons de retour des Français de l’étranger semblent être moins précis aujourd’hui qu’il y a dix ans, nos expatriés, dans leur grande majorité, se réinstallent à terme en France. Une des principales motivations est l’attachement aux proches restés en France ainsi, que d’une manière plus générale, un attachement à leur culture d’origine.

Le vieillissement des parents est un des facteurs qui joue un rôle décisif dans la décision de retour. Par ailleurs, le système social français reste très attractif. Ainsi, dans le cas des Français expatriés qui ont des enfants et qui ne sont pas sous contrat de détachement ou d’expatriation, leur retour en France est fréquent, compte tenu du coût élevé de l’éducation des enfants dans de nombreux pays. De plus, de nombreuses opportunités professionnelles en France s’adressent aux profils expatriés car leurs compétences enrichies intéressent les recruteurs. Si la survenue d’opportunités professionnelles a pu entraîner une personne à partir à l’étranger, elle peut aussi la motiver à rentrer en France.

L’immobilier : projet numéro un

L’immobilier reste une question primordiale pour les Français de l’étranger, que cela soit dans une optique d’investissement ou pour gérer leur patrimoine à distance. La pierre arrive en tête des projets d’investissement des expatriés français (49 %), suivie par l’assurance-vie (15 %) et le livret d’épargne (13 %).

Par ailleurs, l’immobilier est le deuxième placement favori des expatriés français (44 %) après le livret d’épargne (53 %).

L’assurance-vie se place en 3e position (41 %), suivie des actions (26 %). Selon les expatriés, la France reste le premier pays potentiel d’investissement immobilier (c’est rapide, rassurant et c’est un bon placement) et de nombreux expatriés français recherchent un bien sans travaux (27 %) ou récent (24 %). Leur objectif est avant tout l’habitation (45 %), suivi de près par la location du bien (44 %). Malheureusement, même si les expatriés disposent d’un budget compris entre 150 000 et 250 000 € (35 %), ils sont freinés dans leur projet par le fait de ne pas être présents sur place (18,7 %), par le manque de temps (15 %) et d’apport (18,5 %). Indépendants, ils font les recherches eux-mêmes (56 %), mettent à contribution l’entourage (20 %) ou font appel à une agence immobilière (13 %).

Quant à leur usage d’Internet, 72 % d’entre eux utilisent le Web pour faire une recherche de biens, 35 % sont enclins à faire une visite virtuelle et 32 % à faire une offre en ligne. Par contre, les expatriés ne semblent pas prêts à réaliser une enchère, un acte notarié ou encore de choisir un locataire en ligne (seul 23 % sont plutôt d’accord). Enfin, 35 % des expatriés français font plutôt confiance à un tiers pour les représenter dans la recherche d’un bien, les démarches administratives (42 %), le financement (31 %) ou la mise en location (44 %).

Une fuite annuelle de 9,6 milliards d’euros

Si l’on en croit la monographie de Jean-Paul Gourévitch, expert international en ressources humaines, spécialiste des migrations, rédigée pour le compte des Contribuables associés il y a trois ans, la source la plus importante de dépenses, rassemblées sous le terme « investissements », concerne essentiellement les dépenses d’éducation (6,9 milliards d’euros environ) consacrées aux expatriés. Financées par la collectivité, elles profitent aux pays d’accueil où ces Français ayant quitté leur pays produiront des richesses, consommeront, acquitteront leurs obligations fiscales…

En raison d’un climat ne laissant plus la place à l’effort et à l’enrichissement personnel, ce sont, au rythme de 9,6 Md€ par an, près de 300 Md€ qui auraient ainsi été perdus au total suite à l’expatriation de nos concitoyens. Le sujet de l’émigration des Français reste trop peu abordé, et réduit à tort au seul phénomène de l’évasion fiscale. C’est une erreur, car ce désenchantement, qui touche de plus en plus de nos compatriotes, forces vives, bien souvent très diplômées, entreprenantes et aisées, conduit à l’appauvrissement de notre pays.

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  • Mise à jour le : 23/06/2016

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